L’Apocalypse justifie-t-elle les peurs de l’an 2000 ?
par Alfred Kuen
La grande peur de l’an 2000
Dans une revue à grand tirage distribuée dans toute la Suisse romande, un article sur le « grand bug-bang en l’an 2000 » commençait par cette phrase : « Les journalistes, les scientifiques, comme les gourous de sectes et Nostradamus, adorent prédire l’apocalypse. Les premières images sont celles d’un grand fracas, d’un grand tremblement de terre, d’une bombe nucléaire qui explose et que sais-je d’autre encore plus terrifiant.
Il faut bien mettre en scène le scénario catastrophe dont on nous rebat les oreilles depuis quelques mois déjà : le bug de l’an 2000 ». L’Express du 5-11 août 1999 avait en couverture : « Le dossier de l’Apocalypse » et y consacrait 6 pages. « La référence à l’Apocalypse reste étonnante, constate Christian Makarian. Aujourd’hui encore, certains y voient l’annonce de la fin du monde. Ils se trompent ».
Le changement de millénaire est comme la petite poussière qui fait se cristalliser une solution en surfusion. La solution contient toutes nos peurs latentes : surpopulation de la planète, crise écologique, manque d’eau potable, catastrophe nucléaire… D’autres associations d’idées s’agglutinent autour de ce changement de millénaire comme les réminiscences des peurs de l’an 1000 (qui sont, paraît-il, une légende basée sur des écrits du 17e siècle que Michelet a pris pour du bon pain). Certains datent la création du monde en l’an 4000 av. J.C. + 2000 depuis lors, ce qui fait 6000 ans ; et comme, pour Dieu, « mille ans sont comme un jour », les 6000 ans ressemblent aux 6 jours de la création, après quoi vient le 7e jour, le millénium du repos. Le changement de millénaire revivifie l’espérance du millénium.
Mais si le passage dans un nouveau millénaire ouvrait une ère nouvelle dans l’histoire de notre planète, cela signifierait aussi la fin de notre monde actuel. Et c’est là que nous rejoignons le sens habituel du mot apocalypse qui signifie, comme le précise le dictionnaire Robert : « fin du monde », à quoi s’associent toute une série de catastrophes plus terrifiantes les unes que les autres. Dans une comédie musicale à succès qui se jouait au Palais des Congrès de la capitale, « Notre- Dame de Paris », on chantait : « La fin du monde est prévue pour l’an 2000 ».
Le best-seller La Bible décodée l’annonce pour 2010 : un léger sursis. Des prophéties de Nostradamus, on a déduit qu’elle aurait lieu une génération après la Guerre des Six jours d’Israël. Si l’on estime, comme traditionnellement, une génération à 33 ans, faites le compte : on arrive environ aux mêmes dates. Nous voyons toute une série de pressentiments pessimistes lovés au fond de l’inconscient collectif s’agglutiner et se cristalliser autour de cette date fatidique qui représente, pour les uns la fin du monde, pour d’autres, le début des événements « apocalyptiques ».
Les visions apocalyptiques et notre Apocalypse
Est-ce là le sens de notre Apocalypse, c’est-à-dire du dernier livre de la Bible ?
Oui et non ! Oui, car nous trouvons effectivement dans ce livre un certain nombre de tableaux qui peuvent nourrir notre peur :
Le premier ange sonna de la trompette : aussitôt de la grêle mêlée de feu et de sang s’abattit sur la terre. Le tiers de la terre fut brûlé, le tiers des arbres fut brûlé et toute plante verte fut brûlée. Le deuxième ange sonna de la trompette : une énorme masse incandescente ressemblant à une montagne embrasée fut précipitée dans la mer. Le tiers de la mer devint comme du sang. Le tiers des créatures vivantes dans la mer périt et le tiers des bateaux fut détruit.
Le troisième ange sonna de la trompette : un grand astre enflammé, une sorte de globe de feu, tomba du ciel sur le tiers des fleuves et sur les sources d’eau. Cet astre se nomme « Absinthe ». Le tiers des eaux se transforma en un liquide amer comme l’absinthe et beaucoup d’hommes moururent pour avoir bu ces eaux qui étaient devenues amères.
Le quatrième ange sonna de la trompette : le tiers du soleil, le tiers de la lune et le tiers des étoiles furent frappés, de sorte que le tiers de leur lumière s’éteignit, et la clarté du jour, comme celle de la nuit, diminua d’un tiers (Apoc 8. 7-12).
Nous y trouvons la description de la Bête qui monte de la mer, qui fera la guerre à ceux qui appartiennent à Dieu et les vaincra, de la Bête qui monte de la terre et qui obligea tous les hommes, gens du peuple et grands personnages, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, à se faire marquer d’un signe sur la main droite ou sur le front. Et personne ne pouvait acheter ou vendre sans porter ce signe : soit le nom de la bête, soit le nombre correspondant à son nom (13.16-17). Une vision qui ne nous paraît plus tellement abracadabrante puisqu’il est question d’implanter en chaque habitant de nos pays occidentaux une puce d’identité contenant tous les renseignements souhaitables sur la personne (n° d’immatriculation, de téléphone, d’E-mail, de Sécurité sociale, codes bancaires). Or, on a constaté que les deux endroits les plus appropriés pour de telles puces seraient le poignet et le front.
Mais ces visions ne constituent pas le tout de l’Apocalypse, elles n’en constituent même pas l’essentiel ni le thème principal. Quel est donc l’essentiel de l’Apocalypse, quel est son message et son thème ?
Le message et le thème de l’Apocalypse
Le mot apocalypse ne signifie pas horreur et désolation, comme on pourrait le croire d’après l’usage qu’en font les médias, mais révélation. Non pas révélation de la fin du monde, mais révélation de Jésus-Christ. Ce que Jean a noté, ce sont des révélations – des « dévoilements » – que Jésus-Christ, le Seigneur souverain, a reçues de Dieu lui-même. Dieu voulait lui donner une vue d’ensemble de ses desseins concernant le monde et son Eglise. Cette révélation qu’il a lui-même reçue, Jésus- Christ la transmet par un ange à Jean pour qu’il montre à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt. C’est le seul livre biblique qui s’ouvre par une promesse de bénédiction pour ceux qui le lisent : Heureux celui qui lit les paroles de cette prophétie et ceux qui les entendent et qui gardent ce qui est écrit dans ce livre… (1.3).
L’Apocalypse est une sorte d’apothéose finale qui, non seulement « prononce les derniers mots du Nouveau Testament », mais résume en une fresque grandiose, « tout le contenu prophétique des enseignements de Jésus et des révélations apostoliques sur la fin des choses » (E Godet.)1
Bossuet disait que « toutes les beautés de l’Écriture sont ramassées dans ce livre »2, c’est le plus grand poème religieux de la littérature mondiale ». « Nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, les thèmes essentiels de la Révélation ne sont traités aussi complètement et avec autant de force ». « L’Apocalypse est comme une sorte de fin triomphale clôturant l’ensemble de la Bible. Elle nous fait penser à un compositeur qui rassemblerait les thèmes de sa symphonie dans les éclats d’une musique glorieuse pour achever son oeuvre » (T. F. Glasson). « Nulle part, Jésus ne reçoit d’honneur plus grand » (H.M. Féret).
Mais ce livre si précieux est aussi « le plus obscur et le plus difficile du recueil sacré » (Paul Claudel). « Au cours de l’histoire de l’Eglise, dit Billy Graham, le livre de l’Apocalypse a été plus négligé, plus mal compris et plus mal interprété par plus de gens que n’importe quel autre livre ».3
L’arrière-plan du livre
L’arrière-plan du livre était le conflit entre le christianisme et la religion de l’empereur romain divinisé. La prétention des empereurs romains d’être adorés comme des dieux a constitué l’occasion et le thème de l’Apocalypse. Ils ne pouvaient tolérer que les chrétiens considèrent Jésus comme le seul Seigneur. Or, pour les chrétiens, le culte de l’empereur – même sous la forme d’un témoignage de loyalisme envers l’empire – était incompatible avec l’adoration de Jésus comme Fils de Dieu.
Un message pour tous les temps
Jean adresse son livre à sept Eglises de la province d’Asie. Ce livre était, en premier lieu, la réponse de Dieu à leurs problèmes, à leurs prières et à leurs larmes. Mais, par-delà ces Eglises, le dernier message de Celui qui est, qui était et qui vient s’adressait aux croyants de tous les temps, particulièrement à ceux d’entre eux qui passeraient par la tribulation. La persécution de la dernière décennie du 1er siècle préfigure celle de la fin des temps (cf. 2 Tm 3.12 ; Mt 24.9, 15-22).
L’Apocalypse contient un message destiné aux Eglises de tous les temps. Le premier but du livre est donc d’avertir les Eglises : pas de compromis avec le monde dominé par les forces du mal ! Ne pas céder devant la pression des faux cultes inspirés en fin de compte par Satan !
Un deuxième but était de préparer les Eglises d’Asie mineure touchées par la persécution pour ce temps d’épreuve, de les encourager au témoignage par la souffrance, éventuellement par la mort, en leur présentant la gloire du prix promis aux vainqueurs.
Ces croyants ont aussi besoin d’être encouragés et fortifiés dans leur foi en vue des épreuves à venir. Ils doivent comprendre que l’opposition du monde n’est pas un accident de parcours imprévu, mais qu’elle fait partie du plan de Dieu pour le salut du monde.
Finalement, le livre voulait aussi consoler. Ces croyants passaient par un temps très difficile. Certains des leurs avaient été tourmentés, voire martyrisés. Tous envisageaient l’avenir avec appréhension et avaient besoin d’être consolés. Dans l’Apocalypse, Jésus leur explique la signification chrétienne de l’histoire et son aboutissement ultime : sa victoire sur toutes les forces adverses.
Les interprétations de l’Apocalypse sont fort nombreuses, mais, comme le dit le Père Allo : « Tous les systèmes orthodoxes sont au moins d’accord en ceci, c’est que l’Apocalypse représente les diverses phases de la lutte du bien contre le mal, aboutissant au triomphe complet du Christ et à la glorification éternelle de l’Eglise ». C’est là le message central du livre et celui qu’il nous est le plus nécessaire d’entendre et de croire à l’orée de l’an 2000.
L’Apocalypse et notre temps
Le pessimisme règne en maître parmi nos contemporains. Il contamine souvent aussi l’Eglise. L’Apocalypse nous apporte une puissante consolation fondée sur le Dieu qui a accompli la Rédemption par le Christ. La bataille décisive a eu lieu (ch. 5). Donc la victoire définitive ne fait aucun doute. « Pour tous les enfants de Dieu, le livre enseigne combien il est insensé de vivre pour des choses qui passeront rapidement. Il nous engage à témoigner auprès de ceux qui périssent et nous encourage à attendre patiemment le Retour du Seigneur. Pour les incroyants, le livre est un solennel avertissement du sort terrible qui attend ceux qui rejettent le Sauveur » (W. MacDonald).
L’Apocalypse connaît ces dernières décennies un intérêt croissant auprès du grand public. Depuis le début des années 80, on peut parler d’une véritable « explosion du thème apocalyptique et l’on compte des dizaines de livres et de films exploitant des thèmes apocalyptiques. Si, de tout temps, l’Apocalypse apportait aux chrétiens éprouvés et persécutés le réconfort et l’espoir dont ils avaient besoin, elle adresse à l’Eglise de notre temps un message particulièrement actuel. En effet, notre environnement a subi plus de changements durant ces dernières décennies qu’au cours des dix siècles précédents. L’opposition entre le monde et l’Eglise redevient partout nette et tranchée. Le conflit entre les deux puissances a repris, en bien des lieux, la forme que lui a donnée Domitien. «
L’Apocalypse justifie-t-elle les peurs de l’an 2000 ? » Oui et non ! Faut-il avoir peur des événements prédits par l’Apocalypse ? Oui, si nous n’avons comme fondement de notre espérance que celle que nous offre un monde déboussolé. Oui, si nous n’avons pas encore trouvé refuge sur le Rocher des siècles inébranlable qu’est le Dieu fort, Maître de l’histoire et Jésus-Christ, le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois, mais aussi l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde – et le nôtre.
Non, nous n’avons aucune raison d’avoir peur si notre nom est inscrit dans le livre de vie de l’Agneau , si nous sommes de ceux dont le front est marqué du sceau de Dieu (Apoc ch. 7) et qui, au travers des événements les plus « apocalyptiques » sortiront vainqueurs. L’Apocalypse les décrit en ces termes : Ce sont ceux qui viennent de la grande détresse. Ils ont lavé et blanchi leurs tuniques dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu et lui rendent un culte nuit et jour dans son Temple. Et celui qui siège sur le trône les abritera sous sa Tente.
Un vieux chant qui nous vient sans doute des fins fonds du Moyen-Age demande :
« Le mal est là et Satan gronde. Dites amis : Avez-vous peur ? » Réponse : « Nous n’avons qu’une peur au monde : c’est d’offenser notre Seigneur. Cette peur chasse toutes les autres – même celles de l’an 2000. Satan, chez vous, dansant la ronde, fera l’assaut de votre coeur. Nous n’avons qu’un amour au monde : c’est l’amour de notre Seigneur. Argent, plaisirs, quand tout abonde, espérez-vous plus grand bonheur ? Nous n’avons qu’un espoir au monde : c’est la victoire du Seigneur. »
Tel est le message de l’Apocalypse et l’espérance de tous ceux qui suivent l’Agneau partout où il va (Ap 14.4).
Ils ne connaîtront plus ni la faim, ni la soif ; ils ne souffriront plus des ardeurs du soleil, ni d’aucune chaleur brûlante. Car l’Agneau qui est au milieu du trône prendra soin d’eux comme un berger, il les conduira vers les sources d’eaux vives, et Dieu lui-même essuiera toute larme de leurs yeux (7.14-17).
Que le Seigneur Jésus accorde sa grâce à tous (22.21) : ce sont les dernières paroles de l’Apocalypse : paroles de grâce et non de condamnation, paroles qui nourrissent notre espérance et non la peur.
A.K.
NOTES
1 . Etudes bibliques N. T., Neuchâtel, Delachaux 1898 p. 292.
2. Oeuvres T 24, Paris 1823, p. 182.
3. Une preuve de la difficulté de l’Apocalypse est le nombre de livres écrits pour la déchiffrer. Rien que dans la bibliothèque de notre Institut biblique Emmaüs à St Légier, nous avons environ 150 commentaires de l’Apocalypse – sans compter près de 400 livres sur l’eschatologie, la prophétie et la fin des temps.