L’Evangile en prison
Gérard PEILHON répond à SERVIR
SERVIR : Plus besoin de présenter le vieux routard que tu es… On pourrait parler guitare. Jeunesse Libérée, concert, radio, camps… mais ici, parlons prison. On dit que ce n’est pas facile d’y entrer quand on n’est ni gardien ni mis en examen. Comment as-tu commencé ?
GÉRARD : En été 1968, alors que je prêchais et chantais sous un chapiteau au Chambon-sur-Lignon, le Colonel Bordas, chef du territoire pour l’Armée du Salut, m’invita à les accompagner durant les fêtes de Noël dans la plus grande prison européenne qui venait d’ouvrir, Fleury Mérogis. Il voulait que j’y apporte chants et témoignage pour atteindre, en six séances, le maximum de détenus sur les 5000 pensionnaires de l’établissement. Je franchissais ainsi pour la première fois les portes d’un établissement pénitentiaire.
L’attention des détenus m’a bouleversé. Je revois ce drogué de 18 ou 19 ans qui s’était fait tatouer à la base du cou, un trait tillé surmonté par cette phrase lapidaire « Cut here1 ». A l’époque, la célèbre guillotine n’était pas remisée dans un musée, elle allait encore trancher quelques têtes : celles de Buffet, Bontemps, Ranucci, etc… Quand j’ai quitté l’établissement, beaucoup de bras, à travers les barreaux des cellules, s’agitaient, soulignant le désir de ces gars : « à l’année prochaine ». Mes yeux s’étaient ouverts sur cet univers fermé et sur les besoins de ces détenus. J’ai dit au Seigneur : « Ouvre-moi d’autres portes et aide-moi à transmettre ton message dans ce contexte ».
Dieu m’a pris au mot. Ce fut un défilé d’occasions, me conduisant à ce jour dans 215 prisons, d’hommes ou de femmes, où j’ai pu apporter, par la prédication et le chant, ce message libérateur.
Ce sont des milliers de séances, atteignant chaque fois de 5 à 1500 détenus. Ceux-ci ont pu être ainsi confronté aux exigences mais aussi à la grâce et au pardon de Dieu offerts à tout pécheur repentant.
S. : Quel est l’accueil des surveillants ? Favorable ? Goguenard ? Hostile ?
G. : II est mitigé. D y a bien sûr des moqueurs, allergiques à toute forme de spiritualité, surtout si elle est chrétienne. Les mauvais coucheurs, fermés comme une porte de prison (méritant le surnom de « maton ») sont persuadés que je perds mon temps. Mais aussi des sympathisants reconnaissant l’utilité de mon ministère et m’indiquant, lors de mes visites au Centre Pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier où je suis aumônier, certains gars déboussolés, candidats au suicide…
S. : Quand tu donnes un concert dans une prison, peux-tu parler personnellement aux détenus ?
G. : Oui, alors qu’ils arrivent par étage ou section, je dialogue avec les premiers arrivants et puis, à la fin du récital, alors que je leur offre des Nouveaux Testaments et des magazines Jeunesse Libérée, ce sont eux qui m’interpellent. Bien sûr dans la prison où j’exerce mon ministère d’aumônier, j’ai la clé des cellules ; je passe du temps avec certains, terminant fréquemment l’entretien dans la prière.
S. : Quels thèmes préfères-tu aborder avec eux ? Y a-t-il des tabous ? des sujets qui accrochent ? qui bloquent ?
G. : Un des thèmes favoris, c’est celui de l’arrestation, du jugement, de la condamnation et de l’exécution du seul innocent que le monde ait connu, du contact qu’il a eu avec des repris de justice, de cette parole qui a rendu furieux les propres justes : il y a des voleurs qui vous devanceront dans le royaume de Dieu. De l’attitude du truand crucifié, reconnaissant sa culpabilité et lançant son SOS vers le remplaçant du chef de bande Barabbas, ainsi que de la réponse sublime donnée par Jésus : Je te le dis, en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. Je parle aussi de la justice impartiale du Juge Suprême devant qui, juges, procureurs, jurés auront aussi à comparaître.
Il n’y a pas vraiment de tabous. Les thèmes sur la liberté, la soif d’amour, accrochent bien. Mais aussi les récits de toutes les rencontres de Jésus avec des individus, permettant de les rejoindre sur leur terrain.
S. : Comment t’y prends-tu pour entamer une conversation ?
G. : En m’enquérant de leur lieu d’origine. Ou je leur demande s’ils sont « prévenus ou condamnés ». J’évoque mon passé de délinquant juvénile, montrant ainsi que, originalement, je n’étais pas très différent et pas meilleur qu’eux. Par contre, je ne demande jamais pourquoi ils sont sous les verrous ; j’attends qu’eux-mêmes m’en parlent.
S. : Raconte-nous une expérience récente ? As-tu vu des conversions radicales en cellule ?
G. : C’est difficile de choisir mais je pense à Louis, condamné pour inceste qui m’accueillit avec reconnaissance et le désir de parler. La conversation s’orienta vers l’essentiel, c’est-à-dire la culpabilité et le pardon que Dieu est prêt à offrir. Depuis des mois il venait aux rencontres bibliques, buvant ces textes. J’ai pu prier avec lui à maintes reprises. Il s’est tout grand ouvert à la grâce de Dieu. Samedi dernier, il a pu convaincre son voisin de cellule de l’accompagner au partage que je fais. Il a marqué sa conversion en me rendant le talon d’une carte de décision, qu’il m’avait demandée des mois plus tôt.
S. : As-tu retrouvé d’anciens détenus, libérés, dont la vie a basculé du bon côté à cause de l’Evangile ?
G. : Jeudi dernier, Jean-Pierre me téléphone depuis Villefranche. J’avais chanté et prêché à son mariage, après sa sortie de prison où il avait connu un changement radical (voir son témoignage dans le « Jeunesse Libérée » N°168). Il avait besoin d’être conseillé. Lui et sa femme témoignaient de leur foi ; il voulait des Nouveaux Testaments, comme celui que je lui avais remis en prison, pour des personnes intéressées, dont plusieurs habitent son immeuble. Et Stéphane, avec qui je corresponds depuis trois ans, après qu’il m’ait entendu à la prison de Lausanne (Suisse). Il m’a téléphoné plusieurs fois, depuis sa sortie. Nous nous sommes rencontrés et avons pu prier ensemble. Il avait le désir d’aider les détenus avec qui il était incarcéré, et plusieurs d’entre eux ont confié leur vie à Jésus-Christ. C’est stimulant !
S. : Je suppose que tu reçois du courrier à la suite de tes visites ? Réponds-tu à chacun ?
G. : J’essaie de répondre régulièrement, sachant combien le courrier est attendu. J’ai ainsi plusieurs correspondants dans diverses prisons. J’ai pu aussi motiver certains membres de mon Eglise à prendre le relais quand je ne puis assumer moi-même.
S. : Peux-tu faire un travail suivi dans la prison de Saint Quentin-Fallavier, près de chez toi ? Revois-tu régulièrement certains détenus ?
G. : C’est l’avantage de mon statut d’aumônier. Tous les 15 jours, je passe deux jours à parcourir les cellules, pour des entretiens dont plusieurs se terminent dans la prière. Puis le samedi, j’ai trois rencontres bibliques. Je rassemble ceux dont j’ai pris l’inscription, dans la salle de l’aumônerie. En trois groupes que je ne puis mélanger, j’en atteins de 35 à 45 chaque fois. Sur ceux-ci, 30 sont des réguliers. A l’entrée, je remets à chacun un Nouveau Testament, et leur indique la page, afin qu’ils se familiarisent avec la lecture biblique et qu’ensuite, dans leur cellule, ils puissent retrouver le texte lu et commenté.
S. : As-tu une fois vécu ce qui t’a semblé être un échec ? Quelles en étaient les raisons ? les circonstances ?
G. : Je pense à Ali (un Maghrébin), revu plusieurs fois après sa sortie, désireux de témoigner de sa foi auprès du peuple kabyle en Algérie. Il s’était joint à une église locale de Lyon. Comme je n’ai plus de nouvelles, je crains qu’il ne soit retombé. Il semblait trop sûr de lui et n’avait – semble-t-il – pas assez conscience de sa culpabilité et de sa faiblesse.
S. : Raconte-nous une expérience, l’une des expériences qui te laisse le souvenir le plus encourageant ?
G. : Je revois Serge, rencontré en 1974 à la Centrale de Fort-de-France, condamné à 4 ans pour trafic de stupéfiants, lui-même drogué. Une correspondance en a résulté. Revu à sa sortie, j’ai prêché, neuf ans plus tard, à la journée de reconnaissance de son ministère pastoral en Normandie (après six ans d’études en fac de théologie). Plus tard il m’a invité plusieurs fois à évangéliser dans son Eglise. Nous étions réunis sur le plateau de « Ça se discute ! ». C’est le plus marquant !
S. : Si tu pouvais reprendre ce ministère au départ, t’y prendrais-tu autrement ?
G. : Je ne pense pas, car Dieu a fait concourir les circonstances et j’ai franchi les portes qu’il a Lui-même ouvertes. Bien sûr, avec les années d’expérience – cela fait 31 ans que je poursuis ce ministère -, il est probable que, dans certains contextes, je m’y prendrais différemment.
S. : Et si quelqu’un se sentait appelé à s’engager dans ce ministère, que lui recommanderais-tu ?
G. : Tout d’abord, une qualité d’écoute indispensable. Ensuite être très discret : ne pas vouloir à tout prix découvrir le pourquoi de l’incarcération, attendre la confidence lorsque la confiance s’est établie. D’autre part, être prêt à rendre service : par exemple téléphoner à un membre de sa famille éloigné. Mais refuser le compromis (demande de cigarettes par exemple). Avoir beaucoup d’amour pour les coupables, en les dissociant de l’acte (aussi horrible soit-il) qu’ils ont commis. Aimer le pécheur tout en haïssant le péché.
Ne jamais faiblir dans l’espérance que Dieu est capable de changer le plus coupable.
Avoir une bonne dose d’humour et d’optimisme pour ne pas se laisser arrêter par certaines réflexions.
Demander à un groupe de chrétiens d’assurer un soutien dans la prière. Si l’intendance ne suit pas, même les commandos les plus courageux et expérimentés y laisseront des plumes.
S. : A toi le mot de la fin …..
G. : Si nous doutons de la possibilité de changement du plus coupable, ne nous engageons pas dans un tel ministère, mais revoyons les récits de l’Evangile concernant le démoniaque Légion, Marie de Magdala, Lévi, Zachée, la femme adultère, le truand crucifié qui s’est confié à Jésus-Christ in extremis. Mais aussi, relisons Ac 16.16 à 34, ainsi que l’Epître à Philémon ; en passant par Mt 25, 36 à 46 et Hb 10.34 et 13.3 : souvenez-vous des prisonniers…
Propos recueillis par Jean-Pierre Bory.
NOTE
1. : « Coupez là ».