Economie de marché et superstitions

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Par Thierry SEEWALD1

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Cela fait bien longtemps que l’on ne croit plus à la génération spontanée en biologie, mais on y croit encore dans beaucoup de domaines de l’histoire et de la société. Les mécanismes de l’économie entre autres peuvent-ils perdurer et se maintenir en équilibre « tout seuls » ?

 

 

Les crises mondiales

 

Les crises que traverse le monde actuellement, crise alimentaire, crise pétrolière, crise écologique, crise économique, ont mis à mal une croyance : le marché se régule « tout seul ». C’est-à-dire que pour l’économie de marché, la loi de l’offre et de la demande, la libre concurrence, … font que les prix s’équilibrent d’eux-mêmes2. Actuellement, pratiquement tous les pays fonctionnent à des degrés divers sur les bases de l’économie de marché. Et beaucoup de chrétiens adhèrent sans difficulté à cette croyance.

 

Selon les théoriciens, pour que le système fonctionne, il faut que les acteurs soient rationnels.

 

Deux exemples suffiront pour montrer l’utopie du système :

 

  • II se trouvera toujours quelqu’un suffisamment plongé dans la misère pour accepter un travail pour une rémunération plus basse que son voisin.

 

  • II se trouvera toujours quelqu’un dont la famille est suffisamment affamée pour qu’il accepte de tout sacrifier pour acheter une nourriture à un prix exorbitant, espérant qu’un miracle suivra.

 

Et il se trouvera toujours quelqu’un (de rationnel ?) pour en profiter.

 

Les marchés sont aujourd’hui fortement influencés par les spéculateurs. Et l’appât du gain ne rend-il pas souvent irrationnel ?

 

 

« C’est pour moi extraordinaire que les Etats-Unis puissent trouver 700 milliards de dollars pour sauver Wall Street et que le G8 tout entier n’arrive pas à trouver 25 milliards de dollars pour sauver les 25 000 enfants qui meurent chaque jour de maladies que l’on pourrait prévenir. »

Bono, rock star (U2); Sojo Mail, 25 Septembre 2008

 

 

 

Le roi

 

Pour l’économie de marché, quand sa logique est poussée à l’extrême, les Etats doivent intervenir le moins possible.

 

Le monde entier mange aujourd’hui les fruits amers de cette croyance3.

 

La Bible, elle, dit autre chose : Le roi doit faire « droit aux opprimés et aux malheureux de son peuple ! Qu’il sauve les enfants des pauvres et qu’il écrase l’oppresseur ! … Il aura compassion des faibles et des pauvres, il sauvera la vie des pauvres. Il les arrachera à la violence, à l’oppression, ils seront précieux à ses yeux. » (Ps 72.4, 13-14-Semeur).

 

Au Psaume 82, Dieu lui-même interpelle les rois du monde : « Ah ! jusques à quand défendrez-vous les injustes et prendrez-vous le parti des méchants ? – Pause -Défendez le faible, l’orphelin ; soyez justes à l’égard du pauvre et du malheureux, libérez le faible et le misérable, délivrez-les de la main des méchants. » (Ps 82.2-4).

 

Et quel est le constat divin ? « Mais ils ne comprennent rien, ils ne savent rien, ils avancent tâtonnant parmi les ténèbres ; tous les fondements des pays du monde en sont ébranlés. » (Ps 82.5). C’est ce qui se passe aujourd’hui où les rois du monde sont désemparés en regardant la bête qu’ils ont créée.

 

Il n’est pas question ici de miséricorde et de compassion, mais de droit : faire droit, rendre justice, défendre, voilà les missions du roi. Le modèle économique actuel est idéaliste, rousseauiste, croyant que l’éducation amènera les hommes à agir avec raison.

 

Là encore la Bible s’inscrit en faux, elle parle d’hommes marqués par le péché, et l’éducation n’enlève pas le péché. Elle parle d’appât du gain, d’avidité, du méchant qui tord la justice et fausse les balances. L’avidité du méchant serait-elle magiquement contrôlée par le marché ?

 

 

La main invisible

 

Le célèbre économiste politique Adam SMITH envisage le marché comme une institution qui s’autorégule grâce à une « main invisible », personnifiant ainsi le fonctionnement du système. Jésus a personnifié la richesse, l’appelant Mammon et montrant ainsi sa nature idolâtre. Ne donnerait-il pas aujourd’hui un nom à celui à qui appartient cette « main invisible » ?

 

 

Le roi est nu

 

mendiant-5Le chrétien osera-t-il pointer son doigt vers cette superstition qu’est un « marché qui se régule tout seul » et s’écrier « le roi est nu » ?

 

Et les chrétiens oseront-ils demander aux rois des nations de faire leur travail, d’encadrer le marché par des lois qui protègent les faibles, d’intervenir lorsque les droits des pauvres sont lésés, de gouverner en somme au lieu de laisser un système gouverner « tout seul » le monde ?

 

Car s’il est du mandat du roi d’exercer la justice et d’intervenir pour protéger les faibles (Jr 22.3), il est du mandat du chrétien d’interpeller son roi pour l’appeler à la justice et au droit (Pr 31.8-9). C’est-à-dire non seulement à agir de façon juste, mais aussi à promulguer des lois qui protègent les personnes en situation de faiblesse. Car si le gouvernant ne le fait pas, il en rendra compte (Jr 22.4-5), et le croyant aussi, s’il ne l’a pas averti (Ez 3.18).

 

Il est d’une triste ironie que les gouvernants du Nord interviennent aujourd’hui sur les marchés pour protéger le système et leurs citoyens d’une manière qu’ils cherchaient à interdire aux gouvernants du Sud, sous prétexte d’agir pour le bien de ces peuples. Nous, chrétiens du Nord, sommes parmi les bénéficiaires de cette injustice. Maintenant que le mensonge est patent, allons-nous dénoncer l’injustice et la refuser ?

 

T.S.

 

 

 


NOTES

 

1. Coordinateur du Défi Michée France

 

2. L’économie de marché peut se pratiquer de différentes manières en fonction de «systèmes de régulation » et de « mécanismes de répartition » voire de « protectionnisme » plus ou moins importants : ultralibérale, sociale-démocrate, etc. Ici c’est plutôt le modèle de type ultra-libéral qui est mentionné.

 

3. On trouvera une réflexion plus développée sur cette question dans la déclaration du Réseau Michée (Déclaration de Queretaro) sur notre site : http://www.defimichee.fr/spip.php?rubrique19