Les sources de notre connaissance
(2° partie)
par Frank Horton
John Wesley « était persuadé que l’essentiel de la foi chrétienne est révélé dans la bible, éclairé par la TRADITION, vivifié par l’EXPERIENCE personnelle et confirmé par la RAISON ». Dans le précédent numéro de Servir, nous avons insisté sur le rôle central de la révélation biblique et la contribution indispensable qu’apporte la tradition mais avec ses limites et ses dangers.
Passons maintenant aux deux dernières sources de la connaissance toujours en suivant Wesley.
L’Expérience
Légitimement, la foi chrétienne peut se prévaloir d’une dimension subjective, expérimentale, comme nous le rappellent les Eglises qui tendent à privilégier la voie de l’expérience.
Toutefois, Wesley insiste sur la nécessité de « vérifier si notre expérience personnelle et communautaire confirme la réalité de la grâce de Dieu telle qu’elle est attestée dans la Bible. Notre expérience se vit en corrélation avec les Ecritures. Nous lisons la Bible à la lumière des situations et des événements qui nous aident à devenir ce que nous sommes, et nous interprétons nos expériences en nous fondant sur le témoignage biblique […]. Or, l’expérience est à l’individu ce que la tradition est à l’Eglise : c’est le fait de s’approprier la grâce de Dieu qui pardonne et qui rend confiant. L’expérience authentifie dans nos vies la vérité révélée par la Bible et éclairée par la tradition, nous permettant ainsi de faire nôtre le témoignage chrétien1 ».
Le regretté théologien-philosophe Francis Schaeffer constatait l’affaiblissement du témoignage évangélique, dès lors que le témoin chrétien fondait ses convictions sur le « feeling » ou la « réponse intérieure », au lieu de faire appel à la vérité objective de l’Ecriture2. Le même dérapage vers le subjectif se manifeste dans nos groupes d’étude biblique quand l’animateur, au lieu de demander : « Que signifie ce texte ? Qu’est-ce que l’auteur a voulu nous dire ? » pose la question : « Quels sont vos sentiments face à ce texte ? » ou encore, « Comment réagissez-vous ? »
Il y a quelques années, j’ai prêté à un ami la brochure de John Stott, Du baptême à la plénitude : l’oeuvre du Saint-Esprit en notre temps. Après l’avoir lue attentivement, il me l’a rendue en disant : « cet ouvrage présente très fidèlement et clairement l’enseignement de la Bible. Mais ce qu’il dit ne correspond pas à mon expérience… ». Et il a choisi de rester attaché à cette dernière.
Certains agissent comme s’ils « croient que Dieu continue à donner aujourd’hui encore des révélations extra bibliques, et voient dans le don de prophétie la possibilité de transmettre des vérités indépendantes des Saintes Ecritures. Si cela est vrai, il est évident que l’Ecriture ne nous donne pas une révélation définitive. Ce point de vue est vraiment dangereux et, croyons-nous, contraire aussi bien à l’Ecriture qu’à la position historique du christianisme orthodoxe3 ».
Certains ouvrages, récemment publiés, racontent des visions dont le but est de nous donner force détails sur les temps de la fin4. On y trouve des renseignements que ne contient pas la Parole de Dieu. Leur texte échappe à un véritable contrôle biblique.
La Raison
Les philosophes grecs, Platon, Aristote, pensaient que la faculté suprême de l’homme était sa pensée, sa raison, et dépréciaient la chair et ses émotions. James Boice rappelle que « cette élévation de la raison produit un dualisme qui méprise le corps. Si l’esprit est bon, la matière est mauvaise. De là provient le conflit perpétuel qui oppose l’esprit et l’âme au corps et à la chair5». Le rationalisme moderne « n’est qu’une variante de la pensée classique », ajoute-t-il.
L’école rationaliste du 17e siècle, dont Descartes, Spinoza et Leibniz furent les principaux maîtres à penser, croyait que toute connaissance était dérivée de la seule logique, et que l’erreur provenait de l’expérience. Seul était digne de foi ce qui pouvait être démontré à la manière des théorèmes de géométrie. Ils cherchaient à démontrer rationnellement l’existence de Dieu. Rares sont les philosophes modernes qui acceptent la validité de leurs argumentations.
Aussi bien en ce qui concerne l’homme qu’en ce qui concerne Dieu, la raison a ses limites et ne conduit pas à une connaissance complète – ni même forcément juste – du sujet. Serait-ce une explication de l’anti-intellectualisme qui marque, parfois, la société actuelle ?
Citons encore le manuel des Eglises Méthodistes : « Nous reconnaissons que la révélation de Dieu et notre expérience de la grâce de Dieu dépassent continuellement la portée du langage et de la pensée humaine ; et pourtant, malgré cela, nous pensons que tout travail théologique sérieux fait appel à la raison.
C’est parce que nous sommes des êtres vivants doués de raison que nous :
− lisons et interprétons la Bible,
− réfléchissons à la foi et cherchons à comprendre l’action de Dieu et sa volonté,
− assemblons les éléments qui composent notre témoignage et les communiquons de manière cohérente,
− examinons la compatibilité de notre témoignage avec le message biblique et avec les traditions qui ont transmis ce témoignage.
C’est par notre capacité de réflexion rationnelle que nous intégrons notre témoignage à toute l’étendue des connaissances, expériences et engagements humains6 ».
Tout en adhérant à ce qui précède et en reconnaissant que les Eglises issues de la Réforme privilégient la raison, nous pensons qu’un bémol s’impose ici. Si, d’une part, nous refusons de laisser notre intelligence « au vestiaire », nous repoussons, d’autre part, la raison autonome, héritage empoisonné de la culture gréco-romaine et du Siècle des Lumières. La raison humaine ne peut être l’autorité ultime, et les systèmes philosophiques qu’elle a érigés sont en contradiction flagrante avec la révélation divine !
Pire encore, elle a été, par sa révolte, plongée dans les ténèbres (Rom 1.18ss) et par conséquent est devenue incapable de comprendre la sagesse de Dieu (1 Cor 1.17ss). Notre intelligence, pour écouter, entendre et comprendre le message biblique, a besoin d’être sauvée : délivrée, libérée, transformée, renouvelée par la puissance de l’Evangile (Eph 4.17ss ; Rom 12.1-2).
Il convient de mentionner brièvement ici une autre forme de raisonnement qu’on appelle le pragmatisme. Celui-ci prend pour critère de la vérité la valeur pratique : est vrai ce qui réussit, et il n’y a pas de vérité absolue. « Si ça marche, c’est bon ! » La communauté de Willow Creek, près de Chicago, peut nous servir d’illustration. Les responsables de cette communauté ont appliqué les techniques les plus poussées du marketing, en étudiant à fond leurs clients potentiels, c’est-à-dire les personnes qu’ils voulaient atteindre avec l’Evangile : quelles étaient leurs préoccupations, les besoins ressentis : angoisse, douleur, doutes existentiels, colère, problèmes conjugaux, sexuels, etc. ?
Comment préparer à leur intention une Eglise qui les attire et les mette à l’aise par son décor, son programme de musique et de théâtre, la crédibilité de son message et son adaptation aux besoins mentionnés ? Le succès a été et reste extraordinaire, et nombreuses sont les communautés évangéliques qui ont pris Willow Creek pour modèle.
Il est indéniable, d’un point de vue purement pragmatique, que cette communauté est un exemple à prendre au sérieux. L’effort pour s’approcher de l’homme d’aujourd’hui, pour le connaître et le comprendre dans son contexte social, spirituel et moral est louable. Mais est-ce tout ? N’y a-t-il pas des critères bibliques, des principes directeurs à prendre en compte, concernant la mondanité de la culture, la tentation de l’image (cf. 1 Th 2.1-2), le marécage de la psychologie et, surtout, la tentation pragmatique d’arrondir les angles de l’Evangile pour le rendre moins rébarbatif ? D’ailleurs, les besoins ressentis peuvent n’être rien d’autre que des convoitises égocentriques !
Ne refusons donc pas la raison, don du Créateur, mais soumettons-la à l’oeuvre du Rédempteur, afin que nous puissions l’utiliser à bon escient, en nous approchant de l’Ecriture dans un esprit d’humilité et de soumission, dans la dépendance du Saint-Esprit. « L’Ecriture et l’Esprit, l’Esprit de l’Ecriture : toujours les deux ensemble, jamais l’un sans l’autre ! » Ne commençons pas par l’homme, pour lui dénicher un texte biblique « approprié » : commençons plutôt par la Parole de Dieu, comme l’a toujours fait l’Eglise, pour aller vers l’homme avec le message de l’Evangile. Et ne perdons pas de vue le fait que l’Evangile, présenté dans son intégralité, ne plaira jamais à l’homme pécheur, rebelle, car prêcher Christ reste un scandale pour les juifs et une folie pour les païens…
Conclusion
« Ce n’est pas une formation académique, ni un don de persuasion ou d’éloquence qui touchera le coeur, mais c’est la simplicité du message de l’Evangile, folle pour ceux qui périssent, mais puissance de Dieu pour nous qui sommes sauvés (1 Cor 1.18). C’est pourquoi l’apôtre Paul, en rabbin érudit et ‘charismatique’, laissait délibérément de côté la sagesse humaine et la persuasion du langage lorsqu’il témoignait de la Bonne Nouvelle.
Beaucoup de Chrétiens bien intentionnés font toutefois exactement ce que Paul a évité de faire. Ils sont convaincus que l’Evangile et le Saint-Esprit ont besoin d’érudition, de persuasion émotionnelle, d’une approche psychologique et d’un emballage promotionnel moderne, utilisant toutes sortes de techniques audiovisuelles. Ainsi la foi de nombreux croyants se fonde sur la sagesse de l’homme plutôt que sur la puissance de Dieu7 »
Ecoutons un autre appel, émanant d’un groupe de théologiens qui se sont réunis au mois d’avril 1996, préoccupés qu’ils étaient par de graves dérapages théologiques qui marquent les milieux évangéliques nord-américains. Ils ont rédigé un texte publié sous le titre de « Déclaration de Cambridge » dont une traduction en français a été publiée dans plusieurs périodiques, parmi lesquels la Revue Réformée. En voici un extrait :
Sola Scriptura : l’érosion de l’autorité : « Au lieu de nous efforcer d’adapter la foi chrétienne pour qu’elle corresponde mieux aux besoins des consommateurs, nous devons proclamer la loi de Dieu comme étant la norme de toute justice véritable, et l’Evangile comme l’unique vérité qui sauve. L’Eglise a besoin de la vérité biblique pour comprendre ce qu’elle doit faire, pour s’édifier et pour exercer la discipline en son sein.
L’Ecriture doit nous faire percevoir, au-delà des apparences trompeuses, quels sont nos besoins réels, et nous libérer de l’habitude de tout évaluer à l’aune des images séduisantes, des clichés, des promesses et des priorités d’une culture de masse. C’est à la seule lumière de la vérité de Dieu que nous pouvons nous comprendre et découvrir comment Dieu a pourvu à nos besoins. Il importe donc de prêcher et d’enseigner la Parole de Dieu dans l’Eglise. Les sermons ont à présenter et à expliquer les enseignements bibliques et non à exposer les opinions du prédicateur ou les idées du moment. Nous ne devons rien accepter d’autre que ce que Dieu a donné.
L’oeuvre du Saint-Esprit dans une expérience personnelle ne saurait être dissociée de l’Ecriture. L’Esprit ne s’exprime pas d’une manière qui s’écarte de l’Ecriture. Sans l’Ecriture, nous n’aurions jamais connu la grâce de Dieu en Christ. Le critère de la vérité, c’est la parole biblique et non l’expérience spirituelle. […]
Nous nions […] que l’Esprit Saint parle de manière indépendante de l’Ecriture ou s’oppose à elle, (et) que l’expérience spirituelle d’une personne puisse servir de véhicule à la révélation. »
F.H.
NOTES
1. Fondements doctrinaux et principes sociaux de l’Eglise Évangélique Méthodiste, p.49. Nous rappelons que cet article a paru dans la revue PROMESSES 1998/4. SERVIR remercie l’auteur et les éditeurs de PROMESSES de l’avoir autorisé à reproduire cet article.
2. The Great Evangelical Disaster, Crossway Book. 1984, p. 51 s.
3. Ernest Pickering, The tragedy of Compromise, p. 101.
4. Par exemple L’ultime assaut de Rick Joyner, membre des « Prophètes de Kansas City » aux Etats-Unis.
5. James M. Boice, Le Dieu qui libère (Ed. Emmaüs, 1987), p.7.
6. Fondements doctrinaux et principes sociaux de l’Eglise Evangélique Méthodiste, p.51. Servir en l’attendant. Article tiré du N°2 Mars-avril 1999. Dossier « La souffrance ».
7. Paul-André Eicher, dans Bible-Info, mai 1998.