Affronter la souffrance et l’épreuve,

 

et progresser

 A genoux

 

par Alain STAMP

 

J’ai épousé Doris en 1975. En 1977, après une grossesse délicate, notre fille naît par césarienne à chaud, avec complications. Doris ne récupère pas. Une sclérose en plaques est diagnostiquée durant l’été 78. La maladie évolue vite. Jusqu’à devenir chronique ; incontinence urinaire, fauteuil roulant, chocs anaphylactiques, etc. Je soigne ma femme, élève notre fille, lutte pour conserver mon ministère pendant 9 ans.


Début 1987, Doris demande à être hospitalisée. Elle est grabataire. L’équilibre psychologique de notre fille commence à souffrir de cette situation de crise permanente dans laquelle nous vivons tous. Malgré les soins hospitaliers, Doris souffre d’escarres profondes, de douleurs spastiques qui nécessitent, à quelques années d’intervalle, deux lourdes opérations aux deux jambes. Plusieurs septicémies mettent gravement la vie de Doris en danger. A différentes reprises nous croyons que le Seigneur va la reprendre.

 

Elle décède début avril 1998 après 4 mois de lente agonie, et plusieurs semaines de traitement à la morphine. Elle pèse moins de 35 kg.

 

 

Questions

 

Au cours de l’été 97, je suis à bout. Ne suis-je plus prêt à payer le prix pour être disciple de Christ ? Est-ce que je ne veux plus souffrir ? Suis-je lassé de mon ministère ? Ou simplement fatigué, usé par l’épreuve ? Impossible de répondre. Tout me fait peur. Je n’ai jamais connu une telle lassitude ni une pareille crainte quand je dois prêcher l’Evangile. Un médecin chrétien ami me conseille de prendre 3 mois de repos. Je suis révolté et frustré à cette perspective. C’est pour moi un échec. La mission qui m’emploie me pousse à prendre ce congé. Je me retrouve en vacances forcées, sans agenda, sans emploi du temps fixe, sans objectif précis, sinon celui de gérer ce temps avec sagesse devant Dieu.

 

Nous qui existons si souvent plus par nos activités et la reconnaissance qu’elles nous apportent plutôt que par Christ et Sa grâce ! Je suis découragé. Je me fixe un but : relire ma Bible en trois mois. Je consacre 3 heures par jour à la lecture et à la méditation. Le Seigneur commence à me parler. Il me prépare pour l’accompagnement et le départ de ma femme. Il me conduit à réfléchir au sens de la souffrance, de l’épreuve. A faire le point sur certaines questions. Quelle est l’utilité de la souffrance ? A quoi bon 20 années d’épreuve ? Quels buts Dieu poursuit-Il ?

 

Voici quelques-unes des réflexions développées dans les semaines qui ont précédé la mort de mon épouse.

 

 

Le but de notre vie est de connaître Dieu.

 

Au travers de sa Parole, j’ai redécouvert la grâce et la bonté de Dieu comme jamais. J’avais l’impression de lire à toutes les pages : « Dieu est riche en bonté, plein de miséricorde, lent à la colère, patient… Il ne punit pas à la hauteur de notre péché. » La raison d’être de notre existence est la connaissance de Dieu. Entamée lors de notre nouvelle naissance, nous poursuivrons cette découverte dans l’éternité. Le but de Jésus était de nous révéler Dieu. L’objet de notre vie est de connaître Celui dont le péché nous a séparés. Mais nous perdons de vue cet objectif essentiel.

 

 

Nous cherchons notre bonheur plutôt que Dieu.

 

Nous sommes souvent plus préoccupés par le désir d’être épanouis, heureux, que par celui de connaître Dieu et Jésus-Christ. Certaines tendances théologiques se concentrent sur notre épanouissement personnel et les moyens pour être prospères. C’est pourquoi ceux qui souffrent entendent rarement les réponses satisfaisantes aux questions que pose leur épreuve. Si le but de notre vie est notre bonheur personnel, plus que la connaissance de Dieu, comment alors être heureux quand on a un enfant handicapé, une femme malade pendant 20 ans, ou une faiblesse quelconque ? Il est devenu plus important pour les chrétiens de se sentir bien que de connaître Dieu. A l’inverse, si notre souci est de posséder Christ, la souffrance pourra être un chemin qui nous conduira vers une intimité plus grande.

 

 

Nous cherchons à régler nos problèmes plus que nous ne cherchons Dieu.

 

Quand surgit un problème, une épreuve, notre objectif est soudain de résoudre notre difficulté ou de soulager nos souffrances à tout prix ! Le Seigneur doit nous en débarrasser tout de suite. La solution de nos problèmes nous apparaît plus importante que la connaissance de Dieu. Nous n’imaginons pas que nos épreuves ou nos difficultés puissent durer. Il ne nous vient jamais à l’idée spontanément que, peut-être, l’épreuve est un cadeau de Dieu pour mieux le connaître. Que l’utilité de nos souffrances, de nos faiblesses, est de nous faire découvrir Sa grâce suffisante.

 

Nous cherchons à soulager notre souffrance parfois à n’importe quel prix. « Chaque fois que nous jugeons plus important de résoudre nos problèmes que de chercher Dieu nous sommes immoraux1 » Nous sommes capables de « tordre le cou » à la réalité dès qu’il s’agit de justifier ces péchés destinés à soulager notre affliction. J’ai excusé certains péchés, certaines pensées ou attitudes chez moi en disant : « Si je n’étais pas un homme éprouvé, je n’aurais pas ces tensions, je ne réagirais pas ainsi ! » Aucune circonstance atténuante ne nous permet de légitimer le moindre péché. Même si nous souffrons.

 

 

Nous attachons plus d’importance à la guérison de nos souffrances qu’au pardon de nos péchés !

 

La souffrance ne nous donne pas le droit de nous substituer à Dieu. Dans l’épreuve, nous avons plus que jamais besoin de l’aide surnaturelle de Dieu par son Saint-Esprit. Pour recevoir son assistance, il faut que nous recherchions Celui qui est la source. Souvent, à cause de nos souffrances, nous nous détournons de Lui pour prendre en mains nos situations et résoudre nos tensions. « Car mon peuple a commis un double péché : Ils m’ont abandonné, moi qui suis une source d’eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes crevassées, qui ne retiennent pas l’eau2 » Nous sommes coupables de nous éloigner de Dieu, notre seul bonheur, notre seul salut, notre seul espoir de solution, pour chercher des solutions qui n’en sont pas ! Coupables d’abandonner notre confiance en Lui.

 

Une de mes plus grandes questions était : « Ai-je fait tout ce que j’aurais dû pour mon épouse ? » Nous avons souvent discuté cette question. La réponse de Doris était : « T’ai-je jamais reproché quelque chose ? » Quelques semaines avant son décès, j’ai réalisé que j’avais, à différents moments de notre épreuve, pris les choses en mains. Je n’ai plus supporté les tensions, ni les souffrances, ni celles de Doris. J’ai alors entrepris de mettre en place mes solutions, mes mécanismes de défense. Dieu n’agissait pas ? J’ai fabriqué mes « citernes crevassées ». Je n’ai pas demandé à Dieu ce qu’il voulait m’apprendre.

 

Le Seigneur n’a pas pu m’accorder son aide par le Saint-Esprit, ni celle que j’aurais pu apporter à Doris. Je n’ai pas reçu du Seigneur Son amour, Sa patience, Sa compréhension, Sa douceur. Je ne les ai ni attendus ni demandés ! Je n’étais pas soucieux d’apprendre à mieux connaître Dieu au travers des circonstances pour être un vrai mari, un meilleur soutien. J’étais seulement préoccupé de moins souffrir. J’ai demandé pardon à ma femme : « II ne me suffit pas que tu dises que tu n’as rien à me reprocher. J’ai nécessairement manqué à ton égard. Je n’ai pas été renouvelé par le Seigneur. Je me suis détourné de La source pour bricoler moi-même. J’ai besoin de ton pardon. » Pardon qu’elle m’a accordé sans réserve. J’ai souvent oublié le principe suivant : « Notre objectif principal n’est pas de nous servir de Dieu pour surmonter nos difficultés, mais de traverser nos difficultés pour découvrir Dieu. »

 

 

Dans l’épreuve, le doute s’installe : Dieu est-il bon ?

 

Pourquoi prenons-nous en main nos situations, nos difficultés ? Parce que nous ne faisons pas vraiment confiance à Dieu. « Si je ne suis pas convaincu que Dieu est bon, je vais – lentement mais résolument – reprendre le contrôle de mon propre bien-être. » J’ai identifié clairement dans mon cœur le doute de la bonté de Dieu. Je me rappelle avoir dit à un frère, quatre mois avant le décès de Doris : « Jusqu’à présent, depuis près de 20 ans, la maladie a suivi son cours – sous-entendu Dieu n’est pas intervenu – ; II pourrait donc agir pour que le pire soit évité à Doris. » Dieu n’est pas intervenu.

 

La fin de ma femme a été particulièrement pénible. Aujourd’hui je réalise toute la prétention qu’impliquaient mes propos. Même sous une apparence spirituelle se cache une mise en question de la bonté de Dieu. Dieu est bon quelles que soient les circonstances ! Même si elles sont effrayantes ! Nous voulons des solutions immédiates. Nous voulons échapper à la souffrance. Or l’enjeu est la découverte de Dieu, de Celui qui peut mettre en nous les dispositions, les qualités, l’amour qui nous font défaut pour que nous soyons une bénédiction pour les autres. « Nous devons entretenir en Dieu une confiance qui nous permette de continuer notre chemin quelles que soient nos difficultés. »

 

 

Parfois nous recherchons les bénédictions de Dieu plus que Dieu lui-même !

 

Nous cherchons de toutes nos forces des solutions à nos problèmes. « En oubliant que nos épreuves, en particulier celles qui durent, sont des occasions uniques, irremplaçables de découvrir Dieu. » En réalité le fait de mieux connaître Dieu n’est pas un objectif pour nous. Ce qui nous préoccupe réellement, c’est « obtenir ce que nous voulons ». Je suis au chômage, je suis malade, j’ai de mauvaises relations avec mon mari, ma femme : Seigneur interviens, guéris-moi, agis !

 

Nous ne sommes pas désireux de mieux connaître le Seigneur, de le laisser corriger ce qui doit l’être dans notre relation avec Lui. Nous voulons ses bénédictions, les satisfactions que Dieu a promises. Puisqu’il est bon, II ne peut que nous faire du bien, que nous accorder de bonnes choses. Nous nous tenons devant Lui pour lui réclamer ces bénédictions qu’il tient en réserve pour nous. Sans nous préoccuper de Le connaître davantage. « Nous sommes plus déterminés à rendre la vie présente agréable que nous le sommes à chercher Dieu et à vivre en vue d’une espérance future. Lorsque nous nous tournons vers Dieu, c’est généralement pour lui demander d’améliorer nos conditions de vie actuelles. »

 

Remettez Dieu à sa juste place : Vous n’êtes pas au centre de votre vie. C’est Lui ! Si votre préoccupation est votre satisfaction personnelle ou la résolution de vos difficultés, humiliez-vous ! Reconnaissez que vous vous êtes trompés. Dites à Dieu que vous voulez qu’il soit désormais au centre de votre existence et de vos aspirations. Que vous voulez mieux Le connaître, collaborer avec lui et vous préparer pour l’Eternité. Ayez pour ambition d’apporter aux autres ce que vous aurez reçu de Lui par le Saint-Esprit. La paix et la connaissance de Dieu appartiennent à ceux qui se confient en sa bonté même lorsque leur vie est terrible. Vous devez entretenir une confiance en Dieu qui vous permette de continuer votre route quelles que soient vos difficultés. Et la vie est faite de drames, de souffrances, d’injustices, de douleurs insupportables.

 

 

Remettons-nous à notre place.

 

Pour aimer Dieu et développer notre intérêt pour Lui, il faut que nous arrêtions de consacrer nos forces, notre énergie, à nous aimer nous-mêmes. Nous nous portons à nous-mêmes un amour dévorant. Nous ne serons pas capables d’aimer Dieu davantage si nous ne renonçons à un amour exagéré pour nous-mêmes. « Nous ne pourrons aimer personne en dehors de nous-mêmes si nous ne rencontrons pas Dieu d’une manière nouvelle qui nous incite à le rechercher avec un cœur sans partage, tant que notre désir ne sera pas de mieux le connaître. »

 

Choisissons les vraies valeurs : Notre vie n’est pas ici-bas, aujourd’hui, mais au ciel dans l’Eternité. De nombreux chrétiens sont incapables de faire face à la souffrance et à la mort parce que leurs valeurs sont mal placées et leur vision faussée. L’épanouissement personnel n’est pas l’essentiel. Notre bien-être est moins important que la Gloire de Dieu. Christ offre l’espérance et non le soulagement au sein de l’épreuve.

 

A.S.


 

NOTES

 

1. Les diverses citations entre guillemets qui suivent sont tirées de A la découverte de Dieu de Larry Crabb (Ed. La Clairière). Ce livre a été une source de découvertes et d’encouragements pour l’auteur de ce témoignage. Nous ne pouvons qu’encourager les lecteurs de SERVIR à se le procurer et à rencontrer son auteur, Larry Crabb, qui sera l’orateur invité du prochain Centre Evangélique de Lognes (près de Paris) les 15 et 16 novembre 1999 (réd.).

 

2. Jérémie 2.13