Les sources de notre connaissance (2 parties)

 

 bible-bougie


par Frank HORTON1

 

Mutation

 

Que de chemin parcouru dans nos milieux évangéliques au cours des trente dernières années ! Beaucoup de choses ont changé, parfois pour le meilleur. Mais l’évolution des mentalités et des comportements dans le monde qui nous entoure, semble remettre en question les fondements mêmes de notre foi.

 

On observe un glissement vers une foi plus sentimentale et superficielle, plus subjective. De nouveaux modèles de spiritualité déferlent par vagues successives, venant généralement de l’ouest, pour être accueillis avec intérêt, parfois avec enthousiasme. Certains leaders évangéliques disent en substance : « Nous sommes fatigués d’une théologie froide, impersonnelle, étouffante. Ouvrons les fenêtres pour laisser souffler un vent nouveau ». Ce phénomène est mondial. On cherche le rafraîchissement dans la nouveauté.

 

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Nous sommes confrontés à un problème dont l’enjeu est de taille : l’avenir de l’Eglise de Jésus-Christ, de sa doctrine, de son témoignage.

 

De quoi s’agit-il ?

 

D’une question épistémologique.

 

Voilà un terme que l’on entend peu dans nos Eglises ! L’épistémologie est une discipline qui cherche à analyser les sources de la connaissance, à sonder sa nature, à tester sa validité. Cette question nous concerne : l’Eglise doit constamment s’interroger sur la source de sa connaissance de Dieu, les bases de sa foi. Sur quoi fondons-nous notre foi et notre connaissance de Dieu ? D’où tirons-nous notre espérance, notre assurance ?

 

La réponse n’est pas simple. En tant qu’êtres intelligents, à l’image de Dieu, responsables, nous accédons à la connaissance par divers moyens : observation, raisonnement, élaboration d’hypothèses, traditions reçues de nos pères, expériences subjectives, voix de la conscience, intuition, etc. L’Ecriture reconnaît cette complexité et parle du cœur de l’homme comme siège à la fois de l’intelligence, de l’émotion, de la conscience, de la volonté.

 

 

Sources et critères

 

Dans les siècles passés, plusieurs penseurs se sont penchés sur cette question. Il nous paraît utile de rappeler ici le souvenir de John WESLEY (1703-1791), homme de réveil et fondateur du Mouvement Méthodiste, dont l’exemple est évoqué dans Fondements doctrinaux et principes sociaux de l’Eglise Evangélique Méthodiste.

 

Les quatre piliers de la foi chrétienne selon Wesley

 

Comment rendre un témoignage crédible et authentique de Jésus-Christ ? « Wesley était persuadé que l’essentiel de la foi chrétienne est révélé dans la Bible, éclairé par la tradition, vivifié par l’expérience personnelle et confirmé par la raison ». « Notre mandat théologique […] se concentre avant tout sur une étude consciencieuse de la Bible2 », car l’Ecriture prime.

 

Quels sont les rapports entre ces différentes sources de connaissance ? « Pour soutenir son étude de la Bible et approfondir son entendement de la foi, Wesley a puisé dans la tradition chrétienne, en particulier dans les écrits des Pères de l’Eglise, dans les confessions de foi œcuméniques, dans l’enseignement des réformateurs et dans la littérature d’édification contemporaine. La tradition devient aussi source et mesure d’un témoignage chrétien véritable, bien que son autorité dépende de sa fidélité au message biblique ». De même, `le témoignage chrétien, même s’il est fondé sur les Ecritures et transmis par la tradition, reste sans effet, s’il n’est pas compris et assimilé par l’individu. Pour devenir notre témoignage, il doit s’exprimer en termes sensés et refléter notre pensée et notre expérience personnelle3 »

 

Quant à la raison, « Wesley pensait que pour présenter la foi chrétienne d’une manière convaincante, il était indispensable de faire usage de la raison. Ce n’est qu’ainsi que la Bible devient compréhensible et que son message peut s’étendre à d’autres domaines du savoir ». Ainsi, « ce qui importe avant tout c’est que les quatre éléments convergent vers une vision à la fois théologique, fidèle et sérieuse. Les connaissances, acquises par une étude sérieuse de la Bible et de la tradition, enrichissent notre expérience aujourd’hui. Une réflexion créative et critique nous permet de mieux comprendre la Bible et l’histoire que nous avons en commun avec tous les chrétiens4 ».

 

Ce résumé judicieux des quatre sources de la connaissance où tradition, expérience et raison ont un rôle légitime, si elles sont subordonnées à l’autorité suprême de l’Ecriture Sainte, fut appelé par la suite le « quadrilatère wesleyen ». Nous examinerons plus en détail chacune de ces sources tour à tour.

 

 

Ecriture Sainte

 

commentaire BibleCitons encore le manuel de nos frères méthodistes : « Nous partageons avec d’autres chrétiens la conviction que la Bible est la principale source et le critère fondamental de la doctrine chrétienne. Par la Bible, le Christ vivant vient à notre rencontre et nous faisons l’expérience de sa grâce rédemptrice. Nous avons la conviction que Jésus-Christ est la Parole vivante de Dieu au milieu de nous ; c’est à Lui que va notre confiance dans la vie et dans la mort […] Nos normes doctrinales […] établissent la Bible comme source de tout ce qui est nécessaire et suffisant au salut ; nous la recevons par le Saint-Esprit pour nous guider dans notre foi et dans notre vie5 ».

 

Prenant la parole à l’Université de Harvard lors de la célébration du jubilé de l’Union Internationale des Groupes Bibliques Universitaires au mois d’octobre 1997, le Pasteur John Stott a développé le thème de « la Vérité supratemporelle (anglais: timeless, hors de temps) qui transforme le monde ». Cette vérité est de Dieu et ne peut, par conséquent, être changée. Elle est appropriée à notre temps (anglais : timely, opportune) car, si nous n’avons pas le droit de la changer, elle réclame le droit et le pouvoir de changer nos vies par sa puissance transformatrice. Elle nous arme pour résister aux pressions culturelle actuelles que sont le pluralisme, le matérialisme, le relativisme et le narcissisme.

 

Mais en disant cela, ne prêchons-nous pas à des convertis ? Nos communautés évangéliques ne sont-elles pas, depuis toujours, essentiellement « bibliocentriques », au meilleur sens du mot ?

 

Pourtant, parfois, nos cultes donnent de plus en plus de place à la « louange », réclamée par une nouvelle génération. Cela se fait au détriment de l’exposition biblique solide et systématique et du temps qui lui est consacré. On trouve la prédication pauvre, sans intérêt, ennuyeuse. Comme si ce que nous avons à dire à Dieu était plus important que ce qu’il veut nous dire… Mais peut-être faudrait-il rappeler aux prédicateurs de résister à la pression populaire, égocentrique, avide de choses légères, et de préparer et présenter des exposés bibliques solides, systématiques, utiles… et intéressants ! Les communautés qui maintiennent ce type de prédication, en répondant aux besoins réels, et non seulement ressentis, de la congrégation, voient venir un auditoire nombreux et sérieux.

 

En quoi consiste l’exposition systématique de la Bible ? Elle cherche à répondre à trois questions :

 

1) Que dit le texte ?

 

2) Que signifie ce texte ?

 

3) En quoi ce texte nous concerne-t-il ?

 

En d’autres termes : observation, interprétation, application (cf. Néh 8.8) ! Une telle approche a les avantages d’honorer la Parole. Elle en reconnaît l’inspiration et l’autorité, elle garde le prédicateur d’aventures fantaisistes. Elle amène celui-ci à couvrir, à long terme, tous les domaines de la vérité divine, et à conduire les fidèles vers la maturité spirituelle.

 

Sous-estimer l’importance de la Parole, réduire son rôle primordial, c’est tomber dans le piège que souligne Daniel : Nous nous sommes détournés de tes commandements et de tes ordonnances. Nous n’ayons pas écouté tes serviteurs, les prophètes, qui ont parlé en ton nom… (Dan 9.5b-6a).

 

Nous ne saurions trop souligner la gravité d’une telle situation.

 

 

Tradition

 

La tradition (grec paradosis) est « la transmission de croyances et pratiques d’une génération à l’autre, surtout par voie orale. Elle a joué un rôle dans la constitution des Saintes Ecritures ; beaucoup de ses livres contiennent des matériaux transmis d’abord par tradition orale6 ».

 

Cependant, il y a tradition et tradition. Tout en reconnaissant l’autorité des pharisiens et des scribes, Jésus fut amené à rejeter leur tradition orale. Il faisait en effet clairement la distinction entre les commandements divins et les ordonnances humaines. Il appelait ces dernières la tradition des hommes et dénonçait leur résultat qui était d’annuler les commandements de Dieu (Mt 15.2-8). De son côté, Paul reconnaît avoir été mal orienté avant sa conversion par un zèle excessif pour la tradition de ses pères (Gal 1.14). Sans doute pensait-il à toutes les interprétations et règles qui avaient été ajoutées à la Torah pendant la période inter testamentaire.

 

Pour les premiers chrétiens, Jésus était le fondateur d’une nouvelle tradition, transmise et prolongée par la tradition apostolique constituée par l’exemple de la vie des apôtres. Cette tradition, il fallait la recevoir, la maintenir et la transmettre. « L’Eglise ancienne a distingué entre la tradition apostolique et les traditions postérieures appelées traditions ecclésiastiques, rétablissement du Canon des Ecrits du N.T. par l’Eglise du second siècle montre clairement qu’elle désirait se soumettre à l’autorité de la tradition apostolique fixée par écrit ». Seul était considéré comme nonne apostolique ce qui avait été écrit7.

 

L’ouvrage de l’Eglise Méthodiste souligne la contribution positive à notre connaissance de la Bible apportée par la tradition accumulée au cours des siècles. « Chaque génération ou chaque individu n’a pas à reprendre le mandat théologique depuis son début. La chrétienté ne saute pas du Nouveau Testament aux temps actuels comme s’il n’y avait rien à apprendre de la grande nuée de témoins qui ont vécu entre ces époques.

 

Les chrétiens ont toujours cherché à interpréter la vérité de l’Evangile pour leur temps. Dans cette démarche, la tradition a joué un rôle important de par ses processus, ses formes et son contenu […]. Les textes et la pratique nés de circonstances spécifiques forment l’héritage de l’expérience commune des Eglises primitives8 »

 

Tout en gardant notre souci de rester des chrétiens « bibliocentriques », nous ne devons pas négliger les innombrables leçons qu’apportent vingt siècles d’histoire de l’Eglise. Ni oublier les commentaires de grande valeur que nous ont laissés nos prédécesseurs. « Ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont condamnés à la répéter » disait le philosophe.

 

Notre recherche de la nouveauté prend parfois l’allure d’une fuite en avant, facilitée par l’attitude de leaders qui négligent l’histoire. Ils en ignorent ses leçons et considèrent comme « vieux jeu » la mentalité et les manières de faire du passé. Le résultat est un appauvrissement de la vie de l’Eglise et une banalisation du culte qui devient superficiel et subjectif. Le peuple de Dieu reste dans un état d’infantilisme spirituel (Héb 5.12-14).

 

Parmi les quatre sources de la foi chrétienne selon Wesley, la tradition de l’Eglise est utile et même nécessaire au développement équilibré de notre foi, à l’acquisition d’une juste connaissance. Mais à la condition absolue qu’elle reste soumise, dépendante de l’autorité souveraine de l’Ecriture. Nous avons vu que c’était déjà la conviction de l’Eglise des premiers siècles.

 

Dans un prochain article, nous aborderons la rôle de l’expérience et de la raison dans l’acquisition de la connaissance.

 

Les résolutions de William Booth,

fondateur de l’Armée du Salut

 

Je promets, avec l’aide de Dieu que :

 

1° Je me lèverai chaque matin assez tôt (au moins à sept heures moins vingt) pour faire ma toilette et consacrer quelques minutes , cinq au minimum, à la prière.

 

2° J’éviterai, le plus possible, les conversations oiseuses et le bavardage auxquels je me suis coupablement abandonné ces derniers temps.

 

3° Je m’efforcerai, par ma conduite et mon maintien devant le monde, et particulièrement devant mes compagnons de travail, de vivre comme un humble, doux et fervent disciple de l’Agneau. Par mes conseils et mes conversations sérieuses, je tâcherai de les amener à penser à leur âme et à son sort éternel.

 

4° Je lirai au moins quatre chapitres de la Bible quotidiennement.

 

5° Je travaillerai à resserrer ma communion avec Dieu ; je rechercherai la sainteté et m’abandonnerai, dans tous les événements de ma vie, à la Providence divine.

 

6° Je lirai ces résolutions chaque jour ou, pour le moins, deux fois par semaine.

 

Que Dieu m’aide à cultiver en moi l’esprit d’abnégation et à prendre, esclave volontaire, le joug du Rédempteur du monde.

 

Amen, Amen.

Le 6 décembre 1849

W.B.

 

*****

 

Les sources de notre connaissance  (2° partie)



John Wesley « était persuadé que l’essentiel de la foi chrétienne est révélé dans la bible, éclairé par la TRADITION, vivifié par l’EXPERIENCE personnelle et confirmé par la RAISON ». Dans le précédent numéro de Servir, nous avons insisté sur le rôle central de la révélation biblique et la contribution indispensable qu’apporte la tradition mais avec ses limites et ses dangers.


Passons maintenant aux deux dernières sources de la connaissance toujours en suivant Wesley.

 

 

L’EXPERIENCE

 

Légitimement, la foi chrétienne peut se prévaloir d’une dimension subjective, expérimentale, comme nous le rappellent les Eglises qui tendent à privilégier la voie de l’expérience.

 

Toutefois, Wesley insiste sur la nécessité de « vérifier si notre expérience personnelle et communautaire confirme la réalité de la grâce de Dieu telle qu’elle est attestée dans la Bible. Notre expérience se vit en corrélation avec les Ecritures. Nous lisons la Bible à la lumière des situations et des événements qui nous aident à devenir ce que nous sommes, et nous interprétons nos expériences en nous fondant sur le témoignage biblique […]. Or, l’expérience est à l’individu ce que la tradition est à l’Eglise : c’est le fait de s’approprier la grâce de Dieu qui pardonne et qui rend confiant. L’expérience authentifie dans nos vies la vérité révélée par la Bible et éclairée par la tradition, nous permettant ainsi de faire nôtre le témoignage chrétien9 ».

 

Le regretté théologien-philosophe Francis Schaeffer constatait l’affaiblissement du témoignage évangélique, dès lors que le témoin chrétien fondait ses convictions sur le « feeling » ou la « réponse intérieure », au lieu de faire appel à la vérité objective de l’Ecriture10. Le même dérapage vers le subjectif se manifeste dans nos groupes d’étude biblique quand l’animateur, au lieu de demander : « Que signifie ce texte ? Qu’est-ce que l’auteur a voulu nous dire ? » pose la question : « Quels sont vos sentiments face à ce texte ? » ou encore, « Comment réagissez-vous ? »

 

Il y a quelques années, j’ai prêté à un ami la brochure de John Stott, Du baptême à la plénitude : l’oeuvre du Saint-Esprit en notre temps. Après l’avoir lue attentivement, il me l’a rendue en disant : « cet ouvrage présente très fidèlement et clairement l’enseignement de la Bible. Mais ce qu’il dit ne correspond pas à mon expérience… ». Et il a choisi de rester attaché à cette dernière.

 

Certains agissent comme s’ils « croient que Dieu continue à donner aujourd’hui encore des révélations extra bibliques, et voient dans le don de prophétie la possibilité de transmettre des vérités indépendantes des Saintes Ecritures. Si cela est vrai, il est évident que l’Ecriture ne nous donne pas une révélation définitive. Ce point de vue est vraiment dangereux et, croyons-nous, contraire aussi bien à l’Ecriture qu’à la position historique du christianisme orthodoxe11 ».

 

Certains ouvrages, récemment publiés, racontent des visions dont le but est de nous donner force détails sur les temps de la fin12. On y trouve des renseignements que ne contient pas la Parole de Dieu. Leur texte échappe à un véritable contrôle biblique.

 

 

LA RAISON

 

Les philosophes grecs, Platon, Aristote, pensaient que la faculté suprême de l’homme était sa pensée, sa raison, et dépréciaient la chair et ses émotions. James Boice rappelle que « cette élévation de la raison produit un dualisme qui méprise le corps. Si l’esprit est bon, la matière est mauvaise. De là provient le conflit perpétuel qui oppose l’esprit et l’âme au corps et à la chair13 ». Le rationalisme moderne « n’est qu’une variante de la pensée classique », ajoute-t-il.

 

L’école rationaliste du 17e siècle, dont Descartes, Spinoza et Leibniz furent les principaux maîtres à penser, croyait que toute connaissance était dérivée de la seule logique, et que l’erreur provenait de l’expérience. Seul était digne de foi ce qui pouvait être démontré à la manière des théorèmes de géométrie. Ils cherchaient à démontrer rationnellement l’existence de Dieu. Rares sont les philosophes modernes qui acceptent la validité de leurs argumentations.

 

Aussi bien en ce qui concerne l’homme qu’en ce qui concerne Dieu, la raison a ses limites et ne conduit pas à une connaissance complète – ni même forcément juste – du sujet. Serait-ce une explication de l’anti-intellectualisme qui marque, parfois, la société actuelle ?

 

Citons encore le manuel des Eglises Méthodistes : « Nous reconnaissons que la révélation de Dieu et notre expérience de la grâce de Dieu dépassent continuellement la portée du langage et de la pensée humaine ; et pourtant, malgré cela, nous pensons que tout travail théologique sérieux fait appel à la raison.

 

C’est parce que nous sommes des êtres vivants doués de raison que nous :

  • lisons et interprétons la Bible,

 

  • réfléchissons à la foi et cherchons à comprendre l’action de Dieu et sa volonté,

 

  • assemblons les éléments qui composent notre témoignage et les communiquons de manière cohérente,

 

  • examinons la compatibilité de notre témoignage avec le message biblique et avec les traditions qui ont transmis ce témoignage.

 

C’est par notre capacité de réflexion rationnelle que nous intégrons notre témoignage à toute l’étendue des connaissances, expériences et engagements humains14 ».

 

Tout en adhérant à ce qui précède et en reconnaissant que les Eglises issues de la Réforme privilégient la raison, nous pensons qu’un bémol s’impose ici. Si, d’une part, nous refusons de laisser notre intelligence « au vestiaire », nous repoussons, d’autre part, la raison autonome, héritage empoisonné de la culture gréco-romaine et du Siècle des Lumières. La raison humaine ne peut être l’autorité ultime, et les systèmes philosophiques qu’elle a érigés sont en contradiction flagrante avec la révélation divine ! Pire encore, elle a été, par sa révolte, plongée dans les ténèbres (Rom 1.18ss) et par conséquent est devenue incapable de comprendre la sagesse de Dieu (1 Cor 1.17ss). Notre intelligence, pour écouter, entendre et comprendre le message biblique, a besoin d’être sauvée : délivrée, libérée, transformée, renouvelée par la puissance de l’Evangile (Eph 4.17ss ; Rom 12.1-2).

 

Il convient de mentionner brièvement ici une autre forme de raisonnement qu’on appelle le pragmatisme. Celui-ci prend pour critère de la vérité la valeur pratique : est vrai ce qui réussit, et il n’y a pas de vérité absolue. « Si ça marche, c’est bon ! » La communauté de Willow Creek, près de Chicago, peut nous servir d’illustration. Les responsables de cette communauté ont appliqué les techniques les plus poussées du marketing, en étudiant à fond leurs clients potentiels, c’est-à-dire les personnes qu’ils voulaient atteindre avec l’Evangile : quelles étaient leurs préoccupations, les besoins ressentis : angoisse, douleur, doutes existentiels, colère, problèmes conjugaux, sexuels, etc. ? Comment préparer à leur intention une Eglise qui les attire et les mette à l’aise par son décor, son programme de musique et de théâtre, la crédibilité de son message et son adaptation aux besoins mentionnés ? Le succès a été et reste extraordinaire, et nombreuses sont les communautés évangéliques qui ont pris Willow Creek pour modèle.

 

Il est indéniable, d’un point de vue purement pragmatique, que cette communauté est un exemple à prendre au sérieux. L’effort pour s’approcher de l’homme d’aujourd’hui, pour le connaître et le comprendre dans son contexte social, spirituel et moral est louable. Mais est-ce tout ? N’y a-t-il pas des critères bibliques, des principes directeurs à prendre en compte, concernant la mondanité de la culture, la tentation de l’image (cf. 1 Th 2.1-2), le marécage de la psychologie et, surtout, la tentation pragmatique d’arrondir les angles de l’Evangile pour le rendre moins rébarbatif ? D’ailleurs, les besoins ressentis peuvent n’être rien d’autre que des convoitises égocentriques !

Ne refusons donc pas la raison, don du Créateur, mais soumettons-la à l’oeuvre du Rédempteur, afin que nous puissions l’utiliser à bon escient, en nous approchant de l’Ecriture dans un esprit d’humilité et de soumission, dans la dépendance du Saint-Esprit. « L’Ecriture et l’Esprit, l’Esprit de l’Ecriture : toujours les deux ensemble, jamais l’un sans l’autre ! » Ne commençons pas par l’homme, pour lui dénicher un texte biblique « approprié » : commençons plutôt par la Parole de Dieu, comme l’a toujours fait l’Eglise, pour aller vers l’homme avec le message de l’Evangile. Et ne perdons pas de vue le fait que l’Evangile, présenté dans son intégralité, ne plaira jamais à l’homme pécheur, rebelle, car prêcher Christ reste un scandale pour les juifs et une folie pour les païens…

 

 

CONCLUSION

 

« Ce n’est pas une formation académique, ni un don de persuasion ou d’éloquence qui touchera le cœur, mais c’est la simplicité du message de l’Evangile, folle pour ceux qui périssent, mais puissance de Dieu pour nous qui sommes sauvés (1 Cor 1.18). C’est pourquoi l’apôtre Paul, en rabbin érudit et ‘charismatique’, laissait délibérément de côté la sagesse humaine et la persuasion du langage lorsqu’il témoignait de la Bonne Nouvelle.

 

Beaucoup de Chrétiens bien intentionnés font toutefois exactement ce que Paul a évité de faire. Ils sont convaincus que l’Evangile et le Saint-Esprit ont besoin d’érudition, de persuasion émotionnelle, d’une approche psychologique et d’un emballage promotionnel moderne, utilisant toutes sortes de techniques audiovisuelles. Ainsi la foi de nombreux croyants se fonde sur la sagesse de l’homme plutôt que sur la puissance de Dieu15 »

 

Ecoutons un autre appel, émanant d’un groupe de théologiens qui se sont réunis au mois d’avril 1996, préoccupés qu’ils étaient par de graves dérapages théologiques qui marquent les milieux évangéliques nord-américains. Ils ont rédigé un texte publié sous le titre de « Déclaration de Cambridge » dont une traduction en français a été publiée dans plusieurs périodiques, parmi lesquels la Revue Réformée. En voici un extrait :

 

Sola Scriptura : l’érosion de l’autorité : « Au lieu de nous efforcer d’adapter la foi chrétienne pour qu’elle corresponde mieux aux besoins des consommateurs, nous devons proclamer la loi de Dieu comme étant la norme de toute justice véritable, et l’Evangile comme l’unique vérité qui sauve. L’Eglise a besoin de la vérité biblique pour comprendre ce qu’elle doit faire, pour s’édifier et pour exercer la discipline en son sein.

 

L’Ecriture doit nous faire percevoir, au-delà des apparences trompeuses, quels sont nos besoins réels, et nous libérer de l’habitude de tout évaluer à l’aune des images séduisantes, des clichés, des promesses et des priorités d’une culture de masse. C’est à la seule lumière de la vérité de Dieu que nous pouvons nous comprendre et découvrir comment Dieu a pourvu à nos besoins. Il importe donc de prêcher et d’enseigner la Parole de Dieu dans l’Eglise. Les sermons ont à présenter et à expliquer les enseignements bibliques et non à exposer les opinions du prédicateur ou les idées du moment. Nous ne devons rien accepter d’autre que ce que Dieu a donné.

 

L’œuvre du Saint-Esprit dans une expérience personnelle ne saurait être dissociée de l’Ecriture. L’Esprit ne s’exprime pas d’une manière qui s’écarte de l’Ecriture. Sans l’Ecriture, nous n’aurions jamais connu la grâce de Dieu en Christ. Le critère de la vérité, c’est la parole biblique et non l’expérience spirituelle. […]

 

Nous nions […] que l’Esprit Saint parle de manière indépendante de l’Ecriture ou s’oppose à elle, (et) que l’expérience spirituelle d’une personne puisse servir de véhicule à la révélation. »

 

 

Frank HORTON.

 


NOTES

 

 

1.   Frank Horton, ancien professeur et directeur de l’Institut Biblique Emmaüs, continue d’apporter un enseignement apprécié dans les Eglises. Cet article a paru dans la revue PROMESSES 1998/4. SERVIR remercie l’auteur et les éditeurs de Promesses de l’avoir autorisé à reproduire cet article qui enrichit ce dossier sur la lecture de la Bible.

 

2.  Fondements doctrinaux et principes sociaux de l’Eglise Evangélique Méthodiste, p.45.

 

3.  Ibid.

 

4.  Op.cit, p.46.

 

5.  Ibid.

 

6.  Nouveau Dictionnaire Biblique, Editions Emmaüs, 1992, p.1289.

 

7.  Nouveau Dictionnaire Biblique, p. 1290.

 

8.  Fondements doctrinaux et principes sociaux de l’Eglise Evangélique Méthodiste, p.48.

 

9.  Fondements doctrinaux et principes sociaux de l’Eglise Évangélique Méthodiste, p.49.

 

10.  The Great Evangelical Disaster, Crossway Book. 1984, p. 51 s.

 

11.  Ernest Pickering, The tragedy of Compromise, p. 101.

 

12.  Par exemple L’ultime assaut de Rick Joyner, membre des « Prophètes de Kansas City » aux Etats-Unis.

 

13.  James M. Boice, Le Dieu qui libère (Ed. Emmaüs, 1987), p.7.

 

14.  Fondements doctrinaux et principes sociaux de l’Eglise Evangélique Méthodiste, p.51.

 

15.  Paul-André Eicher, dans Bible-Info, mai 1998.