« Comprends-tu ce que tu lis ? »
par Jean-Pierre Bory
Le super intendant des trésors de la reine Candace n’était tout de même pas n’importe qui ! Une sorte de ministre des finances ? En tous cas un haut dignitaire à la cour d’Ethiopie. Cet étranger était capable de lire Esaïe dans le texte original, il était cultivé. Mais aussi assez intelligent pour se rendre compte que les phrases qu’il lisait avaient un sens qu’il n’arrivait pas à saisir. Il lisait sans comprendre. Aussi la question de Philippe était-elle très pertinente !
Le problème
Lire et comprendre sont deux choses différentes : on peut être capable de l’une mais pas de l’autre. Combien de fois lisons-nous la Parole de Dieu sans même imaginer que nous ne comprenons pas exactement le sens de ce que nous lisons ?
Un lecteur de la Bible doit surmonter plusieurs types de difficultés :
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Certaines explications théologiques ne sont pas faciles à saisir : c’est Pierre l’apôtre qui le dit ! le risque est grand de déformer le sens du texte (2 Pi 3.16).
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L’interprétation donnée d’une prophétie n’est pas toujours évidente. Comment auriez-vous compris celle de Joël 2.30,31 ? Il y est question de déversement de l’Esprit sur toute chair, de prodiges en haut dans le ciel, de sang, de feu et d’une vapeur de fumée, du soleil changé en ténèbres et de la lune en sang… Rien de tout cela ne s’est produit de cette manière le jour de la Pentecôte et pourtant ce texte annonçait bien les événements de ce jour-là.
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Certains textes sont écrits de façon volontairement voilée. Jésus le confirme (Mt 11.15 ; Luc 8.10 ; Jn 16.25) : à charge aux auditeurs et aux lecteurs, et à nous donc, de chercher à comprendre ! Avec humilité, mais avec application et ténacité aussi ! Et surtout avec intelligence.
La Bible, un livre complexe
1) La Bible est composée de textes divers sur le plan littéraire
Chaque genre littéraire de la Bible doit être compris en tenant compte de ses propres règles. Ainsi deux textes apparemment proches de sens doivent être compris de façon différente : le Ps. 22, psaume messianique plusieurs fois cité à propos de Jésus dans le Nouveau Testament, parle de taureaux menaçants ; or Jésus qui cite les premières lignes de ce psaume 22 en se les appliquant, n’a jamais été menacé par un troupeau de bovins. C’était donc une métaphore suggérant des hommes méchants. Ce texte dit vrai, mais de façon imagée.
Cependant en Luc 22.52, on lit qu‘une foule armée d’épées et de bâtons survint pour s’emparer de Jésus. Il ne s’agit pas cette fois d’une image : ce groupe armé fut si réel que Jésus dut réparer la blessure causée par l’une des épées à l’oreille d’un jeune homme.
Le berger de 1 Sam 17.40 est un vrai pâtre de Palestine, mais pas celui de Ps 23.1. Il est impossible de comprendre correctement le message de Jésus sur les bergers en Jn 10, si à l’inverse des disciples et des scribes juifs, nous ne connaissons pas les nombreux textes utilisant cette métaphore dans l’A.T. : Es 44.28 ; 56.9-11 ; Jér 3.15 ; 12.10 ; Ez 34 ; etc.
On interprète donc différemment un texte historique, prophétique, apocalyptique, poétique. De plus, il faut tenir compte de son but :
2) Chaque auteur avait un objectif
Luc nous révèle le sien au début de son Evangile et des Actes. Paul aussi en répondant aux Corinthiens. La chose est claire.
Mais à quoi servent les récits de la création dans la Genèse ? Qu’ont-ils à nous apprendre ? Veulent-ils nous donner une chronologie des événements ou nous révéler l’intention de Dieu envers l’homme ?
Et le texte de l’Ecclésiaste ? Le Saint-Esprit qui a inspiré ce livre nous enseigne-t-il, avant Epicure, à jouir de la vie et des plaisirs sans penser à la brièveté de l’existence (Ecc 5.17-19) ? Certainement pas ! Mais il faut lire le livre jusqu’à son dernier chapitre pour en saisir l’objectif et le sens.
3) L’Ecriture est cohérente
Rien de plus dangereux que de sortir un verset de son contexte : si Jacques écrit que l’homme est justifié par les œuvres, et non par la foi seulement (Jac 2.24), s’oppose-t-il à Paul (Eph 2.8-9) ? Non. Ne pas tenir compte du contexte proche et des autres textes qui traitent du même thème peut nous conduire à faire dire à la Bible ce qu’elle ne dit pas. Par exemple que les femmes ne peuvent prier en public (1 Cor 14.34) alors qu’elle le font en 1 Cor 11.5. Ou bien que Jésus encouragerait les croyants à escroquer leur patron en vue de se faire de bons copains en Luc 16.8 : la parabole a certainement un autre sens !
4) Chaque auteur écrivait en son temps
En 1910, une dame de la bonne société ne montrait pas sa cheville et son mari ne sortait pas sans son chapeau sur la tête : la mode vestimentaire a bien changé depuis 90 ans… à plus forte raison depuis 19 siècles et demi : si l’apôtre enseignait que les femmes devaient porter un voile dans les réunions, c’est tout simplement parce que n’en pas mettre était une tenue négligée voire indécente dans la rue à l’époque. Peut-on se permettre, disait Paul, une attitude équivoque dans les réunions de l’Eglise ? D’où sa recommandation.
Si Abraham n’avait pas appris les droits coutumiers de la propriété foncière, la façon de marchander, l’art du non-dit à son époque, il aurait eu des problèmes avec Ephron, et Isaac et Jacob avec les descendants du Hittite. Mais Abraham connaissait la culture des Hittites et il ne tomba pas dans le piège. Il comprit quel prix de vente Ephron lui proposait au travers d’un discours parlant de don et de petite somme à ne pas prendre en compte (Gen 23.11-20). Au lieu d’un droit de jouissance, qui aurait été cause de litige à la génération suivante, Abraham acquit ainsi un droit de propriété inaliénable et non contesté par la suite (v 20).
Que signifient pour nous les gestes suivants : se frapper la poitrine, se couvrir la barbe ou la moustache, se raser la tête ou s’habiller d’un sac, siffler ou agiter les mains ? (réponses en note 1)
II serait bien illusoire de penser comprendre la richesse et la finesse de certains textes datant du Xe siècle av. J.-C., ou du 1er siècle après J.-C., en les lisant au travers du filtre de notre culture du XXe siècle. Pour comprendre l’A.T., il faut s’initier quelque peu à la culture sémitique. Et pour le N.T, il faut ajouter la pensée gréco-romaine.
5) Les langues hébraïque et grecque ont leur propre génie
La poésie française classique aime les rimes sonores, les vers rythmés de 6, 8, 12 pieds. La poésie sémitique, plus souple, attache une grande importance à l’alternance de syllabes accentuées et non accentuées et aux rimes de sens, à la symétrie des pensées2. Les textes poétiques de l’Ancien Testament usent largement de certaines figures de style ; le parallélisme par exemple :
Le gain procuré par la sagesse est
préférable à celui de l’argent
Et son revenu vaut mieux que l’or
(Pr 3.14).
Le sens du second vers fait écho à celui du premier : il le confirme avec un éclairage différent en le renforçant puisque l’or est plus précieux que l’argent.
Dans sa droite est une longue vie,
Dans sa gauche, la richesse et la gloire
(Pr 3.16).
Il serait faux d’interpréter ci-dessus que la droite (bénéfique) donne une vie bénie, et que la gauche (maléfique) conduit au matérialisme et à l’orgueil condamnables. Le second vers ne fait que confirmer que la sagesse est source de gain, non seulement en années de vie mais en biens matériels.
On trouve des parallélismes antithétiques :
Confie-toi en l’Eternel de tout ton cœur,
Et ne t’appuie pas sur ta sagesse
(Pr 3.4).
L’apôtre Jean use largement de ce procédé dans sa 1ère épître : ténèbres et lumière, vérité et mensonge, Christ et antichrist, amour et haine, enfants de Dieu et enfants du diable…
La pensée occidentale a hérité d’Aristote un « esprit géométrique » qui analyse et reconstruit selon un schéma rationnel. Elle aime passer d’une proposition à l’autre par déduction logique. Il n’en est pas de même de la pensée sémitique qui procède un peu comme les peintres impressionnistes, par petites touches successives, chacune apportant un détail complémentaire.
Un texte sémitique exprime l’idée complète dès la première phrase, puis la reprend plusieurs fois en y ajoutant chaque fois un nouvel élément. Ce n’est qu’au bout d’un paragraphe que l’on peut en saisir la pensée globale, ou le raisonnement de l’auteur (d’où l’erreur grave de ne vouloir prendre en compte que l’un des versets de la démonstration).
Ainsi, qu’est-ce que le mur de séparation d’Eph 2.14 ? Pour répondre valablement, il faut lire dès le v.11 : humanité divisée par la circoncision (11), nations étrangères à Israël ; aux alliances, sans Dieu, sans espérance (12), éloignées (13), rejetées par haine (14), condamnées par la loi (15), haïssant Dieu (16). Et nous apprenons aussi que ce mur a été détruit par le sang de Christ (13), que sa chute donne accès aux promesses, à l’espérance (12), à la libération de la condamnation par la loi (14), à la réunion des juifs et des non juifs (15), à la réconciliation avec Dieu et à l’accès dans la paix auprès du Père (16). Une double idée s’impose progressivement-à-la lecture de ces versets : en Christ nous sommes réconciliés avec Dieu, et la paix peut s’instaurer entre les hommes unis dans une espérance commune3.
6) La difficile tâche des traducteurs
II est bien rare qu’un mot grec ait exactement son équivalent en français. La généralité est plutôt inverse : ainsi un verbe grec comme sunagô (d’où dérive le mot synagogue), employé 60 fois dans le N.T. est traduit, selon son contexte, par aller ensemble, amasser, assembler, rassembler, convoquer, liguer, recueillir, rentrer, réunir, serrer. Pourtant en français la plupart de ces verbes sont loin d’être synonymes.
a) Le traducteur sera donc constamment confronté à des choix.
Il doit lui-même être un théologien, un bibliste, un excellent exégète, compétent pour analyser un texte et en proposer un sens. Aucune traduction n’est capable de rendre la totalité des sens possibles, et le choix du sens est parfois influencé par la position théologique du traducteur. Dans l’éventail des termes possibles, un traducteur calviniste préférera celui qui souligne la gratuité de la grâce souveraine, d’autres choisiront celui qui laisse un espace pour la responsabilité humaine dans la réception de la grâce.
Mais il ne s’agit pas de tomber dans le doute extrême ! La Bible est une bibliothèque de plusieurs auteurs, certains d’entre eux ayant écrit plusieurs livres. Nous avons donc la chance de pouvoir comparer des textes abordant un même thème, de voir se compléter au fil de la lecture les enseignements fondamentaux, de constater comment les livres se confirment remarquablement entre eux. C’est un miracle extraordinaire qu’un recueil de livres de genres et d’auteurs très divers, rédigés sur plus d’un millénaire, soit absolument cohérent. Mais c’est aussi un fait logique puisque le Saint-Esprit, éternel et tout-puissant, en a inspiré chacun des auteurs.
Il n’en reste pas moins que le traducteur se trouve parfois devant la nécessité de choisir entre plusieurs sens possibles. Par exemple 1 Co 7.21b où Paul a pu vouloir dire au chrétien esclave : si tu peux devenir libre, profites-en plutôt (choix de la Segond) ou même si tu peux devenir libre, mets plutôt à profit ta condition d’esclave pour témoigner de Christ (choix de la Bible de Jérusalem).
b) II existe plusieurs types de traductions.
Certaines ont pour objectif de rester au plus près de l’équivalence littérale avec l’original, ce qui donne un excellent texte pour une étude précise, pointue, de la Bible (Darby, Segond, Colombe), d’autres, pratiquant un type de traduction dite « dynamique » s’efforcent de rendre le sens phrase par phrase, plutôt que mot par mot, visant souvent aussi un langage plus moderne, plus clair pour nos contemporains peu habitués à la lecture de la Bible (Semeur, Français courant). Certaines ont visé à la fois proximité de l’original et qualité littéraire française comme la TOB ou la Bible de Jérusalem (Cette classification est beaucoup trop sommaire).
Le choix d’une Bible n’est pas sans conséquence sur notre compréhension de l’Ecriture. La comparaison de plusieurs traductions nous aidera à mieux cerner la globalité du sens qu’un texte pouvait avoir pour les auditeurs ou les lecteurs de l’époque de rédaction : pour une meilleure compréhension, il faut lire le même texte dans une traduction littérale, une littéraire et une « dynamique ».
Voilà ce que l’on peut lire en Eph 2.11 dans différentes traductions : vous étiez autrefois gentils en la chair (Martin), étant autrefois gentils (Synodale), nations dans la chair (Darby), païens dans la chair (Segond, Colombe), vous n’étiez pas des juifs… faute d’un rite accompli sur votre corps (Semeur), pas juifs de naissance (Français courant)…
L’étude de la Parole de Dieu demande un effort. Mais quel privilège de pouvoir ainsi découvrir toujours plus profondément ses richesses et le message du Seigneur pour nous ! Quelques ouvrages cités dans « Outils de lecture » (pages 21-22) pourront vous aider dans votre étude.
L’aide du Saint-Esprit
Mais au-delà de ces efforts d’interprétation nécessaires, le lecteur de la Bible possède une aide précieuse, celle du Saint-Esprit qui développe son intelligence, qui lui permet de saisir la vérité de la Parole de Dieu (Jn 16,13). Le Saint-Esprit illumine les yeux de notre cœur (le cœur étant dans la Bible le siège de l’intelligence. Eph 1.17-18) et nous permet de savoir ce que Dieu nous a donné par grâce (1 Co 2.12-13).
Calvin écrivait : « L’autorité de l’Ecriture est scellée, confirmée dans le cœur des fidèles par le témoignage intérieur du Saint-Esprit… (ce même Esprit) qui a écrit la Bible doit parler au fidèle et éclairer pour lui les pages de la Bible4 ».
J-P.B.
NOTES
1. Respectivement la contrition, la honte ou la tristesse, le deuil, la moquerie ou l’étonnement (cf. A.Kuen, Prophètes pour notre temps, Editeurs de Littérature Biblique, p.22).
2. Nous ne pouvons que recommander de lire l’excellente préface (surtout pages 12 à 15) de Louanges pour notre temps, le recueil des Psaumes présentés par Alfred Kuen sous forme de vers rythmés. Il explique bien au lecteur comment lire ces textes de façon à « retrouver un peu le souffle poétique de l’original » (Editeurs de Littérature Biblique).
3. Bible Annotée, NT3, p.378.
4. Calvin, Institution Chrétienne, vol. 1, chap. 7.