Enterrement ou crémation ?
par François-Jean Martin
La situation
Ce sujet1 semble diviser le monde chrétien et même le courant évangélique. Pourtant la pratique de la crémation se répand dans notre pays2, le nombre de crématoires augmente chaque année. La pratique est autorisée par l’Etat français depuis le vote de la loi du 30 mars 1886, accordant aux citoyens le libre choix de leurs obsèques : crémation ou inhumation.
D’abord opposée, l’Eglise Catholique Romaine sous le Pape Jean XXIII a décidé par le décret du Saint Office du 8 mai 1963 que les fidèles catholiques pouvaient faire incinérer leur corps après leur décès s’ils le désiraient3. En outre, une crémation est en général moins onéreuse qu’un enterrement.
Il faut aussi rappeler que la loi du 15 novembre 1887 stipule que la famille est tenue de respecter la volonté du défunt s’il s’est exprimé à ce sujet. Ce texte n’a pas été abrogé bien que les familles ne le respectent pas toujours.
Dans la Bible
L’Ancien Testament souligne l’importance du lieu où certains patriarches et rois furent enterrés. Il s’agissait là d’une symbolique prophétique. Ils furent enterrés dans la terre que Dieu avait promise de leur donner ainsi qu’à leur descendance.
Par contre, peut-être pour éviter toute vénération si contraire à la loi et dont on a vu dans l’Eglise les dérives, le lieu où fut enterré Moïse resta inconnu. Il en va de même dans la nouvelle alliance. Aucun des Apôtres ne fait mention de cela dans aucun de ses écrits, et même certains Pères de l’Eglise comme St-Antoine de Thébaîde (250-356 apr. J.C.), père des Erémites laissa des ordres clairs à ses deux disciples pour que l’on ne connaisse pas le lieu de sa tombe, ordres qui hélas ne furent pas suivis.
Nous croyons qu’à la mort, la partie spirituelle du chrétien humain (âme ou esprit) va avec Jésus-Christ et que la partie corporelle retourne à la poussière (Eccl 12.7). Nous croyons à la résurrection corporelle des morts (Rm 8.23, Luc 24.39, 1 Co 15.50 ; cf. article suivant). Tous les morts, qu’ils aient été enterrés ou non, ou dévorés par des animaux sur la terre, ou disparus au fond des mers, tous ressusciteront et comparaîtront à la fin des temps devant Dieu y compris ceux qui auront péri dans des incendies.
Ils recevront, dit la Bible, un corps nouveau. Paul pour parler de cela emploie une image, celle des semailles (semé corruptible, il ressuscite incorruptible – 1 Co 15.35-36.42ss). Mais cela reste une image pour parler de quelque chose qui nous dépasse. On ne peut donc l’utiliser comme argument contre l’incinération.
L’incinération, ou crémation, n’est pas abordée directement dans la Bible. Les rares exemples sont des actes de jugement : Acan, les faux prophètes pour montrer que la désobéissance et l’idolâtrie sont abominables aux yeux de Dieu ; le cas de Saül et de ses fils semble montrer que cette pratique pouvait exister en Israël et la réaction de David montre qu’il ne désapprouve pas cette pratique. Il faut signaler cependant que les os qui n’ont pas été consumés ont été enterrés. Au fond, il n’y a pas d’arguments forts empêchant une incinération.
Les raisons du refus de la crémation
D’où proviennent donc les réticences encore actuelles ? Elles sont de trois ordres dans notre pays :
- La Parole ne met pas en avant cette pratique mais parle à l’occasion d’enterrement.
- L’imprégnation de siècles de culture catholique romaine4 qui rejetait l’incinération et réservait le bûcher aux hérétiques, aux sorciers et aux sorcières.
- Les positions athées des libres penseurs et des francs-maçons qui, en défi ouvert contre Dieu (ou du moins contre la pensée catholique dominante), exigeaient que leur corps soit brûlé pour montrer que, jusqu’au bout et au-delà de la mort, ils ne laisseraient rien à Dieu.
Nous avons vu que les deux premiers points n’ont pas, ou plus de raison d’être ; le troisième pour un chrétien paraît à la fois tragique et dérisoire : l’incinération du corps pourrait-elle empêcher celui ou celle qui l’a autrefois habité de comparaître devant Dieu ?
Comme pour beaucoup de choses, tout est permis mais tout n’est pas utile. Selon le contexte, la démarche de crémation pourrait choquer, surtout dans les villages traditionnels au niveau religieux. Mais dans d’autres cultures, c’est l’enterrement qui choque (exemple en Inde5). Peut-être dans l’avenir, des questions d’hygiène et aussi le manque de place dans les cimetières6, pourront faire de la crémation une démarche généralisée.
A l’heure actuelle, dans notre société sécularisée, le choix de la crémation n’est plus en général un refus de Dieu. La plupart des personnes n’ont plus de conviction religieuse et ils ignorent tout autant que la crémation a été un acte de prise de position athée. Le milieu urbain qui est le principal mode de vie dans notre pays, favorise le choix de la crémation.
Conclusion
Cette question n’est pas un point de doctrine fondamentale. Elle ne concerne pas la personne de Dieu, de Jésus-Christ ou notre salut. La Bible ne se prononce pas sur ce sujet. C’est un point secondaire. Et dans ce cas, nous avons à appliquer les principes que Dieu nous laisse à travers Paul, dans l’épître aux Romains, chapitre 14. Sur de telles questions, c’est à la liberté que nous avons été appelés, tout en prenant garde à ne pas être un sujet de scandale ou de chute pour d’autres. Aussi veillons à respecter et à comprendre la décision prise par un frère, une sœur, une famille, de choisir l’ensevelissement ou la crémation.
F.-J. M.
NOTES
1. Ces derniers temps plusieurs livres ont paru sur ce sujet. Cet article doit beaucoup au travail de la Commission Ethique de la Fédération Evangélique de France, Enterrement ou Crémation.
2. Un défunt sur 6, soit plus de 100 000 par an en France.
3. » L’Eglise permet l’incinération si celle-ci ne manifeste pas une mise en cause de la foi de la résurrection des corps « , Catéchisme de l’Eglise Catholique, Mame/ Plon, nov. 1992 ; § 2 301 p.470.
4. Les chiffres européens sont très parlants à ce sujet. Les pays de tradition protestante ont un taux de crémation élevé (Grande-Bretagne 70 %, Pays Scandinaves 70 %), ceux de tradition catholique ont les plus bas (Autriche 18 %, Espagne 4 %, Italie 2 %, Portugal 1 %).
5. Les religions juives, chrétiennes orthodoxes et musulmanes refusent la crémation. Dans le protestantisme luthérien, reforme ou anglican, la notion de sacrement de l’extrême onction disparaît. Les funérailles, comme le mariage, sortent du cadre religieux. Même si une cérémonie existe, elle n’est pas considérée comme obligatoire. Aussi le protestantisme n’a pas développé de position contre la crémation. Ne pas prier pour les morts, ne pas faire des messes pour eux, ne pas croire au purgatoire le libérait du culte des morts et donc de la préférence pour les ensevelissements.
6. Généralement les concessions dans les cimetières de ville sont accordées pour 15 ans, 25 ans, puis les familles doivent décider de ce qu’elles font du monument et des restes du corps.