La peine de mort, légitime aujourd’hui ?

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par Jean-Pierre BORY

 

 

 

La volonté première de Dieu

 

On chercherait vainement un texte biblique, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, qui interdise formellement la polygamie ou l’esclavage. Des hommes «selon le cœur de Dieu», cités en exemple pour leur foi et leur fidélité comme Abraham et le roi David, étaient polygames. L’apôtre Paul se fait un devoir de renvoyer l’esclave Onésime à son maître Philémon.

 

 Pourtant, la Bible tout entière enseigne la monogamie dès ses premières pages : Dieu a créé un homme et une femme pour être une seule chair ; celui qui doit exercer l’autorité et donner l’exemple dans l’Eglise, l’ancien, doit être mari d’une seule femme ; la juste relation dans le couple est comparée à celle qu’a le Christ avec l’Eglise (Ep 5.25). La volonté première de Dieu est donc bien la liberté de l’homme et la monogamie.

 

De même, quoique la mort soit entrée dans l’humanité avec le péché, sa volonté première est la vie et non la mort, même après la chute.

 

 

L’Ancien Testament

 

La peine de mort existait en Israël

 

Dans le Pentateuque, la fameuse « loi du talion » était assortie de diverses clauses parfois suspensives ; en Ex 21.12, il fut annoncé la création de refuges pour les meurtriers involontaires : il s’agissait de 6 villes en Israël (Nb 35). Un meurtrier pouvait s’y mettre sous la protection des anciens (l’autorité locale, civile et judiciaire) en attendant qu’il passe en jugement (Jos 20.1-9), non sous le coup de l’émotion, mais devant une communauté dépassionnée (v.6) ; plusieurs témoins étaient nécessaires (Nb 35.30). S’il était meurtrier involontaire, il pouvait simplement être condamné à résider dans cette ville ; le décès du souverain sacrificateur, le seul grand magistrat de l’époque, marquait la fin de sa peine et il pouvait rentrer chez lui.

 

Cependant la peine de mort existait : des fautes morales comme l’adultère, l’assassinat avec préméditation, ou des fautes religieuses (Lv 20.2), entraînaient une condamnation à mort. Mais les lois mosaïques faisaient bien la distinction entre les divers crimes et fautes, et assortissaient la peine à leur gravité.

 

Si cette peine a été instituée, c’est d’abord pour montrer la gravité de la faute

 

Toute désobéissance au moindre des commandements de Dieu mérite la mort. On remarque dans le début de l’histoire d’Israël que certains hommes furent punis de façon particulièrement sévère : Koré, pour une tentative de sédition contre Moïse (Nb 16), Akan, pour un détournement d’objets réservés à Dieu (Jos 7). Il fallait que le peuple naissant, choisi par Dieu, sache la gravité de toute désobéissance à la volonté de Dieu. Des fautes identiques, commises plus tard, souvent stigmatisées par les prophètes, n’entraînèrent pas un tel châtiment immédiat.

 

Dieu n’avait pas le désir de la mort du pécheur

 

II est intéressant de noter qu’à la suite du premier crime commis par un homme, l’intervention de Dieu eut pour objectif, non la mort du meurtrier, mais sa protection : un «signe» mis sur Caïn menaçait un vengeur éventuel d’être lui-même puni « sept fois » plus durement : pouvait-on exécuter sept fois le même homme ? Cette expression suggère plutôt un châtiment terrible. Certes Caïn fut puni, ce qui n’était que justice, mais non par une exécution. Dieu, en protégeant la vie de Caïn, un assassin, prévenait un processus de vendetta.

 

En Gn 9.6, il est dit : celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé. Mais F. WESTPHAL fait remarquer que cette phrase se trouve dans un passage où Dieu veut donner la certitude à la nouvelle humanité, née de la famille de Noé, qu’elle demeure sous sa protection. Dieu se fait le garant de la vie de l’homme1. Une note de la traduction oecuménique de la Bible dit « Dieu dispose de toute vie, puisque c’est lui qui la communique. De plus, l’homme ne peut attenter à la vie d’autrui sans attenter à Dieu lui-même, dont l’homme est l’image ». S’agit-il en Gn 9 d’une institution de la peine de mort ou n’est-ce pas comme dans le cas de Caïn, une réaffirmation de la gravité particulière du meurtre, et l’assurance que Dieu ne laissera pas impuni un tel crime ? Faut-il lier Gn 9.6 à 8.22 et en faire une institution définitive de la peine capitale comme le suggère Paul WELLS ? Certes les lois ultérieures dictées à Moïse incluent la peine de mort pour divers crimes et fautes. Mais l’accomplissement parfait de cette loi par Christ qui inaugure une nouvelle alliance ne met-il pas un terme à l’application par l’homme de cette disposition ?

 

 

Nouveau Testament

 

La loi confirmée

 

Jésus, lorsqu’il commente les commandements divins dans le sermon sur la montagne (Mt 6), loin de les minimiser, en aggrave plutôt la portée ; ce n’est pas seulement l’acte qui qualifie la faute, mais déjà l’intention : la colère est déjà meurtre, le regard de convoitise est déjà adultère. Cependant Jésus n’a pas appliqué la peine de mort à ceux qui commettaient ces péchés. Les pharisiens qui laissaient leurs parents dans la détresse, Zachée qui spoliait les pauvres, ne furent pas non plus punis de mort physique (ils enfreignaient cependant les 5e et 10e commandements), ni la femme adultère, que le Seigneur seul juste, aurait eu le droit de lapider. Ceux qui souillaient le parvis du temple avec leur commerce lucratif n’ont été que chassés à coups de fouet… Le Seigneur ne les a pas foudroyés.

 

Les apôtres n’ont condamné personne

 

Ananias et Saphira tombèrent morts (non par une condamnation de Pierre) pour une faute que bien d’autres ont commise après eux sans en périr : un mensonge, un acte d’hypocrisie… Mais comme le peuple d’Israël naissant, l’Eglise devait dès sa création, comprendre la gravité de toute insoumission à Dieu, même dans la Nouvelle Alliance. Cette mort physique, exemplaire, illustrait le sort spirituel que méritait le pécheur. Ceux qui sont tombés malades ou moururent pour avoir méprisé la cène n’ont pas non plus été jugés par des hommes (1 Co 11.30).

 

Paul s’est contenté de chasser de l’Eglise, de renvoyer dans le monde dirigé par Satan, le plus dévoyé des Corinthiens (1 Co 5.5 ; cf. 1 Tm 1.20 et Ti 3.10-11). Dieu est celui qui exerce le jugement.

 

Car le péché, c’est d’abord une injure à Dieu lui-même

 

Toute faute atteint non seulement le prochain mais Dieu lui-même : déjà Joseph avait conscience que s’il commettait un adultère avec la femme de son maître, il pécherait premièrement contre Dieu (Gn 39.9) ; c’est ce que David confesse aussi (ps 51.6) ; Ananias n’avait pas seulement trompé l’Eglise mais surtout menti au Saint-Esprit. L’égoïsme, l’indifférence à l’égard du pauvre blessent le Seigneur lui-même (Mt 25.42-43). Aucun homme sur terre ne peut prétendre avoir accompli toute la loi, il n’y a pas de juste, pas même un seul, il n’en est aucun qui fasse le bien.
Or le salaire du péché, c’est la mort (Rm 3.10ss et 6.23) : la mort spirituelle. Dieu qui est juste ne pouvait pas ne pas condamner celui qui péchait : toutefois la peine de mort fut appliquée par Dieu, non sur les coupables, mais sur le seul Juste, Jésus, son Fils, qui prit sur lui volontairement la peine méritée par les pécheurs.
Cette expiation allait permettre la naissance d’un peuple nouveau.

 

 

De nouvelles règles pour un royaume nouveau

 

Dans le premier grand discours de Jésus qui nous est rapporté, le Seigneur termine son commentaire sur la loi de Moïse en proposant une «autre loi» (Mt 5.39) : mais moi je vous dis, répète-t-il, de ne pas réclamer vengeance pour une offense, de ne pas user de violence contre le méchant, d’aimer non seulement votre prochain mais votre ennemi.

 

Cette nouvelle manière de vivre et d’appliquer la justice, n’est réalisable que pour ceux qui ont été rendus justes par la mort de Christ, pour avoir « revêtu Christ » en sorte que Christ vive en eux. Même dans l’Eglise terrestre, Paul reconnaît que cela ne va pas de soi (Rm 7.14-25), et Pierre dit bien qu’un tel mode de vie paraît très « étrange » à notre monde (1 Pi 4.4), un monde qui reste corrompu et méchant.
Ce nouveau type de relation n’exclut pas la sanction contre les fautes, même dans l’Eglise (Ap 2.14-15, 20).

 

Des autorités dans le monde en attente de ce royaume parfait

 

Si la discipline reste nécessaire dans l’Eglise, à plus forte raison l’est-elle dans le monde perverti. C’est pourquoi Dieu dans son amour qui s’étend à toute l’humanité pécheresse a institué des autorités parmi les hommes, chargées de maintenir, autant que faire se peut, la paix et la justice sur la terre.

 

Or, pour atteindre son objectif, cette autorité humaine reçoit de Dieu le droit de sévir contre les malfaiteurs (1 Pi 2.14).

 

Une délégation de pouvoir limitée

 

Ont-elles reçu le droit de condamner à mort ? Le seul texte de Rm 13.4 qui mentionne l’épée du magistrat fonde-t-il ce droit ? « On y a vu une allusion au Ius gladii2 romain, par lequel un citoyen romain, servant dans l’armée, pouvait être condamné à mort. Mais cela est douteux. Paul exprime plutôt une déclaration générale, à savoir que l’Etat a le pouvoir de réprimer la résistance lorsque l’ordre civil est en péril3. Pour prévenir le désordre (rôle premier des autorités), la mort du fautif est-elle nécessaire ? L’emprisonner suffit pour l’empêcher de nuire.

 

Encore une fois, il est aussi intéressant de noter que ce fait de « poursuivre en justice4 » les fauteurs de troubles « en vue d’une punition » (Rm 13.4) est une prérogative que le Seigneur revendique pour lui-même (Ap 3.16; 23) et qu’il exercera dans notre temps ou au jour du jugement : C’est à moi qu’il appartient de faire justice ; c’est moi qui rendrai à chacun selon son dû (Hébreux 10.30 ; trad. du Semeur), ce que confirme le verset suivant : Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant.

 

Le rôle du magistrat ne semble donc pas être celui d’exécuter les criminels, mais plutôt de veiller au bien de la société (Rm 13.4a), et pour cela il dispose de la force (l’épée) pour réprimer les malfaiteurs et leur signifier ce que méritent leurs crimes devant Dieu.

 

Les arguments humanistes

 

On pourrait en citer plusieurs : le risque avéré des erreurs de la justice humaine, les statistiques qui montrent que la peine de mort ne fait pas diminuer la criminalité, l’horreur des couloirs de la mort, le droit inaliénable de l’homme à la vie, la légitimité ou non pour l’homme, fût-il juge ou juré, de décider de la mort d’un autre homme, le fait que la mort d’un homme ne répare pas le mal commis, etc. Mais ces arguments sont souvent trop marqués par nos émotions humanistes et sentimentales.

 

Certains arguent aussi qu’une mort prématurée prive le criminel du temps de vie que lui accorde Dieu pour une repentance. Et il est vrai que la prison a été pour plusieurs le lieu où ils ont rencontré le Christ.

 

 

En guise de conclusion

 

Un « mot de la fin » est-il possible en cette matière ? Le monde se trouve dans une situation provisoire, les hommes sont invités à entrer spirituellement, par la foi et en espérance, dans un royaume parfait qui ne frappe pas les regards (Luc 17.20) : c’est le moins que l’on puisse dire, quand on constate autour de soi la montée de la violence, des injustices, la multiplication des « affaires ». Mais c’est aussi ce provisoire qui relativise le pouvoir des autorités de ce monde : leur délégation se borne à maintenir la paix et la justice pour le bien des hommes en général, ce qui est aussi l’objectif de la Providence divine ; elles ont à châtier les malfaiteurs avec pour objectif final «leur bien» à eux aussi, car bien que criminels, ils restent des hommes : leur sort n’est pas indifférent à l’amour de Dieu. Le châtiment qui leur est infligé devrait « les restructurer intérieurement5 » en vue d’une réinsertion possible dans la société, et non les priver d’avenir. L’exécution d’un condamné atteint-elle cet objectif ?

 

J.-P. B.


 

NOTES

 

1.  Fritz WESTPHAL, « La peine de mort en question », lors d’une émission sur FR3 Radio-Strasbourg, sd.

 

2.  lus gladii : le droit du glaive.

 

3.  Nouveau Commentaire Biblique, Editions Emmaüs, p. 1088.

 

4.  Le mot grec ekdikos peut signifier : « qui poursuit en justice », ou « qui venge ». Et le mot orge, signifie « la colère » ou « la punition ».

 

5.  Dr Véronique VASSEUR, ancien médecin à la prison de la Santé (émission « Des racines et des Ailes », FR3, du 7.2.2001).