Que signifie « Lier et délier »
par Alfred Kuen
Cette expression a reçu, au cours de l’histoire de l’Église, des interprétations et des applications très différentes. Dans. l’Eglise catholique romaine, elle constitue la base du « sacrement de la pénitence ». Le chanoine O.SCHOELLIG dit : « Le Sauveur a donné aux apôtres et à leurs successeurs la mission, et par conséquent le pouvoir de remettre les péchés à sa place. » (Jn 20.22 et 23).
Il est certain que le sens de « remettre les péchés » n’est pas à exclure, vu la répétition de ces paroles dans Mt 18.18, juste après les directives au sujet de la discipline dans l’Eglise et surtout les paroles de Jésus dans Jn 20.23 : Ceux à qui vous remettrez les péchés en seront effectivement tenus quittes; et ceux à qui vous les retiendrez en resteront chargés. L’autorité des apôtres pour administrer l’Eglise suppose leur autorité pour exercer la discipline.
Mais il faut se hâter d’ajouter que ce pouvoir redoutable, ici conféré à Pierre, l’est également à tous les apôtres, et même à toute l’Église (Mt 18.18 ; Jn 20.23), dans laquelle réside, pour tous les temps, l’autorité d’exercer sur ses membres une discipline chrétienne.
Ce sens, qui convient à Mt 18.18, n’épuise toutefois pas le sens de cette expression. En effet, l’étude de la littérature rabbinique du temps de Jésus a fait apparaître un autre sens que cette expression avait dans les milieux juifs de l’époque. Lier et délier signifiait dans le langage des rabbins : interdire et permettre. En parlant du droit de ramasser du bois le jour du sabbat, on disait « L’école de Schammaï le lie » c’est-à-dire le défend, « l’école de Hillel le délie » c’est-à-dire le permet.
Dans le monde arabe, il existe des groupes appelés « ceux qui peuvent lier et délier ». Ce sont ceux qui, confrontés la question : « Est-il permis ou défendu » peuvent répondre de manière définitive. Dans certaines sectes chiites, ce sont les descendants du Prophète qui ont un droit personnel de « lier et délier ».
Cette expression se rapporterait donc avant tout à l’enseignement qui définit la conduite à tenir. Les décisions d’enseignement des rabbins étaient aussi désignées par les mots : ouvrir ou fermer. C’est ce que l’on appelait le « pouvoir des clés ». «Tous les serviteurs de l’Eglise régulièrement appelés possèdent les clés du royaume des cieux et exercent le pouvoir des clés lorsqu’ils proclament l’Evangile « disait Henri BULLINGER, collègue de ZWINGLI. Pour CALVIN également, ce pouvoir des clés n’était rien d’autre que « le ministère de la Parole » qui proclame que tous les esclaves du péché et de la mort sont libérés par la rédemption qui est dans le Christ Jésus (Institution Chrétienne IV 11.1).
C’est pourquoi la Bible du Semeur a traduit Mt 16.19 : « Je te donnerai les clés du royaume des cieux, et tout ce que tu interdiras sur la terre aura été interdit aux yeux de Dieu, et tout ce que tu permettras sur la terre aura été permis aux yeux de Dieu. »
A.K.