Jésus-Christ, homme de notre terre
par François-Jean Martin
Situation et enjeux
Les chrétiens évangéliques ont tellement bataillé pour défendre, à juste titre, la divinité pleine et totale de Jésus, qu’ils ont oublié l’autre aspect pour lequel tout allait de soi. Les théologies libérales et même les athées reconnaissaient sans problème l’humanité de Jésus. Donc elle n’était point un sujet de combat. Aussi a-t-on fini par l’oublier… ou presque. Or c’est une des vérités essentielles de la foi que l’Eglise des premiers siècles a défendue fortement.
Personne ne niant l’humanité du Christ, on n’y prête donc pas attention, elle reste dans l’ombre. Les chrétiens en viennent donc à définir leur foi en fonction des éléments principaux du débat apologétique actuel sur la divinité du Christ. L’équilibre essentiel entre vrai homme, vrai Dieu, affirmé dans les premiers credo1 se trouve donc rompu. En outre, cette humanité de Jésus a été souvent galvaudée à cause de l’insistance des courants non évangéliques sur cet aspect de la personne du Christ. Ceci pouvant aller jusqu’à l’hérésie. J’ai ainsi le souvenir, lors de la sortie en France du film de Scorsese : « La dernière tentation du Christ », d’articles écrits pour défendre la divinité de Jésus, allant jusqu’à nier que le Christ ait pu être tenté. Pour défendre la divinité, on était prêt à sacrifier l’humanité.
La mise en avant systématique du surnaturel concernant Jésus en fait un modèle qui entraîne, pour le chrétien, l’oubli de sa propre humanité : « Quelle est ton image du Christ et je te dirai quelle est l’image que tu as de toi ! » pourrait-on dire.
Notre insistance sur le surnaturel de Jésus a rendu le Christ surhumain et cela conduit à comprendre la vie chrétienne de la même façon, en y recherchant le surnaturel. On finit ainsi d’ailleurs par ne plus voir ce qu’il y a de surnaturel dans ce qui nous paraît naturel dans notre vie quotidienne.
La réalité
II ne suffit pas de croire à l’historicité de Jésus, il faut publier, confesser sa nature humaine. On pourrait admettre que Jésus-Dieu soit venu sur la Terre à un moment précis sans croire pour autant qu’il se soit pleinement incarné. La nature humaine de Jésus fait partie de la prédication des apôtres. La première épître de Jean en est un exemple frappant.
L’acceptation de l’humanité du Christ y apparaît comme la pierre de touche d’une vie chrétienne authentique. La question est décisive. Face au courant hérétique des docètes qui rejetaient la chair et donc la possibilité pour l’esprit divin de s’y associer, l’apôtre Jean annonce clairement que Jésus est devenu véritablement homme, il est venu en chair… (1. Jn 4.2 ; 2 Jn7)2.
A tout moment, dans le sein de Marie ou dans la cour du temple, à Gethsémané ou sur la croix, Jésus est pleinement humain et pleinement divin. A aucun moment il n’y a eu rivalité entre les deux natures, ni essai d’éviction de l’une par l’autre. Bien entendu, comprendre aisément cela nous est difficile. Cette réalité nous dépasse.
Contrairement à l’a priori commun à un certain nombre de chrétiens, ni son absence de péché, ni sa divinité, ne retirent quoi que ce soit à son humanité.
Sa nature humaine est rappelée par la réalité du corps, de la parole faite chair, par les généalogies, par sa conception et sa naissance, fussent-elles accompagnées de prodiges ; tout cela rattache le Christ à l’humanité. On voit durant son ministère un homme qui a faim et soif, qui mange et boit, qui connaît la fatigue, qui se repose et dort ; il est angoissé, affligé, il souffre, il pleure sur son ami, sur sa patrie, sur Jérusalem ; son sang coule et il meurt. Il prie Dieu comme les hommes, il a des amis et des ennemis, il sait être indigné et se mettre en colère, témoigner de l’amour, éprouver de la joie, faire la fête et être triste. On ne peut qu’être touché par ce passage bouleversant qui montre Jésus au jardin de Gethsémané, murmurant un « s’il est possible ». Ici il n’y a pas d’apparence, il y a la réalité de l’humain.
La lettre aux Hébreux parlant du sacerdoce du Christ souligne l’humanité de Jésus et par là même sa capacité à nous comprendre.
L’humanité de Jésus n’était pas accidentelle, mais délibérée, nécessaire et entière. Cette incarnation du Fils de Dieu souligne encore plus la dignité de la nature humaine à l’image de Dieu. Elle nous donne une idée de la valeur de l’homme aux yeux de Dieu. Dieu n’a pas méprisé la nature humaine, il l’a pleinement revêtue en Christ. En Christ, Dieu a pris totalement part à l’expérience humaine, étant exempt de péché, il a constitué le sacrifice expiatoire parfait, le seul possible acceptable par Dieu.
Conséquences
Notre vocation est d’adorer et de servir Dieu dans l’Eglise et de témoigner pour lui dans le monde. Mais nous devons aussi être humains : vivre dans le monde de Dieu comme des hommes rachetés qui accomplissent son dessein initial pour la création. Dieu est partout et pas seulement dans le religieux : nous ne pouvons enfermer Dieu dans une sphère qui à nos yeux serait supérieure aux autres. C’est le début de la schizophrénie des « chrétiens partagés » (Rm 7.15, 20ss, Eccl 7.20).
Aucune de nos activités n’échappe à Dieu. Qu’elle soit « spirituelle » (un service dans l’Eglise) ou profane. Il est faux de réduire l’intérêt de Dieu au domaine spirituel. La vocation de la secrétaire est de servir Dieu en servant son employeur et il en est de même pour l’ouvrier, l’aiguilleur où le médecin, l’ancien d’Eglise ou l’évangéliste. Leur première responsabilité envers Dieu concerne la manière dont ils répondent à leur vocation.
La vocation d’Adam a été d’être jardinier et Jésus a consacré une grande partie de sa vie à travailler comme charpentier. Dieu s’intéresse aux bleus et aux tabliers de travail ! Sachons donc aimer les hommes et les activités que le Seigneur leur confie ; sachons prier pour eux, hommes comme nous, comme Jésus le fut, à la fois citoyen de sa patrie terrestre et Homme de Dieu accomplissant un service spirituel.
F-J. M.
NOTES :
1. voir le Credo de Nicée-Constantinople page 5 de ce même numéro.
2. cf. aussi Rm 5.15 & 1 Co 15.21; Phil 2.7-8; 1 Tm 2.5).