Du dialogue interconfessionnel au dialogue oecuménique

 

 

 

Des divergences sont apparues dès l’époque apostolique entre les «judéo-chrétiens» restés attachés aux prescriptions de la loi et de la tradition, et les «pagano-chrétiens», émancipés de celles-ci. Les épîtres du Nouveau Testament en portent témoignage.1
 
 
Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre ce que vous entendez ce que vous croyez comprendre et ce que vous comprenez, il y a bien des possibilités de ne pas s’entendre…

 

Dialogue interconfessionnel 

 
Certes, il ne convient guère de parler ici de «confessions» différentes. Mais la crise fut profonde et devait marquer durablement bien des communautés issues de la première expansion missionnaire du christianisme. L’unité ne pouvait être maintenue qu’au prix de contacts suivis, donc de «dialogues» entre les différents apôtres et anciens ou «épiscopes» (Ac 20.28). Pareillement, les signes avant-coureurs du gnosticisme, surtout vers la fin du premier siècle, ont exercé un certain attrait et touché les fondements de la foi : les mises en garde que l’on discerne dans plusieurs écrits sont,  dans un premier temps, des argumentations dans le «dialogue» en vue du retour à la foi transmise.2
 
 Les grandes «confessions» n’émergent que progressivement au cours des siècles suivants avec le développement de doctrines et de pratiques de plus en plus diversifiées et sous la pression de courants hérétiques. Alors des schismes importants vont se produire: dès les 4e et 5e siècles, entre différentes Eglises d’Orient, et plus tard au 11e siècle, entre l’Eglise d’Occident, dite catholique romaine, et l’Eglise d’Orient, dite catholique orthodoxe. On doit considérer les grands Conciles qui jalonnent la première période comme des lieux de «dialogues» – parfois bien âpres et tendus.3
 
 
 
Les mouvements de la Réforme des 15e et 16e siècles vont déclencher de nouvelles luttes et controverses, entre les protestants et Rome. Le «dialogue» est manifestement plus conflictuel que consensuel (persécutions, …). On peut cependant mentionner les disputes théologiques lors de rencontres entre théologiens, en particulier protestants et catholiques (Luther, Huss,…).
 
 Le protestantisme lui-même se divisera en de nombreux courants divergents où la «dispute» se transforme plutôt en affrontements, hélas parfois violents. Cependant, malgré les positions raidies des uns contre les autres, des contacts interconfessionnels n’ont pas cessé d’exister du 17e au 18e siècle, mais on ne peut guère parler de dialogue au sens moderne, étant donné le peu d’impact laissé. 
 
Les réveils du 18e siècle (piétiste, morave, méthodiste…) eurent pour premier effet la création de nouvelles dénominations, mais aussi un remarquable essor missionnaire. Au 19e siècle, cet élan prit une ampleur sans précédent, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. De nouvelles Eglises naquirent et de nombreuses oeuvres dans leur sillage4.
 
 En présence de l’émiettement en multiples fractions et dissidences émerge alors une nouvelle prise de conscience. Elle part du constat maintes fois expérimenté lors de rencontres fraternelles ou de collaborations entre chrétiens, de l’existence d’une véritable unité évangélique transversale. Elle débouchera sur le désir et le besoin ressentis par beaucoup de pasteurs et de laïcs de nombreuses Eglises, dénominations, missions, oeuvres, de se rencontrer. Ainsi naît, en 1846, l’Alliance Evangélique Universelle dont l’intention est d’exprimer et de manifester cette communion. Le terme dialoguer ne connaissait pas encore la fortune d’aujourd’hui, il n’est donc pas étonnant qu’on ne trouve pas de mention explicite de «dialogues» préalables à sa fondation, entre les instances des dénominations protestantes et évangéliques. Mais des dialogues et des discussions, il y en eut, déjà avant cette Assemblée : le projet d’une réunion universelle fut lancé dès 1843 ; il y en eut pendant l’Assemblée5 et il y en eut encore après : débats autour de certains problèmes et combats, comme la question de l’esclavage…
 
On peut dire que l’Alliance Evangélique fut le premier mouvement de rapprochement «oecuménique» sur la base de l’Evangile, avec d’emblée une ampleur mondiale.7 Il ne s’agissait pas de rassembler les Eglises, ni de se substituer à elles, ni de diminuer la vocation particulière d’une Eglise (union nationale ou communauté locale). L’unité ne se fonde pas sur des déclarations de principes et d’intentions et ne s’acquiert pas au moyen de tractations et de compromis entre états-majors ecclésiastiques. Il s’agissait plutôt d’encourager les Eglises à s’ouvrir les unes aux autres pour découvrir et approfondir la communion voulue par le Seigneur et d’entrer dans un dynamisme et une dimension qu’elles ne pouvaient pas embrasser toutes seules. Dans la pratique, on allait se parler mutuellement, prier sincèrement ensemble (instauration de la Semaine Universelle de Prière dès 1847), se concerter utilement pour agir ensemble. Entrer en relation suppose bien dialoguer.

« Le dialogue véritable consiste à s’appuyer sur l’idée de son interlocuteur, non à la démolir. » Edward G. Bulwer-Lytton
 
 

Dialogue oecuménique 

 
Le besoin d’une plus grande unité surgira autrement encore, surtout dans le contexte missionnaire, dans la lancée du grand congrès mondial missionnaire d’Edimbourg. En raison de l’expansion du christianisme dans le monde entier et au contact de presque toutes les cultures, on en vint à se poser la question s’il était légitime d’exporter et de reproduire sur tous les continents le même schéma de division des Eglises européennes (en tout cas protestantes et évangéliques), alors qu’il y avait accord sur les points fondamentaux de l’Evangile à annoncer. Par ailleurs, on nourrissait l’espoir de voir reculer les autres religions dans un avenir proche. Ne pouvait-on pas alors envisager un rapprochement entre les différentes dénominations, dans le prolongement d’une certaine entente déjà pratiquée en terre missionnaire ? Ainsi naquit le mouvement oecuménique. La notion et la pratique d’un dialogue entre confessions différentes prirent donc de l’importance surtout dans les cercles préoccupés par ces questions8. Après le coup de frein dû à la première guerre mondiale, d’autres congrès eurent lieu entre les deux guerres, où furent élaborés les grands domaines de « dialogue » pour l’unité, essentiellement sur deux plans : « Christianisme pratique » et « Foi et Constitution ». 
 
Le mouvement s’est structuré avec l’institution officielle du Conseil OEcuménique des Eglises (C.O.E.), en 1948, lors de la Première Assemblée à Amsterdam. D’une Assemblée à l’autre, le nombre de membres s’élargit. La  présence catholique date de 1968 (Uppsala), soit après le Concile Vatican II. Le courant évangélique s’en était détaché dès 1937 pour des raisons théologiques, mais en 1975 (Nairobi) il fut à nouveau représenté. 
 
Le mouvement avance très lentement. L’optimisme enthousiaste des premières générations a fait place à un certain pragmatisme. Mais ces vingt à trente dernières années de nombreux entretiens à caractère oecuménique se sont développés : luthéro-réformé9 et protestant- catholique10, mais aussi luthéromennonite11, catholique-baptiste12, évangéliques- catholiques13, etc. 
 
Dans plusieurs situations concrètes, la question du dialogue interconfessionnel semble aujourd’hui inévitable, notamment là où une coexistence rapprochée et parfois durable a pu aboutir à une certaine interpénétration sans conflits : couples mixtes, aumôneries, actions d’aide caritative, prises de position sur des problèmes éthiques… Le “dialogue“ n’est pas chose aisée. S’agit-il de pourparlers d’institution à institution, entre les instances dirigeantes des Eglises ? S’agit-il de relations entre des personnes, ou entre des communautés locales, coopérant momentanément dans un projet précis ? La représentativité des interlocuteurs est un préalable important à ne pas traiter à la légère, de même les règles convenues, les buts poursuivis et les intentions déclarées. 
 
 
Commission Théologique des CAEF
 

 


NOTES

 
 
1. Notamment celles de Paul aux Galates, aux Corinthiens, aux Romains. 
 
 
2. Epîtres Pastorales, Lettres de Jean, les 7 lettres aux Eglises dans l’Apocalypse et déjà la Lettre aux Colossiens.
 
 
3. Nous citons les quatre premiers : Nicée (325), Constantinople (381), Ephèse (431), Chalcédoine (451), universellement reconnus, car ils ont posé les bases d’une saine christologie. 
 
 
4. Nous relèverons quelques faits saillants parmi beaucoup d’autres : l’éclosion de très nombreuses Sociétés missionnaires qui, à la faveur des empires coloniaux, assurèrent la pénétration du christianisme dans tous les continents, la création de Sociétés Bibliques (actuellement unies dans l’Alliance Biblique Universelle), le lancement de l’Union Chrétienne de Jeunes Gens (à caractère laïque et interdénominationnel), le développement d’oeuvres sociales débordant les cadres ecclésiaux, l’Armée du Salut, etc.
 
 
5. Discussions sur les grandes orientations, la déclaration de foi, le positionnement à l’égard de l’Eglise catholique 
 
 
6. Voir André Thobois, Une conviction qui fait son chemin, (Editions Décision France, 1996). Esquisse historique de 150 ans de l’Alliance dans le monde et en France. Dans le même siècle vont se former aussi d’autres alliances mondiales : luthérienne, réformée, méthodiste… 
 
 
7. En grec oikumenè : la terre habitée, et par extension le monde entier, l’univers (Mt 24.14; Ac 17.6; Rm 10.18…)
 
 
8. La semaine de prière dite «Semaine de l’Unité», fixée du 18 au 25 janvier, en est un pôle important. Lancée en 1941 sous l’impulsion de l’abbé Couturier, elle est pratiquée par un grand nombre d’Eglises instituées dans de nombreux pays.
 
 
9. Concorde de Leuenberg, en 1973.
 
 
10. Accords de Lima, en 1982, sur “Baptême – Eucharistie – Ministère“ (document B.E.M.).
 
 
11. Voir Marc LIENHARD et Pierre WIDMER, «Les entretiens luthéro-mennonites (1981-1984)», Les Cahiers de Christ Seul, N° 16, 1984.
 
 
12. Voir Rendre témoignage au Christ, travail du comité mixte baptiste-catholique en France, Editions du Cerf, Paris,1992.
 
 
13. Un colloque a eu lieu à la Faculté Evangélique à Vaux-sur-Seine en 2001, précédé de plusieurs autres rencontres régionales. Les principaux textes ont été reproduits dans Le dialogue catholiques-évangéliques, débats et documents, (Editions Edifac et Excelsis, 2002). Voir également Alain NISUS, De quoi la vérité aurait-elle peur ?, in Construire ensemble, N° 40, 2002 (Mensuel de la Fédération des Eglise évangéliques baptistes). Voir encore la série des Notices ‘Connaître les évangéliques’ et ‘Des catholiques et des évangéliques se questionnent mutuellement’, publiées sous forme polycopiée conjointement par l’Entente des Eglises Evangéliques Libres de la Communauté Urbaine de Strasbourg et l’antenne ‘Evolutions Religieuse et Nouvelles Religiosités’ du service pastoral de l’Eglise catholique en Alsace.