Encore quelques pas avec Jonathan Ward…
Interview par Reynald KOZYCKI
Susan Clifton a défini les grands courants actuels en relation d’aide évangélique. Y a-t-il à ton avis des approches qui ont dominé plus que d’autres ?
En France, ce sont les approches dérivées de la psychanalyse qui ont généralement dominé. En Amérique du Nord, ce sont les approches cognitives et comportementales. Aujourd’hui, même si les Français restent assez freudiens, l’éclectisme prend de l’ampleur car les psy veulent trouver quelle approche sera la mieux adaptée à quel client et à quel type de problème.
Pourrais-tu développer en quelques lignes l’approche que tu favorises ?
Je trouve personnellement dommage que l’une soit souvent opposée à l’autre au lieu de les voir comme complémentaires. Je déplore aussi les extrêmes d’un côté et de l’autre qui ont tendance à réduire les problèmes à des facteurs simples et employer des raccourcis où tout est perçu comme étant démoniaque ou un problème de péché ou de désobéissance à la Parole… En réalité, rien n’est simple dans ce domaine, car l’être humain est d’une complexité étonnante.
En théorie, je favorise l’approche qui sera la plus adaptée aux besoins de la personne que j’ai en face. Mais en réalité, puisque je ne suis pas capable d’une polyvalence totale, j’utilise l’approche qui est la plus adaptée à ma personnalité. Je pratique un éclectisme réfléchi et soigné, la plus forte influence venant des approches cognitives et systémiques. Je crois que les sciences humaines ont leur place et leur utilité, mais que tout doit être évalué à la lumière des Ecritures, autorité finale et incontestable pour toute pratique de relation d’aide chrétienne. Les écrits de Paul Tournier et de Jean Ansaldi, ainsi que ceux de Crabb, Dobson, etc. (pour n’en citer que quelques-uns), vont dans ce sens.
L’accompagnement que je fais est donc à la fois spirituel et psychologique, fondé sur une intégration prudente de la foi et de la psychologie. Je refuse de réduire les difficultés humaines uniquement au psychologique, au spirituel ou au physique, car un problème relève souvent à la fois de l’un et de l’autre. Nous sommes, après tout, des êtres à la fois relationnels, spirituels, psychologiques et physiques. Je refuse aussi de réduire les problèmes à des facteurs simples et uniques (possession démoniaque, problème de péché, désobéissance à la Parole…) et à employer des remèdes miracles qui ne sont généralement que des raccourcis.
En réalité, les choses sont rarement simples et le changement peut souvent prendre beaucoup de temps, car l’être humain est d’une étonnante complexité et ambiguïté ! C’est cette complexité de la personne humaine et ce souci d’équilibre qui m’ont amené à faire une formation de pasteur et de psychothérapeute, et d’avoir dans mon équipe à Entrepierres un médecin généraliste et un psychiatre.
Les serviteurs de Dieu qui viennent me voir souffrent d’une variété de difficultés personnelles, interpersonnelles, conjugales ou familiales. Ceci dit, les problèmes qui reviennent le plus souvent sont ceux de l’usure (burnout1 ou épuisement émotionnel), du découragement, de la désillusion, de la culpabilité (par manque de résultats visibles), de la remise en question et de la dépression. Pour ceux qui travaillent en mission, il y a aussi les transitions, les difficultés d’adaptation, les situations de crise (agressions, guerres, évacuations), les conflits avec les collègues, etc.
Par exemple, si c’est un missionnaire qui a vécu un traumatisme, je vais l’aider afin de contrer l’état de stress post-traumatique qui risque de s’installer. Si c’est un pasteur dans un état d’épuisement, je vais l’aider à examiner les facteurs qui auront provoqué cet état (attentes des autres, perfectionnisme, surmenage, découragement par manque de résultats visibles, culpabilité de pas se sentir à la hauteur, manque de repos, difficultés liées à la gestion du temps, etc.).
Ce qui est au centre de ma pratique c’est d’aider la personne à retrouver le sens de son appel et à être à nouveau en mesure d’y répondre. Celui qui vient à Entrepierres peut s’attendre à être écouté avec respect, à être amené à mieux comprendre ses motivations, ses objectifs et son fonctionnement, à discerner la volonté de Dieu, à écouter l’Esprit Saint, à prendre du recul par rapport à sa situation afin de mieux l’analyser, à prendre conscience de la dynamique qui existe dans son contexte de service, et à faire de bons choix en conséquence de tout cela. Ces éléments seront recherchés par le dialogue, la prière, la méditation de la Parole, et par des travaux de lecture ou par écrit (questionnaires, exercices) pour alimenter la réflexion.
Propos recueillis par Reynald Kozycki
NOTES
1. burnout : mot dérivé d’un verbe anglais qui signifie «complètement détruit de l’intérieur par le feu», et sur le plan figuré «épuisé, ruiné dans sa santé, sur le plan psychique ou physique».