Questions à un praticien
Daniel DEJARDIN1 interviewé par Reynald KOZYCKI
Daniel, en simplifiant les choses, quelles grandes catégories de troubles constates-tu dans ta pratique ?
Notre travail en psychiatrie consiste à repérer des symptômes qui renvoient à trois types de troubles :
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Les fragilités de la personnalité. Par exemple l’anxiété : quelqu’un qui est d’un tempérament anxieux va connaître cette tension de l’angoisse dans tous les moments difficiles de la vie.
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Les maladies psychiatriques. Ce sont des processus pathologiques qui envahissent tout le fonctionnement psychique de la personne. Ces maladies ont des causes multiples et intriquées. Il y a un déterminisme psychopathologique ainsi que neurobiologique (par neurobiologique, j’entends le fonctionnement psychique du cerveau, même si ces troubles ne sont pas bien connus). Ces processus vont affecter le rapport du malade à autrui, ils vont entraîner des modifications de ses perceptions, ils vont déterminer aussi l’interprétation de ce qu’il ressent et de ce qu’il comprend, du monde qui l’entoure. Par exemple dans la schizophrénie, le délire est un symptôme d’une maladie psychiatrique qui correspond à un processus profond envahissant. Un autre exemple est le pessimisme du dépressif, qui est un symptôme qui correspond à une maladie psychiatrique qui envahit tout le fonctionnement psychique.
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Les traumatismes vécus et leurs impacts sur la personnalité. Par exemple un adulte a été victime de violences sexuelles, d’un accident, d’un attentat ; il a été percuté par un événement extérieur à lui-même, mais qui a des répercussions sur sa vie.
On a l’impression que les personnes atteintes par exemple de psychoses maniaco-dépressives ont du mal à en sortir ?
En effet, dans ce genre de troubles psychiatriques, la personne devra apprendre à vivre avec sa maladie, elle en sera toujours porteuse, avec des phases de stabilité, des phases de compensation. C’est une maladie au long cours qui accompagne la personne.
Utilises-tu une méthode plus particulière pour le traitement d’une personne dépressive ?
La dépression est une maladie psychiatrique grave, durable, installée au moins pour de longs mois (elle est différente de la petite déprime passagère). Le noyau dur est ce qu’on appelle dans notre jargon, une inhibition psychomotrice, c’est-à-dire une inertie, un ralentissement de tout le fonctionnement psychologique et physiologique de la personne. Pour ma part, je distingue trois temps dans la prise en charge :
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Essai de relance du fonctionnement psychique du dépressif. La prescription d’antidépresseurs trouve sa place. Ils ont pour but de stimuler, de relancer le fonctionnement psychique de la personne. Dans ce premier temps, le but est d’aider le malade à prendre conscience de la nature dépressive de sa maladie. Le déprimé ne sait pas qu’il est déprimé. Il attribue son état à un excès de fatigue, au surmenage, à une maladie organique, et donc tout le travail est de lui faire prendre conscience que l’origine de son état, de son ralentissement est lié à la dépression.
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Recherche d’un sens à sa dépression. Il faut d’abord éviter que la dépression soit vécue comme un corps étranger. La dépression est plus qu’une maladie, c’est toute la personne qui est devenue dépressive. Il s’agit d’une transformation profonde de tout son être. La question à cette étape est celle-ci : pourquoi la personne, à un moment précis de sa vie, a-t-elle décompensé sur un mode dépressif ? C’est tout le travail de donner un sens, une signification à la dépression. Il s’agit véritablement d’un travail d’interprétation. Le philosophe d’origine protestante Paul Ricoeur parlait d’une herméneutique du symptôme de la dépression. Ce travail d’interprétation se fait à la lumière du passé de l’individu.
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Le temps de la reconstruction, pour sortir de la dépression et parvenir à un nouvel équilibre et tirer une leçon positive de son vécu. Souvent cela va passer par un nouveau projet de vie. Par exemple Biaise Pascal, suite à sa dépression profonde, a radicalement infléchi sa carrière. De scientifique dans le domaine de la physique et des mathématiques qu’il était, il a commencé une recherche spirituelle qui l’a conduit à Dieu. Je pense aussi à cette patiente que j’ai en traitement, cadre dans une grande surface : elle prévoit une réorientation professionnelle. Elle s’oriente vers un tout autre métier qui est un métier de service. Ce qui lui semblait naturel avant sa maladie ne l’est plus maintenant. La dépression est un moment de vérité dans la vie. Il m’arrive de dire à des patients que la dépression peut être une chance car elle amène à changer des choses très profondes dans l’existence.
As-tu un traitement particulier pour les chrétiens qui passent par des temps difficiles ?
La prise en charge d’un chrétien est peu différente de celle d’un non-chrétien. Les trois étapes qui viennent d’être mentionnées sont les mêmes.
Mais la grande différence pour le chrétien, c’est que tout se vit sous le regard de Dieu, et il le sait, à la différence du non-chrétien. C’est par ce lien à Dieu que nous sommes vivants, et c’est dans ce lien avec Dieu que tout ce que nous vivons prend son sens.
Notre combat de chrétien, c’est de garder la foi. C’est là que doit porter tout notre combat, toute notre énergie. Garder la foi que Dieu est bon, juste, qu’il est notre Père miséricordieux, que c’est lui qui nous fait vivre, quels que soient nos doutes et nos questions sans réponse.
Totalement intriqué au travail psychologique, je donne une grande importance à raviver, à muscler la foi, seul bouclier pour éteindre les traits enflammés du malin. Même si le chrétien ne guérit pas plus vite que le non chrétien, il va remporter une grande victoire en s’accrochant et en ne doutant pas de la grâce de Dieu pour lui. La prise en charge psychologique et l’accompagnement spirituel ne font qu’un, je ne les distingue pas personnellement. Avec le non chrétien, autant que je le peux, j’amorce toujours une question sur la foi. La dépression peut parfois, et j’en ai été témoin, être l’occasion d’une transformation qui aboutit à une nouvelle naissance.
Dans les milieux évangéliques, il y a toutes sortes « d’accompagnements » spirituels de personnes en difficulté. Je sais qu’un petit nombre de « conseillers » se focalisent parfois sur « les péchés des ancêtres », qu’en penses-tu ?
Cela me paraît extrêmement dangereux, et non fondé bibliquement.
Il y a effectivement des « modalités de comportements», des «symptômes transgénérationnels » que je peux transmettre. Par exemple si je gère mon angoisse par la colère, je peux très bien transmettre cette façon de réagir à mon enfant. Mais cela n’a rien à voir avec la transmission, de génération en génération, d’une emprise satanique.
Nulle part dans la Bible, il est enseigné de confesser les péchés de ses pères. On est responsable devant Dieu de ses propres péchés et la grâce de Dieu couvre mon péché dans la repentance personnelle. On ne doit pas se déresponsabiliser de son propre péché.
Quelques personnes ont tendance à vivre des «délires mystiques» ; as-tu rencontré de tels cas ?
Ces délires apparaissent surtout chez les psychotiques (ceux qui sont atteints mala-dies psychiatriques graves). On observe des interprétations sur Dieu, sa personne et ses interventions qui sont délirantes. Elles ne sont absolument pas fondées bibliquement. Tout le travail consiste à ramener ces personnes à connaître le vrai Dieu, celui de Jésus-Christ.
J’avoue que j’ai rarement vu cela chez les chrétiens évangéliques.
Par contre avec les chrétiens évangéliques, on peut voir des culpabilités exagérées. Il est utile dans ces cas-là d’utiliser la Bible objectivement pour voir ce qu’elle dit du péché, du pardon.
Propos recueillis par Reynald Kozycki
NOTE
1. : Membre de l’Eglise C.A.E.F. à Digne, Daniel Déjardin est psychiatre pour enfants et adultes, médecin des hôpitaux.