La nativité de Jésus
par Henry Bryant
Les pensées de Dieu ne sont pas les nôtres. Si vous en doutez, mettez-vous à la place de ces deux croyants de familles modestes, Marte et Joseph, vivant à Nazareth au début de notre ère.
Comment auriez-vous géré l’annonce de votre grossesse, sachant fort bien comment votre fiancé, un homme de bien réagirait ?
Comment auriez-vous vécu les insinuations constantes des proches et des moins proches concernant l’enfant, en toute probabilité durant toute votre vie ?
A la fin de sa grossesse, Marie a dû accompagner Joseph lorsqu’il est allé s’inscrire à Bethléhem pour un recensement de l’empire romain. Le trajet de Nazareth à Bethléhem était d’environ 120 kilomètres. L’ont-ils fait à pied ? à dos d’âne ? L’auriez-vous accepté de bon coeur au neuvième mois de votre grossesse ? … sans vous poser de questions sur les desseins de Dieu ?
Puis une fois à Bethléhem, c’est le moment d’accoucher. Où est l’hôpital le plus proche ? Il n’y en a pas ? … Alors, au moins un cabinet médical ? Non plus. … Une chambre à l’auberge ? Mille regrets !… Seigneur !… une étable ? Pourtant tu nous as dit que cet enfant était spécial… Pourquoi cela ?
Aujourd’hui, quand les autorités ferment une clinique de campagne par faute de revenus, on fait la grève pour protester contre la cinquantaine de kilomètres qu’il faut faire en voiture pour trouver une salle d’accouchement propre et moderne. Tout doit être parfait et en règle quand il s’agit de notre enfant. C’est pourquoi le récit de Noël nous étonne. Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, Créateur du monde ne vient pas dans sa création comme un conquérant glorieux entouré de toute sa panoplie, mais comme un faible enfant, né dans des circonstances défavorables, dans une famille pauvre habitant un pays assujetti.
L’ultime paradoxe de la venue de Jésus est décrit dans l’introduction de l’Évangile de Jean (1.10). Le Créateur de l’univers – tout ce qui vit, notre planète, les innombrables milliards d’étoiles et de galaxies – est venu vivre sur la terre comme un simple homme, pour mourir condamné comme un criminel.
Matthieu et Luc : deux récits, deux généalogies
Des quatre Évangiles, seuls Matthieu et Luc nous relatent la naissance de Jésus, chacun avec une perspective différente. De toute évidence, Matthieu présente les événements à travers le témoignage de Joseph, tandis que Luc raconte ce qu’il a probablement reçu de la part de Marie. Je vous invite alors à considérer une seule des différences dans les deux récits, qui est souvent évoquée comme une contradiction mais qui en réalité révèle la souveraineté et la sagesse de notre Dieu. Il s’agit des généalogies de Matthieu 1.1-17 et de Luc 3.23-38.
Les deux listes de noms ne sont pas identiques. Matthieu, qui veut surtout montrer à sa nation que Jésus est le vrai Messie, le Roi des Juifs, déclare que Jésus est descendant direct d’Abraham et de David. Luc, écrivant à un Grec, trace l’ascendance de Jésus jusqu’à Adam. Mais la différence principale est dans les noms des ancêtres. Pour Matthieu, Jésus est le descendant de David à travers Salomon et la ligne royale en Israël. Pour Luc, Jésus descend de David par son fils Nathan (Luc 3.31), et les noms de David jusqu’à Jésus sont différents de ceux dans Matthieu. Pourquoi alors cette divergence ?
La généalogie de Matthieu prouve que Jésus est de la descendance de David, en accomplissement des prophéties à cet égard. Mais il montre encore un élément plus intéressant : Jésus est en toute probabilité, selon cette généalogie, l’héritier légal du trône des rois en Israël. Car Joseph, son père légal, était le descendant de la ligne royale dans son pays !
Pourquoi alors Joseph n’était-il qu’un simple charpentier inconnu à l’époque ? Deux faits l’expliquent : le contexte historique et l’interdit prophétique. Premièrement, aucun roi n’avait siégé à Jérusalem depuis presque 600 ans. Le peuple juif avait connu une suite quasi continue d’oppresseurs depuis sa déportation en Babylone : les Chaldéens, les Mèdes et les Perses, les Grecs, et au temps de Jésus, les Romains. Alors, la généalogie royale n’était plus qu’un vague rappel de la gloire d’un passé lointain. Elle ne donnait à Joseph et à sa famille aucun avantage par rapport à leurs contemporains.
Mais Joseph n’aurait pas pu être roi dans son pays pour une autre raison plus pertinente : à cause d’une sanction prononcée par le prophète Jérémie à la fin du royaume de Juda, six siècles avant la naissance de Jésus. En effet, dans la généalogie de Matthieu figure le nom du dernier roi légitime en Juda avant la déportation : Jéconias (Matthieu 1.11).
Cet homme indigne avait un comportement si injuste que Dieu a prononcé contre lui un jugement qui atteindrait même toute sa descendance : « Je suis vivant ! dit l’Eternel, quand Jéconia, fils de Jojakim, roi de Juda, serait un anneau à ma main droite, je t’arracherais de là. Je te livrerai entre les mains de ceux qui en veulent à ta vie… entre les mains de Nebucadnetsar, roi de Babylone… Terre, terre, terre, écoute la parole de l’Eternel ! Ainsi parle l’Eternel, inscrivez cet homme comme privé d’enfants, comme un homme dont les jours ne seront pas prospères ; car nul de ses descendants ne réussira à s’asseoir sur le trône de David et à régner sur Juda. » (Je 22.24-30)
Alors Joseph, étant un descendant de Jéconias, ne pouvait régner sur Juda ; la prophétie est formelle. Par contre, Matthieu précise clairement que Jésus n’est pas l’enfant biologique de Joseph, mais seulement son enfant « d’adoption ». Marie, sa fiancée, était vierge au moment de la naissance de Jésus. C’est pourquoi Jésus devient l’unique héritier légitime du trône de David ; l’interdit prophétique ne le touche pas.
Que dire de la généalogie de Luc ? Puisque Luc raconte surtout la naissance de Jésus vu par sa mère, il est probable que la généalogie de Luc est également celle du côté maternel. L’introduction de Luc à la liste est un peu ambiguë mais il semble écrire que Jésus était « comme on le supposait fils de Joseph, mais (en réalité)d’Héli, de Matthath, de… » (Luc 3.23). Pris de cette manière, Luc reconnaît que la plupart des gens considéraient Jésus comme le fils de Joseph, mais en réalité il était de la descendance d’Héli, le père de Marie. Marie n’est pas mentionnée car suivant la coutume de l’époque, les femmes ne figuraient pas dans les généalogies.
Si cette interprétation est juste, Luc nous donne l’ascendance biologique de Jésus par Marie, et Matthieu son ascendance légale. Jésus devient alors par les deux voies la seule personne dans l’histoire qui accomplit toutes les prophéties concernant le Messie, Fils de David biologique et légal, et héritier du trône sans être touché par la malédiction qui y était associée. Ainsi une supposée contradiction montre plutôt le souverain et parfait plan de Dieu.
La généalogie de Matthieu contient un autre élément insolite. Une comparaison avec les autres généalogies de la Bible nous montre que seuls les hommes figurent dans les listes. Pourtant, Matthieu prend bien soin de noter les noms de cinq femmes. Le nom de Marie ne nous étonne pas, car Matthieu précise que c’est elle seule qui est l’ancêtre biologique de Jésus. Mais les autres noms sont surprenants, d’autant plus qu’il s’agit de trois adultères (Thamar, Rahab, et Bathshéba : la femme d’Urie) et de deux qui n’étaient pas juives (Rahab et Ruth).
Pourquoi Matthieu a-t-il voulu inclure dans la liste des ancêtres de Jésus des noms de personnes que bien des gens auraient considérées indignes d’un tel honneur ? Est-ce pour rappeler à ses lecteurs que Dieu a envoyé son Fils pour s’identifier avec un peuple méprisé et indigne ? A vrai dire, tous les ancêtres de Jésus étaient des injustes, des indignes. La généalogie de Jésus est un rappel alors, non pas de la magnificence du « pedigree » de Jésus, mais de la grâce infinie de Dieu envers les misérables et les injustes. Face à un monde qui aime bien se vanter de la pureté de sa race, Dieu « a choisi les choses viles du monde et celles qu’on méprise, celles qui ne sont pas, pour réduire à néant celles qui sont, afin que personne ne se glorifie devant Dieu.»
H.B.