Le vrai visage de la violence
par Didier Chastagnier1
Nous devons apprendre aujourd’hui à nous méfier des étiquettes et des jugements derrière lesquels nous enfermons si facilement les personnes qui nous échappent, nous font peur ou nous rebutent.
Dans une société de plus en plus aseptisée, compartimentée, communautariste, individualiste, la tentation est grande d’emprisonner celui qui nous apparaît comme différent dans l’anonymat et la virtualité de nos concepts et de nos discours, plutôt que de le rencontrer dans la réalité de sa différence ou de sa souffrance.
C’est ainsi que des personnes pourront faire des déclarations très pertinentes pour défendre la cause des SDF (sans domicile fixe) victimes, selon eux, et à juste titre, d’une économie mondialisée sacrifiant des milliers de vies sur l’autel de la rentabilité, tout en ne portant même pas un regard sur cet homme, tendant la main, assis chaque jour sur le trottoir devant la porte de leur immeuble !
L’évangile nous adresse un appel pressant à ne pas nous laisser formater par la manière de penser et d’agir de notre monde. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » Mc 12.31
Aimer son prochain
Tu aimeras, non pas un groupe de prochains anonymes et virtuels, mais celui qui, par la rencontre et le pas que tu fais vers lui, devient un « comme toi-même » bien réel, avec les mêmes aspirations à la reconnaissance, le même besoin d’être reçu dans sa dignité d’homme, le même besoin d’amour, la même envie de réussir sa vie, avec des droits, avec ses rêves ; un prochain profondément aimé d’un Dieu qui a donné sa vie pour lui comme pour… toi-même.
Si nous ne suivons pas ce commandement alors nous enfermons l’autre, celui qui est différent, qui porte une étiquette, qui nous dérange et nous rebute parfois, dans le ghetto obscur de la statistique, de l’oubli, de l’indifférence, de la souffrance, du non droit, du non rêve, de la non espérance, de la précarité, de la xénophobie et du racisme. Ce ghetto là, croyez-moi, est bien plus sordide et violent que toutes les barrières en béton des HLM des quartiers de nos cités.
La ghettoïsation d’un individu ou d’un groupe par un autre est le terreau privilégié dans lequel s’enracinent le sentiment d’injustice, la haine et la violence.
La définition du mot ghetto que nous trouvons dans le dictionnaire est : « Lieu où une minorité vit séparée du reste de la société. Milieu refermé sur lui-même ». (Petit Larousse)
Cette définition pourrait être celle de nombreuses cités de nos grandes villes et se résumer par les mots enfermement et relégation. Elle dessine les contours du vrai visage de la violence dans nos quartiers. Car ne nous trompons pas, ce visage n’est pas celui vers lequel se tournent les projecteurs et les caméras du « tout médiatique » de notre société zoomant sur les voitures qui brûlent, le phénomène des bandes, la drogue ou l’économie parallèle.
Démasquer la vraie violence
Tout cela n’est qu’un masque, ce ne sont que les signes de la vraie violence que l’on tente de nous faire oublier bien souvent : celle de la misère de ces personnes qui n’ont pas parfois le minimum pour vivre, de ces enfants exclus du système scolaire qui ne connaissent que l’échec, des abus dont sont victimes les plus faibles dans des zones de non droit, du sentiment d’exclusion en raison de la couleur de sa peau, du chômage, du manque d’espérance pour des jeunes pour qui parfois les perspectives d’avenir se limitent à ce que l’on va faire dans l’heure qui suit !! N’oubliez jamais que personne ne choisit de vivre dans un ghetto !!
Aller à la rencontre du prochain
On me demande souvent où je puise la force et le courage d’aller dans ces quartiers. Mon appel à aller parmi ces jeunes et ces enfants s’est concrétisé lorsque j’ai mis un visage sur des concepts de délinquance, de « jeunes des quartiers ». Quand ce visage est devenu un prénom, ce prénom est devenu une histoire partagée et cette histoire partagée un bout de chemin que nous faisons ensemble. Mon prochain rencontré, cet enfant, ce jeune en errance, au coeur cabossé et à la mémoire chiffonnée, enfermé parfois dans sa violence et son rejet, est devenu alors un « comme toi-même » que le Seigneur Jésus m’invite à aimer.
« Tu aimeras » c’est là le grand secret. car sans amour je ne suis qu’une cymbale qui résonne et je ne pourrai rien faire.
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Il n’y a rien de plus beau que d’annoncer à ceux qui ont le sentiment que leur vie n’est qu’un échec : « Tu as du prix à mes yeux dit Dieu » (Es 43.3)
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Il n’y a rien de plus émouvant que de voir des coeurs et des vies s’ouvrir à des perspectives nouvelles en proclamant : « Je veux vous donner un avenir à espérer » (Jr 29.11)
Je n’ai pas d’autres recettes à donner pour travailler dans ces quartiers que celle de l’amour.
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C’est au nom de l’amour de Dieu que nous venons comme des serviteurs pour aller à la rencontre des enfants sur les places de jeux et proposer des animations.
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C’est en son nom que nous proposons de l’aide aux devoirs, que nous visitons des familles et que nous confectionnons des colis alimentaires.
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C’est en son nom que nous essayons de les aider dans leurs démarches, de les écouter.
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C’est en son nom que nous allons, parfois la peur au ventre, affronter la dure réalité de ces cités. Pour chacun de ces jeunes nous essayons de devenir un prochain. Ces actions faites au nom de cet amour ne sont pas souvent spectaculaires et ne donnent pas l’impression de changer le monde mais elles transforment des vies.
La raison d’être de l’Eglise
L’apôtre Paul écrit en parlant de l’oeuvre rédemptrice de notre Seigneur Jésus-Christ : « De ce qui était divisé il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine » Ep 2.14 (TOB)
C’est ce que nous essayons de faire au quotidien avec son aide dans les vies de ces enfants, dans les familles.
Mais plus largement je pense profondément que c’est la raison d’être et le témoignage que doit avoir l’Eglise dans notre société française aujourd’hui. J’aime à dire que l’Eglise est le miracle de l’unité dans la diversité. Nos assemblées sont l’image de ce miracle réunissant des hommes et des femmes que parfois tout séparait, en un même lieu, dans un même Esprit, au nom d’un même sauveur : Jésus-Christ qui, de ce qui était divisé, a fait l’unité.
C’est pourquoi elle ne doit pas devenir un ghetto supplémentaire parmi ceux trop nombreux de notre société, mais rester une terre d’accueil, une famille ouverte, une main tendue.
Elle doit enfin détruire les murs de haine et de séparation qui enferment tant d’hommes et de femmes aujourd’hui.
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». La raison d’être de l’Eglise se trouve dans l’amour et dans l’action. Je n’ai pas d’autres mains sur cette terre que les vôtres pourrait nous dire notre Dieu !!
D.C.
« ACTION QUARTIERS »
« Action Quartiers » est née de l’idée d’aller au devant des enfants et des jeunes dans les quartiers de la périphérie de Strasbourg devant le constat qu’un grand nombre d’entre eux ne fréquentaient pas, et n’avaient pas accès, aux structures socioculturelles et sportives.
Au travers d’actions menées et adaptées aux besoins et par sa présence, « Action Quartiers » veut non seulement aider l’enfant à se construire, mais aussi être acteur de paix sociale, de dialogue, de rencontre entre jeunes et adultes, dans les quartiers aujourd’hui.
L’accompagnement dans le quotidien de ces jeunes, le partage vécu dans la réalité des quartiers, les services rendus, le désir de dialoguer et de rencontrer son prochain dans sa différence sont des réponses de l’Eglise face aux besoins de la société aujourd’hui et ceux des quartiers en particulier.
« Action Quartiers » organise :
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NOTE
1. : Didier CHASTAGNIER est major de l’Armée du Salut à Strasbourg, marié, père de 3 enfants. Il est l’initiateur du ministère « Action Quartier ». Contact : didier.chastagnier@wanadoo.fr