Le repos de l’homme
« Notre coeur est sans repos Jusqu’à ce qu’il trouve le repos en toi. »1
par Daniel BRESCH
La Bible donne aussi la pensée de Dieu relative au repos de l’homme. Etre en repos ne se limite pas à l’absence d’activité !
La quête perpétuelle
Quelle commune n’aménage pas aujourd’hui son rond-point ? Le carrefour avec sens giratoire est devenu un «must» dans la ville. Une chronique radiophonique récente posait la question de la signification et de l’attraction pour ces nouveaux équipements, « Perpetuum mobile »2 modernes, dont on cherche à sortir à tout prix après avoir cherché à y entrer à tout prix… « Pour qui, pour quoi roule-t-on et tourne-t-on ? » demandait un animateur. On croirait entendre la plainte de Jérémie : « Mon peuple était un troupeau de moutons perdus. Leurs bergers les égaraient; ils les faisaient tourner en rond dans les montagnes. Ils allaient de montagne en colline, oubliant le lieu de leur repos » (Jr 50.6)3.
L’Ecclésiaste dit quelque chose de semblable : « Que revient-il à l’être humain de tout le travail et de la préoccupation qu’il s’est donné sous le soleil ? Tous ses jours ne sont que tourments, ses occupations contrariétés; même la nuit son coeur n’a pas de repos » (Ec 2.22,23).
L’incontournable couple !
Mais il dira aussi : « Dès le matin sème ta semence, le soir ne repose pas ta main… » (11.6), comme le sage des Proverbes qui fait l’éloge des actifs (Pr 10.4,5; 12.24; 31.13, 15, 27) et fustige les nonchalants. Paul y fera écho (2 Th 3.7-10) et même Jésus : « Heureux ce serviteur que son maître, à son arrivée, trouvera occupé de la sorte ! » (Lc 12.43) et tant qu’il fait jour, il nous faut travailler, dit Jésus (Jn 9.4). Le Psaume 127, cité parfois en contrepoint (il est vain de vous lever tôt, de vous donner tant de peine, v.2), n’élève pourtant pas l’insouciance en principe du repos : la maison doit bien être bâtie ! La qualité du repos comme du travail dépend en somme du sens qu’on leur donne vraiment (voir Jn 6.37 et Lc 12.13 !).
Les couples travail-repos, action-pause, effort-répit, représentent donc bien deux pôles inséparables de la vie humaine, l’un appelant et complétant l’autre. Peut-on un instant imaginer une vie unidimensionnelle, soit perpétuellement mobile soit indéfiniment oisive, sans le va-et-vient équilibrant entre l’activité et la détente, la veille et le sommeil ?
Le sabbat
L’institution du sabbat4 montre d’une certaine manière le soin de Dieu en faveur des humains à ce sujet. Essentiellement jour consacré à la célébration du Seigneur, il est, selon le terme employé, marqué par le repos, l’interruption ou cessation de tout travail ordinaire, routinier et astreignant. Le caractère religieux de ce jour et son aspect éthique humanitaire sont intimement liés. Cette ordonnance, ou organisation du temps, inclut toute la maison, la cité, le pays : familles, serviteurs, immigrés, animaux. C’est une nécessité physique et spirituelle, afin que tous puissent « reprendre le souffle » (Ex 23.12). Ainsi, on suivra l’exemple même de Dieu qui s’est aussi reposé après la Création (Gn 2.2,3 et Ex 20.11; 31.17). Ce jour de repos rappelle également la libération par le Seigneur de l’esclavage en Egypte (Dt 5.15; 6.19).
Le sabbat est donc un signe d’alliance entre Dieu et les siens (Ex 31.16,17). C’est dans le calme et le recueillement que la communion avec le Créateur et le Sauveur prend toute sa valeur. Il sert au ressourcement des forces physiques, psychiques, morales, spirituelles et, par là, à orienter toute la semaine et toutes les tâches qui la remplissent. Cette intention d’équilibre et de régulation des relations humaines ne caractérise pas seulement la trêve du septième jour de la semaine, mais aussi son extension à une année sabbatique et au jubilé, années de repos de la terre, des moissons et des vendanges5.
On doit ajouter aussi les fêtes saisonnières annuelles (Pâque, Pentecôte. Huttes…;Lv 23, etc.). Autant d’occasions de repos et de réjouissances, rattachées aux célébrations des oeuvres du Seigneur. Il est à remarquer qu’à l’observation de ces temps de repos donnés et ordonnés par Dieu, était liée la mise en pratique de la justice dans toutes ses dimensions : religieuse et éthique, personnelle et sociale. Telle était la haute conception qu’avaient les prophètes du repos du sabbat (voir Es 56.1,2; 58.13s, Ez 20.12).
Entrer dans le pays du repos
Un autre aspect du repos est imagé par l’établissement dans la terre promise. L’expression : « accorder le repos de tous côtés », parfois complétée par la mention de délivrance des dangers et des ennemis, parcourt les livres d’Exode à 2 Chroniques6. Le repos, c’était prendre possession de ce pays, y habiter et jouir de ses biens en toute sécurité. Grâce à de réelles interventions de Dieu, Israël en connut la réalisation heureuse… en partie seulement. En effet, le projet fut gravement compromis par la réalité de forces opposées aussi bien externes qu’internes au peuple de Dieu. Fêtes et sabbats furent profanés (Am 8.4-6).
Que deviennent ces sources de joie, de repos et de bénédiction quand leur enracinement spirituel et éthique est oublié (Né 9.28) ? A la place du repos et de la prospérité (2 Ch 14.5,6) allaient régner la peur (Es 7.2,4) et la corruption (Es 1.11-14,21-23). Les injustices accumulées préparaient la tragédie des déportations (Dt 28.58,63-65; Os 2.12-15; 2 Ch 36.20,21). La méditation du psalmiste sur l’histoire du peuple, montre que la racine du mal était ancienne et profonde (Ps 95.11).
Le repos compromis
La promesse du repos promis par Dieu prend alors une autre tournure ; sa recherche et son appropriation sont en réalité d’une autre nature. Nous pouvons beaucoup apprendre de l’expérience et de la réflexion des sages et des prophètes. Ce qui prive l’être humain de repos est son agitation profonde (Jb 3.25,26; 14.1), sa culpabilité non reconnue (Es 57.20), le poids de ses soucis et de ses souffrances (Jr 45.3; Lm 1.3; 2.18; 5.5). Il pense que sa mort lui procure le repos (Job 3.13,17) mais il reste tourmenté malgré tout (Mi 2.10).
Le repos n’est pas garanti par les rites, il ne dépend pas des circonstances favorables ou contraires (pauvreté, abandon, adversités, souffrances…). Le vrai repos réside dans la confiance faite au Seigneur, attentive et tranquille (Es 30.15). Il trouve sa source en Dieu lui-même, qui agit par son Esprit (Es 32.15-18; 63.14). Ici apparaît sa signification spirituelle et eschatologique, dont nous avons aujourd’hui la clé grâce à Jésus-Christ : le vrai repos en Dieu était encore à venir (Es 61.1-2; 66.23; Lc 4.16-21; Hé 4.9,10).
Le repos possible aujourd’hui
La venue de Jésus-Christ ouvre la voie à l’accomplissement de toutes les promesses du repos de Dieu. Jésus fait du sabbat «son» jour pour proclamer, dans sa ville, l’Evangile de libération de toutes sortes de chaînes (Luc 4.16-21) puis pour enseigner dans les synagogues (Lc 4.35…; Jn 18.20). Bien plus, joignant les actes aux paroles, il opère délibérément, ces jours-là, des signes miraculeux.7 En déclarant explicitement qu’il est le vrai maître du sabbat (Mc 2.28), il rétablit le vrai sens du sabbat : ce jour particulier n’a pas de fin en soi (Mc 2.27), il est le signe annonciateur du règne de Dieu, manifesté maintenant par des actions bénéfiques de délivrance, de restauration, de salut (Mt 12.28; Mc 3.4; Lc 13.16).
Les conditions d’un vrai repos
Jésus se heurte alors à une opposition subtile et obstinée, car, aux yeux des légistes bloqués par une législation outrancière du repos, il accomplit là un travail. C’est vrai, Jésus est à l’oeuvre le jour du sabbat (Jn 5.17). C’est le monde à l’envers : on l’accuse de violer le commandement divin, de blasphémer (Jn 5.18; 9.16). Mais il dénonce l’hypocrisie de ces gens religieux qui font passer la loi cérémonielle avant la miséricorde (Lc 13.14), car leurs pensées, sans repos, sont agitées par la jalousie, la haine, voire la peur (Lc 14.4). Dans ce contexte tendu, l’invitation de Jésus adressée à tous les êtres écrasés et épuisés par les humains (Mt 11.28,29), prend toute son ampleur. Il n’a pas de lieu où se détendre (Mt 8.20), mais sait dormir en pleine tempête (8.24). Il connaît la fatigue et la faim, mais se «repose» dans l’accomplissement de la volonté du Père (Jn 4.6,31ss). Incarnation du repos de Dieu, il donne du repos aux hommes courbés, exploités et méprisés de la vie. Il les rassemble en un peuple nouveau et les appelle à participer à son travail (Mt 9.36,37; Jn 4.38). C’est à eux qu’est réservé le vrai repos, le repos de Dieu (Hé 4.9)8. C’est à eux qu’appartient le repos promis au-delà du temps présent (Dn 12.13; Ap 14.13).
Trouver le repos, une démarche inspirée des Psaumes
Le livre des Psaumes, legs de l’Ancienne Alliance, est, malgré ses images et son langage antiques, extraordinairement actuel. Les émotions, pensées et aspirations cachées de l’âme humaine, dites dans les situations concrètes les plus variées, ne cessent de nous interpeller. Ces paroles pertinentes alimentent encore et toujours la méditation de tous les humains « en quête de repos ». Voici quelques ébauches que le lecteur développera en rapport avec son propre vécu. ps 107.4-7 : De la recherche de la ville inconnue à la découverte de la voie toute tracée.
L’errance, c’est être « hors de soi », sans feu ni lieu. Le repos, c’est être « chez soi ». Le lieu de l’être humain est en Dieu, le Seigneur. Les situations décrites dans ce Psaume parlent toutes de la recherche de ce lieu, folle, tâtonnante, dramatique, épuisante, mais insatiable et constante… jusqu’à ce que surgisse la confiance, la joie, le repos « malgré… l’absence de repos ».
Ps 55.5-9,17-19,23 : De l’angoisse et du désespoir à l’apaisement et au repos. M’envoler, fuir, oublier le spectre terrifiant des menaces extérieures et des peurs intérieures qui me paralysent. Trouver un désert, un abri, du repos, où personne ne parle… sauf mes mots, sans échos. Mais voilà que Dieu me rejoint (cf. ps 139.9) et je m’entends faire appel à lui (v.1-3) ! La source de vie et de repos, dans ce désert, est en lui, l’immuable. Ps 116.3-4,8-9 : De la tristesse de la mort à l’accueil de la vie rendue. La mort peut prendre de multiples visages, les uns plus affligeants ou plus agressifs que les autres. Le psalmiste connaît le chemin vers son Dieu ; il a sûrement appris à prier (1-2,4).
Les qualités et les actions du Seigneur ne lui sont pas étrangères (5-6, 15-16). Mais il doit lui-même faire un mouvement vers ce repos qui est tout proche ; le v.7 se lit comme un dialogue intérieur : Retourne, mon âme, à ton repos ! 9 Reviens chez toi ! Ps 91 : C’est l’expérience d’une démarche semblable. Quel est l’abri (2,4,9,10) suffisamment sûr, si ce n’est l’ombre du Dieu qui voit tout, domine tout, régit tout ? Le repos, contre toute attente et toute surprise, nous est acquis par sa présence (15). Cf. Ps 16.1-2,9-11.
Ps 62.2s, 6ss, 12 : Confession tranquille de celui qui est « près » de Dieu, au milieu de toutes les adversités (cf. Ps 23.2-4). Cri de confiance et d’assurance patiente. Cf. ps 42.10-12 et 46.2,11 : « silence ! » C’est aussi l’ordre que Jésus adressa à la mer déchaînée.
« Venez avec moi, dit Jésus,… vous reposer ! » (Mc 6.31).
D.B.
NOTES
1. St Augustin. Confessions 1.1.
2. Ainsi appelle-t-on une composition musicale développée sur un thème qui s’enchaîne sans arrêt ou une sculpture se mouvant sans fin.
3. Nouvelle Bible Segond.
4. Le «quatrième commandement» : Ex 20.8ss; 31.12ss; 34.21 et Dt 5.12ss.
5. L’année sabbatique tous les 7 ans : Ex 23.10-11; Lv 25.1-7; le jubilé tous les 7 fois 7 ans : Lv 25.8-22. instituant une trêve et une profonde remise en ordre sociale et commerciale.
6. Plus de 20 références, par exemple : Ex 3.14; Dt 12.10; Jos 21.43s; 2 S 7.1.11; 1 R 5.5.18: 1 Ch 22.9.18; 2 Ch 20.30.
7. Les Evangiles rapportent six guérisons accomplies au cours des offices sabbatiques à la synagogue : Me 1.23 et parall.; S.lss et parall.; Le 13.10ss;14.1ss;Jn5.9ss:9.14ss.
8. Tout le passage (3.7- 4.13) est une méditation sur le malentendu tragique évoqué par le Psaume 95 (v.7-11).
9. Bible de Jérusalem ou Bible en français courant.