Eglise et Etat  : une bouffée de liberté

 

 Temoignage

 

par François-Jean Martin

 

 

Ceci n’est qu’un témoignage du passé. La situation que je vais évoquer n’est plus la même de nos jours, mais nous ne pouvons oublier notre histoire.

 

 

 

 

Je suis né dans une famille chrétienne après la seconde guerre mondiale en Espagne sous la dictature fasciste de Franco.

 


 

L’Eglise Catholique Romaine dans ce pays était dans sa majorité intégriste, obscurantiste, compromise avec le pouvoir et persécutait les Eglises protestantes évangéliques. Les chrétiens évangéliques avaient à leur mort droit à la fosse commune hors de la terre sacrée du cimetière, avec les communistes et les anarchistes.

 

Les jeunes hommes en âge de faire leur service militaire devaient prêter serment au drapeau en s’agenouillant devant une statue de la vierge au cours d’une de ces grandioses cérémonies dont les fascistes avaient le goût. Cela aboutissait à des situations dramatiques car les chrétiens évangéliques voulant être fidèles à leur foi restaient debout au milieu de centaines d’hommes agenouillés et passaient par la suite en cour martiale. Après les années d’emprisonnement, retour à la case départ et les voici à nouveau devant faire face à la cérémonie du serment au drapeau.

 

Mes parents se sont mariés treize ans après la guerre civile dans une grande ville et bien que la constitution du pays le permettait, ils ont été les premiers à faire enregistrer leur mariage par l’autorité civile après une longue bataille et l’intervention d’un avocat, car la réalité était que seuls les prêtres mariaient dans l’Eglise catholique. Ma famille avait « tout pour plaire » aux yeux des fascistes. Mes grands-parents étaient républicains qualifiés de rouges par les franquistes alors qu’ils étaient opposés aux communistes, réfugiés politiques en France. Mes parents étaient donc catalogués eux aussi comme rouges et protestants (le régime n’était pas à une contradiction près). Je n’étais pas baptisé enfant par l’Eglise catholique, or ce certificat était nécessaire pour toutes les démarches : entrer au lycée, à l’université, avoir un travail dans la fonction publique, exercer une profession libérale, etc…

 

J’ai souvenir des débuts de chaque jour de classe où, comme gamin de quatre ou cinq ans, en rang, on devait chanter des chants fascistes, surveillés par des miliciens phalangistes le bras tendu pour le salut et devant la statue de la vierge réciter des ave-maria. Régulièrement durant la classe, un prêtre en soutane venait faire pression sur le très jeune enfant que j’étais.

 

Mes parents ont tout quitté, afin que leur fils puisse faire des études et ont immigré en France. Les conditions de vie et les réactions xénophobes étaient pourtant dures mais la république française laïque a été une bouffée d’oxygène. En classe, nous étions tous égaux et on se moquait que je sois d’une famille protestante, social-démocrate. Nos opinions religieuses ou politiques n’entraient pas en compte pour pouvoir faire des études, avoir un métier, une place dans la société. La république française laïque n’est pas parfaite, le vécu de la laïcité est parfois perverti en anti-religion, mais on oublie que les générations qui nous ont précédés se sont battues, ont donné leur vie pour avoir la liberté d’opinion, de culte et pour une école non inféodée où leurs enfants bien que non catholiques puissent librement étudier.

 

Je suis profondément reconnaissant à la république française laïque, mon pays. Elle m’a accueilli, intégré, fait de moi un de ses hussards de la république, j’en suis fier. Elle n’est pas parfaite bien que laïque, elle reste à la fois marquée par le catholicisme et par sa longue lutte contre celui-ci, mais comme on dit de la démocratie, elle reste le moins mauvais régime. Actuellement, dans notre pays d’origine, mes amis catholiques engagés ne reconnaîtraient pas leur Eglise dans ce que j’ai décrit ; cependant un retour au début du XXème siècle suffirait à retrouver ces réalités contre lesquelles les protestants se sont aussi battus. Les chrétiens évangéliques devraient avoir un devoir de mémoire et de la reconnaissance pour l’école laïque.

 

 

F-J.M.