Eglise et Etat – Réalités actuelles de la loi 1905
par Marcel Reutenauer
La Loi du 9 décembre 1905 comporte 44 articles en tout et son texte peut paraître rébarbatif et complexe au lecteur non initié. Ses dispositions couramment évoquées dans nos églises ne constituent qu’une petite partie du texte. En cette année du centenaire il est utile de nous rappeler ses implications concrètes pour l’organisation de la vie de nos communautés évangéliques.
Les principes
Le fondement de la Loi est exprimé dans ses 2 premiers articles :
-
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après (Art. 25 à 30) dans l’intérêt de l’ordre public.
-
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] Les établissements publics du culte sont supprimés, […].
Dans la continuité de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui débute par « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et dont l’article 10 précise « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. », la Loi de 1905 organise ce droit fondamental en clarifiant les relations de l’Etat avec les divers cultes. Elle reconnaît une pluralité de cultes et veut n’en favoriser aucun.
Il me semble que c’est là un effet bénéfique pour la mouvance évangélique qui – quoique les choses changent – a toujours eu une position minoritaire.
Les dispositions pratiques
Au-delà des deux premiers articles qui posent le fondement, il fallait définir les modalités pratiques pour permettre sa concrétisation. Au cours de ses 100 années d’existence, le texte a d’ailleurs subi un certain nombre d’amendements pour l’adapter aux réalités. La Loi de 1905 traite donc des titres suivants :
Attribution des biens, pensions
Les articles 3 à 11 règlent la situation des patrimoines et des droits à pension existant au moment de la promulgation de la Loi. Ce sont aujourd’hui des questions réglées qui ne nous concernent pas. Rappelons toutefois que les édifices de culte avaient été nationalisés en 1789 et sont restés propriété de l’Etat en 1905 ; mais les 40.000 églises et chapelles existantes sont laissées gratuitement ouvertes au culte.
La loi prévoit la création d’associations cultuelles pour assurer le financement du culte et recevoir la jouissance de ces édifices publics mais l’Église catholique a interdit dans un premier temps d’en former. Le gouvernement a du prendre des mesures pour que l’exercice du culte ne soit pas interrompu et pour que soit assuré l’entretien des bâtiments. La « querelle des Inventaires » opposa vivement l’Eglise catholique et la République au point que les relations entre la France et le Vatican furent interrompues jusqu’en 1921.
Des édifices des cultes
Les articles 12 à 17 règlent les modalités d’occupation, de gestion et d’entretien des édifices cultuels mis à disposition des cultes par l’Etat.
Des associations pour l’exercice des cultes
Les articles 18 à 24 définissent les associations ayant pour objet de subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte. Ils en précisent les modalités de constitution, leur fonctionnement, leurs ressources et diverses exonérations fiscales. Ces associations peuvent constituer des unions.
Il est à noter qu’une association cultuelle ou une union d’associations devront être constituées conformément à la loi du 1er juillet 1901. La Loi de 1905 ajoute :
- l’obligation d’avoir pour objet exclusif l’exercice d’un culte,
- l’obligation d’un nombre minimum1 de personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse,
- l’obligation de tenir chaque année au moins une assemblée générale des membres de l’association appelée à approuver les actes de gestion financière et d’administration légale des biens accomplis par les administrateurs,
- la possibilité de recevoir, outre les cotisations prévues par la Loi de 1901, le produit des quêtes et collectes, des rétributions : pour les cérémonies et services religieux, la location des bancs et sièges.
- la fourniture des objets destinés au service des funérailles et à la décoration des édifices,
- la possibilité de recevoir des libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissement de leur objet, dans les conditions déterminées par la loi relative à la tutelle administrative en matière de dons et legs2 ,
- la possibilité de verser des fonds, en exonération de droits, à d’autres associations constituées pour le même objet,
- l’interdiction de recevoir, sous quelque forme que ce soit, des subventions de l’Etat, des départements et des communes.
Police des cultes
Les articles 25 à 30 précisent que les réunions tenues dans les édifices cultuels sont soumises aux règles suivantes :
-
la liberté de réunion est garantie par la Loi,
-
les cultes doivent avoir un caractère public.
-
les cultes doivent respecter l’ordre public.
-
il est interdit de tenir des réunions politiques dans un local affecté au culte,
-
les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, sont soumises au Code de l’administration communale.
Les articles 31 à 36 fixent les sanctions pénales encourues :
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par une personne qui, par voie de fait ou par menace aurait empêché une personne d’exercer un culte, ou empêché, retardé ou interrompu l’exercice d’un culte,
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par un ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, exprimé une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres.
Dispositions générales
Les articles 37 à 44 précisent des dispositions générales qui ont été exécutées et n’ont plus d’actualité sauf l’article 38 relatif aux congrégations religieuses.
Quelques points de réflexion
Au-delà de la liberté de culte, l’Etat garde un droit de regard
II est important de comprendre que, tout en comportant les dispositions statutaires conformes aux exigences de la Loi de 1905, une association ayant pour objet l’exercice d’un culte est avant tout une association telle que prévue par la Loi de 1901. Au moment de sa déclaration, l’administration préfectorale ne délivre qu’un récépissé de déclaration sans se prononcer sur le titre, l’objet.
Ce sont en fait les démarches spécifiques auprès de l’Administration pour obtenir l’autorisation de recevoir des dons et legs ou l’autorisation d’affilier ses ministres du culte à la CAVIMAC qui vont conférer la « grande capacité juridique » et permettre la qualification d’association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905.
Au-delà de la liberté de culte, il reste des différences de traitement
La Loi de 1905 n’a pas effacé l’héritage de plusieurs siècles d’histoire. L’importance prépondérante de l’Eglise catholique en France laisse perdurer ou a produit des inégalités de fait. Ainsi le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération Protestante de France, pointe-t-il la disproportion de traitement entre les différentes confessions : « L’entretien des lieux de culte catholiques (…) est presque entièrement pris en charge par les communes. Ce n’est le cas que pour 5% des lieux protestants.3»
Au-delà de la liberté de culte, faut-il s’adapter à l’Histoire ?
De fait, la Loi de 1905 a subi plusieurs modifications mineures toutefois. Au moment de la rédaction de la Loi de 1905, seuls quatre cultes étaient reconnus : catholique, réformé, luthérien et israélite. Aujourd’hui, d’autres cultes sont établis en France et, avec l’avènement de l’islam, un certain nombre de voix s’élèvent pour proposer une adaptation de la loi à cette nouvelle situation. Pour ou contre ? Il est à souhaiter – et à prier – que les instances évangéliques soient associées à la réflexion et que nous discernions les enjeux directs ou lointains des choix à faire.
M.R.
NOTES
1. Sept personnes dans les communes de moins de 1 .000 habitants : quinze personnes dans les communes de 1.000 à 20.000 habitants : vingt-cinq personnes dans les communes dont le nombre des habitants est supérieur à 20.000.
2. La capacité de recevoir des dons et legs en bénéficiant des dispositions du -3- de l’article 200 et du -2- de l’article 238 bis du Code Général des Impôts est soumise à autorisation préfectorale renouvelable tous les 5 ans.
3. In « www.croire.com ». Dossiers de la rédaction