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Eglise et Etatcode-penal

 

 

 

 

Le chrétien et le « pouvoir civil »

 


 

 

 

par Reynald Kozycki

 

 

 

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Mt 22.21

 

 

 

 

Pour le public informé de l’histoire de l’occident, la « chrétienté » a entretenu, le moins que l’on puisse dire, des relations ambiguës avec le pouvoir civil. Deux logiques se confrontent dans l’enjeu de ces relations. D’une part, le bon sens aiguisé par l’actualité et la philosophie ambiante et, d’autre part, la logique du Royaume de Dieu inspirée par la Bible.

 

 

Quelques leçons du passé

 

Par la perspective de la première logique, nous nous devons de regarder en face les déviations qui pèsent lourd sur la « chrétienté »1. Pour n’en citer que quelques-unes :

 

  • l’Inquisition catholique avec ses autodafés (340.000 procès entre 1481 et 1808 dont 32.000 brûlés),

 

  • la condamnation pontificale des droits de l’homme (dans le Syllabus de 1864 de Pie IX),

 

  • le rôle de l’Eglise catholique dans le fascisme en Espagne franquiste ou en Croatie nazie,

 

  • le radicalisme et l’intolérance de l’Angleterre protestante (anglicane) du XVIIIe ; et, avec plus de nuances, du protestantisme d’Etat dans les pays d’Europe du Nord, leurs persécutions en particulier des Eglises dites « libres » c’est-à-dire non affiliées à l’Etat,

 

  • sans parler des anathèmes violents d’un Luther à la fin de sa vie contre les anabaptistes et les Juifs ; des guerres de religion en France au XVIe ; des conflits entre Catholiques et Protestants en Irlande…

 

La liste pourrait être longue.

 

L’une des conclusions que le bon sens a progressivement découvert est la suivante : Lorsqu’un système religieux s’immisce de trop dans le pouvoir d’une nation, tôt ou tard ce système devient persécuteur envers ceux qui ne partagent pas la même opinion2.

 

 

Mauvaises interprétations de l’Ecriture

 

Plusieurs de ces déviations ont été justifiées par des texte bibliques. Arrêtons-nous sur trois thèmes.

 

Les guerres de l’Ancien Testament

 

Une lecture superficielle des rares textes où Dieu encourage la conquête par le sang avec Josué ou David a permis de justifier certaines guerres au nom de la Bible, comme les Croisades.

 

Volontairement, ces exégètes oublient que le Nouveau Testament ne reprend plus ces thèmes. Jésus va jusqu’à dire en Matthieu 26.52 : « Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée » en parlant probablement de ceux qui cherchent à imposer leur conviction par la violence.

 

« Contrains-les d’entrer » (Luc 14.23)

 

Même le brillant Augustin a manifestement mal saisi certains principes bibliques lorsqu’il écrit qu’il existe « une persécution injuste, celle que font les impies à l’Eglise du Christ, et une persécution juste, celle que font les Eglises du Christ aux impies. » (lettre 185). Il ne faut pas voir dans ce passage de Luc une justification à contraindre notre prochain par la force. Mais plutôt, les pauvres, les estropiés, les aveugles, c’est-à-dire ceux qui se sentent totalement indignes sont aussi pressés à venir au festin du Royaume de Dieu (v. 21).

 

L’obéissance aveugle aux autorités

 

Paul écrit en Rm 13 : « Toute autorité vient de Dieu ». Une lecture trop littérale conduirait à des solidarités malsaines avec les autorités. Bossuet, à partir de ce texte, justifiait la monarchie absolue de droit divin ainsi que la condamnation des protestants. Les Réformateurs ont su nuancer ce texte de Paul, comme plus tard Rousseau, qui malgré son humanisme douteux, écrivait : « Toute autorité vient de Dieu, je l’avoue, mais toute maladie en vient aussi : est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler un médecin. »3.

 

L’apôtre Pierre a su répondre que dans certaines situations, il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes (Ac. 4.19).

 

 

Quelques repères bibliques

 

Malgré la difficulté de l’exercice, je vais essayer de souligner quelques textes me paraissant poser des fondements dans les relations du chrétien et du pouvoir civil :

 

« Humanisme biblique »

 

L’histoire du bon samaritain en Luc 10 fait suite au commandement d’aimer Dieu de tout son être et son prochain comme soi-même. Volontairement Jésus met en avant un samaritain, qui, avant même de se préoccuper de principes religieux, voit son prochain dans sa souffrance et agit en conséquence.

 

L’amour du prochain doit dépasser les clivages religieux. La « religion fanatique et aveugle » est incapable de voir réellement son prochain. Cet « humanisme biblique » exclut aussi la manipulation des autres pour les contraindre à venir à la foi et à plus forte raison la force : « Nous agissons sans ruse… nous nous rendons ainsi recommandâmes au jugement de tout être humain devant Dieu. » 2 Co 4.2.

 

Humilité dans la foi

 

Le monde qui nous entoure envie ceux qui ont des certitudes et en même temps s’en méfie comme de la peste. Ces « certitudes religieuses » ont souvent été la base de violences dans les sectes ou dans les « religions fanatiques ». Le disciple du Christ entre d’abord dans une démarche de foi. C’est en espérance que nous sommes sauvés dit Paul (Rm 8.24). J’oserai dire qu’il y a une sorte de pari dans lequel le chrétien s’engage, sans une certitude absolue, à miser toute sa vie sur les promesses du Seigneur. Comme les apôtres, cette foi peut devenir connaissance : « Nous avons cru et nous avons connu que tu es le Christ, le Saint de Dieu » (Jn 6.69). Néanmoins l’humilité demeure l’une des grandes vertus du chrétien, même si sa foi est appuyée par la force et la conviction du Saint-Esprit (2 Tm 1.7).

 

Les deux Royaumes

 

« Mon Royaume n’est pas de ce monde », répond Jésus à Pilate (Jn 18.36). Par ces mots, ses disciples sont appelés à être des étrangers et voyageurs sur cette terre (Hé 11.13), à avoir une citoyenneté d’ordre céleste (Ph 3.20).

 

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » invite à équilibrer les « deux Royaumes ». Celui de ce monde avec ses autorités auxquelles nous devons nous soumettre sans être naïf, et celui du Royaume de Dieu. L’effigie de César sur la pièce tendue par les pharisiens n’est certes pas quantité négligeable, mais l’effigie de Dieu présente dans toute sa création est d’une toute autre dimension. Le disciple du Christ a la conviction profonde que le Royaume de Dieu n’est pas une invention des hommes. « Le règne, la puissance et la gloire n’appartiennent qu’à Dieu ».

 

Il sait donc relativiser le pouvoir humain, sans le mépriser. Il connaît la malédiction à se confier aveuglément en l’homme, mais aussi la bénédiction à se confier au Seigneur (Jr 17.5). Les royaumes de ce monde seront vite brisés et anéantis pour être remplacés par un Royaume qui ne sera jamais détruit4. Le drame de l’Apocalypse explique comment Dieu aura le dernier mot de l’Histoire. Un chrétien peut-il être un « serviteur de l’Etat » ? Certainement comme Daniel l’a été, ou Joseph, mais avec les limites de l’obéissance à Dieu qui primera toujours. Daniel a préféré être jeté dans la fosse aux lions plutôt que de cesser de rendre un culte au Seigneur de l’Univers.

 

 

Conclusion

 

Rendre à César ce qui lui appartient nous invite à ne pas négliger notre appartenance à ce monde, à respecter les autorités, parce que nous désirons aimer notre prochain. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est s’offrir soi-même à Lui, c’est déjà être citoyen du Royaume de Dieu. Que dans cette tension, nous recevions chaque jour l’éclairage d’en haut pour discerner Sa volonté !

 

R.K.

 


NOTES

 

1.  Malgré ses idées libérales, Kant. par exemple, juge accablant le bilan du christianisme historique. Il rédige une sorte de livre noir au début de La religion dans les limites de la simple raison Voir La laïcité, Guy HAARSCHER, Que sais-je 3129, PUF, 2004 ; et Henri PENA-RU1Z, Qu’est-ce que la laïcité. Gallimard Folio actuel, 2003.

 

2.  La construction de l’Etat moderne a été un long processus partant d’une domination presque sans partage de l’Eglise catholique au Moyen Age avec les nuances d’un Thomas d’Aquin qui reconnaissait une certaine autonomie du politique. La Réforme, en provoquant une division majeure dans la chrétienté, introduit un certain pluralisme religieux, et favorise donc la « laïcisation » du politique. Le baptiste Roger William ou le quaker William Penn expérimentèrent des fonctionnements démocratiques en avance sur leur temps. Le concept de laïcité sans être nommé se retrouve déjà dans le premier amendement (1791) de la constitution américaine qui garantit la séparation des Eglises et de l’Etat fédéral. La France l’a adopté après la Révolution et mis en oeuvre surtout à partir de 1905. Voir Jean-Paul WILLA1ME, « Les fondements religieux du politique moderne », page 2109-2117, Jean BAUBEROT « Origine et naissance de la laïcité », p. 2119-2127, in Encyclopédie des Religions, Bayard 2000, Tome 2 ; Guy HAARSCHER. La laïcité, PUF. 2004, p. 3ss.

 

3.  Au XVIIème siècle. l’écrivain puritain John MILTON affirmait que la Bible met des limites à la soumission politique et fait du peuple la source de tout pouvoir. Voir Jean-Paul WILLAIME, « Les fondements religieux du politique moderne », in Encyclopédie des Religions. Bayard 2000. Tome 2. page 2112.

 

4.  Comme dans le rêve que Daniel explique à Nabuchodonosor en Da 2.44.