L’eschatologie des chrétiens évangéliques
Points communs et divergences
Introduction
Dans les débats sur l’interprétation des textes prédictifs de l’Ecriture, il arrive que les désaccords accaparent à l’excès l’attention, qu’ils fassent perdre le sens des proportions et oublier quelle espérance reste commune. Des malentendus se glissent aussi qui font se méprendre sur la véritable pensée des interlocuteurs. Il paraît donc utile de délimiter avec exactitude les points communs et les divergences des deux traditions les plus influentes parmi les chrétiens évangéliques : le prémillénarisme et l’amillénarisme, qui existent en plusieurs versions.
Les rédacteurs du présent document1 , théologiens au travail dans les écoles évangéliques de langue française, s’accordent pour le faire dans les termes qui suivent, selon ce qu’ils observent dans leurs rangs ; ils ne prétendent pas décrire toutes les variétés qui existent des doctrines eschatologiques citées, ni exclure telle opinion qu’ils n’ont pas mentionnée.
Le fond d’accord
A. L’approche de l’Ecriture
Les prémillénaristes et les amillénaristes en cause approchent les textes bibliques dans la même attitude fondamentale et l’étudient selon les mêmes principes herméneutiques généraux.
1. Ils confessent l’autorité souveraine de l’Ecriture tout entière, Parole de Dieu, sans erreur en aucune de ses parties ; ils veulent se soumettre à l’enseignement qu’ils y trouvent et à lui seul ; ils sont persuadés que toute prédiction inconditionnelle faite par un auteur inspiré s’accomplira, si elle ne s’est pas déjà réalisée, selon le sens qu’elle possède objectivement dans son langage et son contexte.
2. Ils cherchent le sens par la méthode historico-grammaticale, et reconnaissent la nécessité de tenir compte des procédés littéraires (genre, manières de parler).
3. Ils veulent interpréter selon l’analogie de la foi, et l’harmonie des Ecritures ; ils donnent de l’importance aux différences entre les diverses phases du plan de Dieu, en particulier entre le temps avant et le temps après Jésus-Christ.
B. Les affirmations principales
Les prémillénaristes et les amillénaristes en cause ont en commun les piliers de l’eschatologie chrétienne.
1. Le Retour : ils croient au retour personnel, visible, corporel et glorieux de Jésus-Christ à la fin de l’âge présent. Ils croient qu’il entraînera immédiatement la résurrection de tous ceux qui sont au Christ, et leur jugement à son tribunal.
2. Le règne : ils croient qu’à son retour, Jésus-Christ établira visiblement son règne sur la terre, règne auquel participeront les croyants ressuscites. Ils croient que Jésus-Christ règne dès à présent à la droite du Père, tout pouvoir lui ayant été remis dans les cieux et sur la terre, mais que ce règne n’est pas visible ici-bas : le Saint-Esprit, seulement, en communique les arrhes aux croyants.
3. Le Monde : ils croient que le règne visible du Christ dans la paix et la connaissance de l’Eternel est impossible avant son retour. C’est plutôt vers un accroissement du mal dans le monde que progresse l’histoire, vers la persécution de l’Eglise fidèle. Ils croient que Satan est à la fois actif dans le temps présent, et limité dans cette activité, par la puissance de Dieu, et en vertu de la victoire remportée sur lui à la Croix.
4. La Fin : ils croient à l’accomplissement plénier de l’histoire dans la création des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, et au jugement dernier ; de celui-ci l’issue sera la béatitude éternelle pour les rachetés, et le châtiment de même durée infinie pour les impénitents.
C. Convergences supplémentaires
II se trouve que les rédacteurs tendent vers des conclusions voisines sur d’autres points encore, subsidiaires mais néanmoins substantiels. Ils les signalent avec joie :
1. L’Antichrist : ils pensent prédite la venue d’un Antichrist personnel, dont l’esprit agit dès à présent. Ce personnage semble devoir être à la fois l’homme d’un christianisme apostat et du pouvoir politique déifié.
2. Israël : ils pensent que Dieu réserve dans ses plans un avenir à l’Israël selon la chair, avec pour événement majeur, sa conversion, comprise comme le mouvement d’une multitude, à un moment déterminé. (La reconstitution d’un Etat d’Israël en Palestine semble une démarche préparatoire de Dieu en vue de cette conversion). Cet espoir n’atténue ni ne modifie d’aucune manière l’obligation de l’Eglise à l’égard d’Israël comme à l’égard des autres peuples : prêcher l’Evangile.
Remarque
Devant l’étendue d’un tel accord, on pourra s’étonner que persistent quelques divergences. Elles semblent s’expliquer par le petit nombre des textes biblique sur lesquels les débats se concentrent, et leur genre littéraire difficile, leur expression parfois allusive ou chiffrée. Pour nous protéger des tentations spirituelles qui accompagneraient la connaissance du « jour et de l’heure », Dieu a laissé voilées bien des modalités de l’exécution de ses desseins,
LES DIVERGENCES
A. L’approche de l’Ecriture
Les prémillénaristes et les amillénaristes en cause diffèrent par quelques tendances de leur interprétation, et par quelques thèses particulières.
Dans l’interprétation des textes prophétiques et apocalyptiques, ceux des prémillénaristes qui adhèrent au dispensationnalisme veulent comprendre aussi littéralement que possible, c’est-à-dire : sauf là où il s’agit manifestement d’un genre littéraire qui exige le sens figuratif. Les amillénaristes estiment que le sens « naturel » n’est pas forcément littéral ; ils arguent plus souvent de la souplesse du langage, en citant la manière dont les auteurs du N.T. font usage de l’Ancien. Ils répudient l’allégorisme, mais leurs critiques en maintiennent le reproche.
Outre cette polarité aisément repérable (malgré la présence de positions intermédiaires), on constate des différences difficiles à cerner et à décrire en des termes exacts que tous accepteraient. Elles concernent la procédure, l’attitude à l’égard des schémas précis et détaillés (de la fin, ou de l’histoire entière).
B. La compréhension des textes-clés
1. Le désaccord se cristallise dans l’interprétation d’Ap 20.1-10. Pour les amillénaristes (la plupart, au moins), la période visée est l’ère de l’Eglise. Les versets 1-3 parlent de la limitation d’activité imposée à Satan à la suite de la Croix, et au profit de la mission chrétienne. Les versets 4-6 décrivent l’état intermédiaire, la situation des âmes des croyants auprès du Seigneur, dans l’attente de la résurrection corporelle (seconde résurrection). Les versets 7-9 concernent l’époque de l’Anti-christ. Pour les prémillénaristes, ce passage décrit une période venant après le retour du Christ (chap.19) et avant le jugement dernier. Les versets 4-6 annoncent un règne visible sur la terre de Jésus-Christ, qui doit se terminer, selon les versets 7-9, par une révolte.
2. La visée d’autres passages est aussi en débat. Entre les prémillénaristes, classiques ou dispensationnalistes, et les amillénaristes, il s’agit surtout des textes suivants : Es. 11.65 , 18ss ; Ez 40 à 48 au moins en partie ; parfois (mais non pas toujours), Dn 2 ou 7 et 1 Co 15. Entre les dispensationnalistes et ceux qui ne le sont pas, d’autres textes font l’objet de compréhensions différentes, parmi lesquels : la promesse de Gn 12 (et sa répétition) ; 2 S 7 ; Jr 31.31-40 ; Am 9.11ss (avec Ac 15) ; Luc 1 et 2 ; Mt 21.43 et Ac 1.6-7 ; Rm 9 à 11 ; Ga 3 et 4 ; Hé 11 et 12.
C. Les divergences doctrinales
1. Les amillénaristes estiment que le retour de Jésus-Christ introduit le règne de Dieu sur la terre qui est en même temps l’état final, éternel. Les prémillénaristes pensent qu’il introduit un règne de mille ans qui est la dernière phase de l’histoire de l’humanité. Ce millénium est suivi de l’état final, éternel.
2. Les prémillénaristes attendent une seule résurrection corporelle des justes (pour la vie) avant le millénium, et une seconde résurrection précédant le jugement dernier.
Les amillénaristes attendent une seule résurrection et un seul jugement (ayant tous les deux plusieurs aspects) qui ont lieu lors du retour de Jésus-Christ et de l’établissement de son règne.
3. Quant aux promesses terrestres de l’A. T., les amillénaristes n’excluent pas que certaines aient un accomplissement littéral, mais ils traitent la plupart, soit comme conditionnelles, soit comme déjà accomplies, soit comme des paroles de sens figuratif.
Les dispensationalistes croient que la nation juive, convertie et rétablie, participera, en tant que telle, au royaume messianique terrestre et futur (millénium).
Les prémillénaristes classiques ne pensent pas, en général, que les Juifs aient un statut à part pendant le millénium (et encore moins dans l’état final).
4. Les prémillénaristes dispensationnalistes (qui situent l’enlèvement de l’Eglise avant la venue de l’Antichrist et de la grande tribulation) considèrent que cet enlèvement peut se produire à n’importe quel moment, sans avertissement préalable.
Les amillénaristes et les prémillénaristes «classiques» (qui situent tous deux l’enlèvement de l’Eglise après la venue de l’Antichrist et de la grande tribulation) comprennent les exhortations de l’Ecriture à la vigilance (Lc 12.35-40) comme suit : le retour de Christ, malgré les signes précurseurs, en fait, surprendra chacun et demande donc un état de préparation constant (Mt 24.44).
Conclusion
II apparaît, enfin, que les divergences, sans être insignifiantes, ne remettent pas en cause l’association dans l’oeuvre évangélique, comme le laissait attendre la très large communauté de vues sur les points principaux. Ces divergences doivent plutôt stimuler les uns et les autres à s’écouter mutuellement et à prêter ensemble à la très sûre parole prophétique une attention redoublée, avec méthode et docilité de coeur.
Vaux-sur-Seine, Octobre 1980
NOTE
1. Ont collaboré à la rédaction de ce texte : MM. S. Bénétreau, L. de Benoit, H. Blocher, J. Blocher, E. Nicole, R. Campbell, J. Winston. E Horton, J. M. Nicole, G. Winston