Mondialisation des communications et de l’information (internet)
par Laurent CLEMENCEAU
Internet est là et il a des incidences sur toute notre façon de vivre. On ne peut qu’être frappé de la croissance exponentielle du nombre d’utilisateurs et par l’intégration de l’outil à notre quotidien.
Il y a dix ans, vous ne saviez même pas que ça existait. Les souris n’étaient pour vous que des quadrupèdes indésirables. Aujourd’hui, vous avez un ordinateur dans votre salon ; chaque soir, vous relevez vos emails ; le dimanche après-midi, il vous arrive de surfer à la recherche des meilleures offres pour vos articles préférés ; pour connaître le chemin le plus court depuis votre domicile jusqu’au 19 rue des Marguerites ; pour contrôler votre compte en banque ; pour chercher des informations sur la migration des lemmings… entre autres choses !
Comme tout ce qui existe, Internet a et aura des incidences, vraisemblablement importantes, sur notre façon de vivre. La diffusion des livres a rendu moins utile une culture de la mémoire. Le chemin de fer ne semblait être qu’une jolie machine au départ. Mais il a eu un impact important sur la centralisation industrielle et la fermeture d’une multitude d’usines locales.
De la même façon, quels seront les effets à long terme du commerce électronique sur les petits commerçants locaux : quand je passe une commande par Internet, je ne fais pas la queue, je me fais livrer à domicile.1
S’il est trop tôt pour apprécier réellement ce qui peut se passer, il ne l’est pas pour esquisser une réflexion critique.
Internet correspond à un développement entamé depuis des siècles et qui semble aboutir à ce qu’on appelle le village global. Le monde comme lieu où les distances sont abolies. En quelques clics, on a accès à des informations, ou bien on rencontre des utilisateurs qui se trouvent à l’autre bout du monde. C’est formidable ! On peut comprendre qu’Internet ait été perçu comme le vecteur de l’utopie de la vraie communication entre les peuples, outil d’unité. Facteur de paix. Un discours qui a poussé le sociologue Philippe BRETON à lui adresser une mise en garde sérieuse.2
Mais entre l’utopie proclamée par certains et la réalité, il y a un fossé. Quiconque a une petite expérience des mails sait que cela n’est pas sans poser difficulté. On écrit ou répond trop vite à un mail et il est très aisé de se faire mal comprendre et de provoquer un « mailodrame ». Un simple « pourquoi » désincarné peut être compris comme une manifestation de colère. Quand cela nous arrive dans un échange avec un ami, imaginez ce qui peut se passer quand on communique avec quelqu’un d’une autre culture, à l’autre bout du monde.
On peut évoquer aussi les problèmes globaux posés par un tel réseau, les questions de régulation. Dans ce village virtuel, qui définit les règles ? Où passent les frontières ? Si dans un pays, un type d’information est considéré comme interdit, que faire quand ces informations sont accessibles sur Internet ? De façon générale, quel contrôle exercer ? Comment faire pour protéger certaines personnes de certaines données, tout en permettant à d’autres d’y avoir accès ? Et à qui remettre l’arbitrage, au nom de quels critères ?
Ceci étant dit, Internet nous fait prendre conscience que nous sommes très différents les uns des autres, même si des réseaux nous relient. Il y a des « communautés virtuelles » qui nous sembleront extrêmement étrangères. Internet permet ainsi de prendre un peu conscience du fossé des cultures, même s’il ne nous aidera peut-être pas beaucoup à le franchir. On pourra en tirer une invitation à la prière et à la mission.3
Enfin le réseau lui-même est loin de correspondre à un espace utopique d’égalité. Il reste encore réservé à une minorité de privilégiés. On parle de « fossé numérique », une expression qui désigne l’écart qui sépare les pays ou les peuples disposant d’un outil comme Internet et ceux qui n’y ont pas accès.4
Le pouvoir étant souvent associé à l’information, et à la facilité de communication, une bonne part du pouvoir se retrouve entre les mains des connectés… au détriment des autres. Une vision chrétienne sera là sensible à l’inégalité qui en résulte.
La question se pose à l’échelle des pays, elle se pose aussi à l’échelon local. Je transmets par mail un certain nombre d’informations aux « connectés » de la communauté dont je suis le pasteur. Du coup, tous n’en bénéficient pas. Bien sûr, ce n’est pas parce que tous n’ont pas accès à certains moyens de communication qu’il faudrait en interdire l’usage à ceux qui en disposent. L’important est de ne pas creuser le fossé. Les informations importantes doivent être accessibles à tous.
Dans ce village global peut se poser la question de l’individualisme, de la responsabilité et de l’engagement personnel. Internet correspond à la promesse du monde moderne d’un accès illimité à tout ce qui nous intéresse. Vous pouvez y créer votre site à votre image. Vous accédez à des sites où vous voyez les autres vivre en direct. C’est aussi un lieu où l’on peut prendre la parole, et apparemment en toute liberté ; poser les questions les plus intimes, celles qu’on n’oserait jamais poser ailleurs. L’anonymat du tchat peut nous permettre de discuter de certains sujets sans jamais se révéler soi-même ; on est accueilli quel que soit notre physique (ingrat ou non) ou notre caractère. Et c’est là un contraste avec le monde moderne (et parfois hélas avec les Eglises !).
Cela peut avoir un potentiel libérateur et bienfaisant pour plusieurs. Là, je peux avouer que moi chrétien, j’ai un problème avec la pornographie, avec l’alcool… Le pourrai-je si facilement dans mon Eglise ? Mais être anonyme permet aussi de satisfaire à notre désir de voyeurisme avec plus de facilité, voire de nourrir notre intérêt pour cela. Cela permet aussi plus facilement de ne pas s’engager ; d’être témoin de tout un tas d’appels à l’aide … tout en restant immobile.
Internet nous interroge aussi sur la distance entre le virtuel et le réel.
Internet, c’est avant tout un monde de l’œil. C’est l’esthétique qui compte, souvent davantage que le fond. Parce qu’on est sur une machine, il y a une apparence d’objectivité. Mais les informations sont-elles véridiques ? Comment vérifier ? Si vous ne savez pas trier ces informations, vous n’avez pas de « prise » réelle sur le réel.
Même les moteurs de recherche ne sont pas des outils objectifs. Ils impliquent souvent des logiques financières. Les premiers sites qui apparaissent après une recherche le font le plus souvent parce que leurs responsables ont payé pour qu’il en soit ainsi.
Internet n’est fait que par des hommes et des femmes, des personnes qui ne sont ni neutres, ni toujours philanthropes. On y trouvera le meilleur et le pire. Et toute la difficulté pour l’utilisateur sera de s’y repérer.
On fera bien de prendre des distances devant cette culture du « tout tout de suite, pour nous ». Le fonctionnement d’internet peut laisser croire qu’il suffit de quelques clics de souris pour accéder au savoir. Mais vivre et gagner en maturité implique du temps, des efforts, des délais constants, nécessaires à l’apprentissage, à la construction personnelle.
Internet reflète aussi la difficulté que nous avons, laissés à nous-mêmes, de construire le sens de notre vie.
C’est un monde chatoyant, où l’on peut partir dans toutes les directions, se noyer dans une suite de clics infinis, puisqu’il y aura toujours un nouveau site à découvrir.5. Un outil qui fonctionne tout à fait dans le sens du bricolage religieux. Je me construis mon monde de questions et de réponses. Un monde qui laisse a priori béante la question de la vérité, de la norme. Et qui nous renvoie à la nécessité d’un discernement éclairé par une Parole qui nous dépasse, et qui dépasse notre individualisme, notre attrait pour le coloré et tout ce qui est transitoire.
L.C.
NOTES
1. Exemples tirés de Cybernauts Awake ! Ethical and Spiritual Implications of Computers, Information Technology and the Internet pp 6 13, 62.
2. Philippe BRETON, Le culte de l’Internet. Une menace pour le lien social ?, La Découverte, Paris, 2000
3. Andrew LORD, « Virtual Communities and Mission », Evangelical Review of Theology. 26/3 (2002), pp. 196-20.
4. Chiffres de juillet 2002, tirés de l’ouvrage de David CLOUGH, Unweaving the Web, Grave Booklets, Ethics 127, Grave, Cambridge, texte qui a été un support important pour la réflexion proposée ici.
5. Pietro PlSARRA, L’évangile et le Web. Quel discours chrétien dans les médias, Editions de l’Atelier, Paris, 2002, p. 50.