Partage ou tirage1
par Geoffrey CAWSTON
On ne peut qu’admirer le dynamisme du seul couple qui soit mentionné à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament : Aquilas et Priscille. Peut-être étaient-ils déjà chrétiens lorsqu’ils furent expulsés de Rome vers l’an 49 : ils ont probablement ressenti les mêmes inquiétudes qu’un autre couple, mieux connu, qui un demi-siècle plus tôt, quittait son village natal sous le coup d’un édit impérial.
Comme Marie et Joseph, Aquilas et Priscille ont appris que le couple à qui Dieu veut confier des responsabilités, les reçoit parfois au travers d’expériences difficiles et troublantes. Rome – Corinthe – Ephèse – Rome – Ephèse… l’itinéraire qu’ils ont parcouru en quinze ans a de quoi étonner.
Perplexité ou sérénité ?
La perplexité vécue parfois par le couple qui veut servir Dieu est le sujet d’un enseignement remarquable de l’apôtre Paul dans la première épître aux Corinthiens (7.29-35). Qui sait s’il ne pensait pas un peu à ses amis Aquilas et Priscille en brossant ce tableau si réaliste de la vie conjugale ?
Un couple zélé pour le Seigneur n’est pas épargné par les « maintes épreuves de la vie quotidienne » (verset 28, dans Parole Vivante). Si le non-croyant se plaint que ses jours ne sont pas assez nombreux, le chrétien affirme pour d’autres raisons que « le temps est court » (verset 29). Quant à la recommandation que « ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en n’avaient pas », elle a dû faire frémir plus d’une lectrice ! Cependant Paul a déjà exclu les sacrifices décidés unilatéralement par le mari (verset 5).
Son appel au renoncement suppose que déjà le mari a accepté d’autres sacrifices pour sa femme (Ephésiens 5.25). Voulant ainsi concilier des engagements parfois contradictoires, le couple sera parfois partagé (verset 34). Mari et femme seront tiraillés intérieurement : Paul ne fait que constater ce fait. Certes, une consécration sans tiraillements, sans « tirage », est souhaitable (verset 35) ; mais elle est difficile à réaliser !
Evasion ou consécration
Le foyer peut devenir un havre où le chrétien pantouflard se réfugie pour échapper à ses responsabilités spirituelles. L’Eglise, de son côté, peut devenir le moyen d’échapper à ses responsabilités familiales.
Le père de famille rentre de son travail à 20 heures ; ses enfants l’accaparent : sa femme a passé des heures fatigantes avec eux ; le repas est prêt, la réunion de prière commence dans une demi-heure. Est-il raisonnable de vouloir y assister ?
Au lieu de subir de tels dilemmes sans parvenir à une solution qui le satisfasse, le couple doit arriver à un « commun accord » (1 Corinthiens 7.5). Ensemble, un mari et une femme peuvent convenir de renoncer parfois au confort du foyer (une soirée en famille…) pour mieux assumer leurs responsabilités spirituelles. Cependant auront-ils la sagesse d’exclure les renoncements spectaculaires qui bientôt n’auront d’autre effet que de flatter leur orgueil (cf. 1 Corinthiens 7.5) ? L’Eglise sera-t-elle aussi compréhensive que l’apôtre Paul, toujours prêt à être indulgent (1 Corinthiens 7.6) ?
S’intégrer à l’Eglise ou la côtoyer ?
Ce « commun accord » entre un mari et sa femme déterminera le caractère de l’engagement du couple dans la vie de l’Eglise. Cependant d’autres pièges les attendent. Le jour où un couple assume des responsabilités importantes dans l’Eglise, un couple peut oublier qu’il en fait partie, exactement au même dire que les autres membres de la communauté. Dans la joie de donner, il peut oublier de recevoir. Exercer une responsabilité ne signifie pas échapper à une discipline.
Gare au favoritisme en faveur de sa propre famille par exemple. Barnabas a-t-il été coupable de vouloir privilégier son neveu Jean-Marc ? La mère de Jacques et de Jean l’était certainement en réclamant pour ses fils une place d’honneur dans le royaume : tout comme le fut David qui fermait les yeux sur les égarements de ses enfants. Un autre roi, avec beaucoup de courage, a discipliné sa propre mère (2 Chroniques 15.16).
La vie conjugale, école de fidélité
La capacité d’un couple à servir le Seigneur est étroitement liée à la qualité de sa vie conjugale. Tout d’abord, un responsable d’Eglise doit être « mari d’une seule femme » (1 Timothée 3.2 et 12). Cette exigence n’implique ni une opposition au célibat (Paul était peut-être célibataire lui-même), ni un refus du remariage en cas de veuvage (pour ne citer que deux illustres exemple, rappelons que Georges Müller et Hudson Taylor ont été mariés deux fois)
Il ne semble pas non plus que la polygamie soit envisagée chez les autres membres de l’Eglise, la monogamie étant normative pour tous. Il s’agit tout simplement d’un appel à la fidélité. Le responsable d’Eglise doit être l’homme d’une seule femme, n’ayant des yeux et un coeur que pour elle.
La vie familiale, une preuve d’aptitude au service
II n’est pas possible d’édifier chez les autres une vie spirituelle qui n’existe pas dans sa propre famille : c’est la logique des célèbres phrases des lettres écrites à Timothée (1 Tim 3.4-5) et à Tite (1.6). En effet, les qualités de gestion, de sollicitude et d’autorité se forment tout d’abord dans le foyer ; là, le chrétien apprend « à corriger, à avertir ses enfants selon le Seigneur ». Cependant que d’angoisses pour le responsable d’Eglise si ses amis exigent impitoyablement que ses enfants soient des chrétiens exemplaires !
En réalité, les passages bibliques en question établissent des critères pour découvrir ceux qui pourraient devenir des responsables dans l’Eglise ; il ne sont pas là pour démolir les responsables déjà en fonction. Les enfants d’un responsable chrétien doivent être « croyants » et « fidèles » : le sens de cette exigence doit se situer quelque part entre l’interprétation maximale (tous les enfants du responsable doivent être à tout âge engagés el exemplaires) et l’interprétation minimale (il suffit qu’une bonne discipline morale soit plus ou moins respectée dans la famille jusqu’à la majorité des enfants). En Israël, les paroles de la loi devaient êlre inscrites sur les poteaux de la maison el sur les portes ; le couple chrélien doit aussi afficher la Parole de Dieu dans son style de vie.
Le couple : une équipe
Selon la belle expression de Pierre, le chrélien et sa femme sont « cohéritiers de la grâce de la vie ». Ils peuvent êlre aussi, comme Aquilas el Priscille, « collaborateurs dans l’oeuvre du Christ Jésus ».
Si l’un d’eux est appelé à accepter une responsabilité dans l’oeuvre du Seigneur, l’autre y est aussi impliqué. En appelant Simon Pierre, Jésus n’a pas oublié sa femme ; il guérit la belle-mère de Pierre : son épouse avait certainement besoin de son aide pour le service et pour la seconder pendant les absences de son mari (Luc 4 et 5). Devant le défi d’une nouvelle responsabilité, il faut un « commun accord » (1 Corinthiens 7.5).
A d’autres niveaux, cette collaboration est essentielle. Il arrive que le dimanche matin, malgré le psaume 122, l’ambiance soit loin d’être joyeuse lorsque l’on dit : « Allons à la maison de l’Eternel ! » A l’instant où il faut habiller et préparer les enfants encore petits, où les plus grands sont mobilisés pour rendre quelques services, où l’on range la maison avant de partir, est-ce bien le moment que le père annonce discrètement son besoin de se retirer dans son bureau « pour méditer un peu avant le culte » ?
L’unité du couple au service de Dieu ne doit pas se transformer en loyauté tribale. Faire équipe ensemble, ne signifie pas faire bloc contre les autres. Parfois des conflits naissent entre familles, ou au sein des familles, comme à Corinthe. Dans ce cas le partage dans le couple risque de n’être qu’une commisération mutuelle.
Le couple doit s’efforcer de rester à l’écoute de l’Eglise dans son ensemble. Des échanges honnêtes lui permettront de lutter contre l’amertume et d’apprécier objectivement une situation difficile. Il est important de protéger les enfants dans de tels moments : « le souci de toutes les Eglises » n’est pas un fardeau qu’ils doivent porter. Ou bien voudrait-on que l’Eglise signifie pour eux « ce qui donne du souci à mes parents » ?
Le foyer : un lieu d’accueil
Cette collaboration du couple est essentielle aussi dans la pratique de l’hospitalité qui est une marque distinctive du chrétien. Lorsqu’il néglige l’hospitalité, un couple peut passer à côté des bénédictions que Dieu lui réserve (Hébreux 13.2). Cependant cet accueil peut se dégrader pour ne devenir qu’un devoir mal vécu (1 Pierre 4.9).
Jusqu’où doit aller la disponibilité du couple ? Faut-il fixer des limites ? Certains sont appelés à un ministère d’accueil. Leurs portes seront toujours ouvertes. Cependant il est légitime de le limiter s’il met en péril l’équilibre familial. Après tout Paul conseille d’organiser sa vie de prière pour tenir compte de la vie conjugale intime (1 Corinthiens 7.2 et ss).
Un ministère d’hospitalité peut avoir des répercussions profondes. Comme Aquilas et Priscille qui ont su aider le redoutable Apollos (Actes 18), bien d’autres couples sont à l’origine de ministères fructueux, pour avoir accueilli chez eux des responsables de l’avenir.
Le ressourcement du couple
« Je suis fatiguée d’être Marthe, je voudrais être Marie ». Ce cri du coeur de l’épouse d’un responsable d’Eglise exprime les sentiments de beaucoup. La triple responsabilité du couple chrétien dans la vie professionnelle, familiale et spirituelle est épuisante parfois.
Le ressourcement quotidien est peut-être plus important que le congé-ressourcement. Mari et femme peuvent coopérer pour que chacun ait un temps de recueillement personnel. Parfois un écart se creuse entre leurs connaissances bibliques et leur vision, stimulée par leurs responsabilités à l’Eglise. Et avec l’arrivée des enfants, le partage spirituel devient plus difficile que pendant les fiançailles !
C’est Pierre qui souligne le lien étroit qui existe entre la qualité des relations conjugales et la vie de prière. Le couple est une cellule de prière. Rien ne doit empêcher son fonctionnement (1 Pierre 3.7).
Tiraillés entre la famille, l’Eglise et le travail, les Aquilas et les Priscille seront parfois attirés par le rêve d’une vie plus simple ! Se sentant mal appréciés malgré leurs efforts, ils peuvent commencer à s’apitoyer sur eux-mêmes, à comptabiliser avec amertume leurs sacrifices.
C’est alors le moment de refaire le choix de Josué. Qui s’en souvient ?
G.C.
NOTE
1. Résumé d’études apportées à la rencontre régionale de Palaiseau en novembre 1987. Quand Geoffrey Cawston a rencontré sa femme Annette, elle était déjà au travail pour le Seigneur. Ils sont mariés depuis 11 ans et habitent depuis 10 ans au Mans où ils désirent voir le témoignage s’étendre à d’autres quartiers de la ville. Ils ont trois petites filles de 2, 4 et 6 ans et « sont plus que jamais convaincus du besoin de couples, qui comme Aquilas et Priscille, combinent sans déséquilibre leur vie familiale et professionnelle avec un engagement dans l’oeuvre de Dieu ».