Noël, ou je crois à l’incarnation
par François-Jean Martin
Dans la plaquette que nous avons publiée pour présenter nos assemblées, nous trouvons une déclaration de foi que nous donnons comme exemple de la pensée de nos églises sur le plan doctrinal. Nous déclarons que :
« Nous croyons en la divinité et la préexistence éternelle de Jésus-Christ. Conçu par le Saint-Esprit, né de la vierge Marie, il partagea pleinement la condition humaine sans commettre de péché »1.
Que dans nos églises évangéliques on affirme, comme moi aujourd’hui : « Je crois à l’incarnation », cela n’a rien d’étonnant ! Mais qu’est-ce que cela signifie ? Quelles en sont les conséquences dans ma vie, dans la vie de nos églises ?
En ces moments de préparatifs de la fête de Noël, ces questions sont d’une actualité bien réelle. Plus que jamais, notre confession de foi où nous publions ce que nous croyons nous interpelle pour savoir ce que nous mettons sous le mot croire.
Faisons-nous ainsi référence à un exercice de style, à une adhésion intellectuelle, à une conviction familiale, à une tradition respectée ? Et si croire allait au-delà ! Et si croire ne pouvait se conjuguer qu’avec vivre ! Mais voyons rapidement ce qu’est l’incarnation.
Noël ou pacte d’incarnation
A. Bref résumé
1. Les données bibliques
L’incarnation est l’acte par lequel le Fils de Dieu a revêtu volontairement un corps humain. Le mot « incarnation » est un terme théologique qui ne figure pas dans la Bible ; il vient du latin caro, carnis, qui signifie chair « La Parole a été faite chair et elle a habité parmi nous », (Jean 1.14).
En naissant sous le règne de l’empereur romain Auguste (Luc 2.1) à Bethléhem (Luc 2.4-7) selon l’annonce faite par le prophète Michée (5.1), Jésus-Christ s’inscrit dans l’histoire de l’humanité. Ses généalogies attestent non seulement son appartenance au peuple d’Israël et son rattachement aux porteurs des promesses messianiques, David et Abraham (Mat. 1.1-17), mais encore son appartenance à l’humanité comme fils d’Adam (Luc 3.23-38).
De même, le choix par Jésus du titre de « Fils de l’homme », s’il fait certainement référence à sa messianité selon Daniel (7.13-14), souligne aussi sa réelle humanité. Cette humanité Jésus l’a vécue pleinement hormis le péché, en voyant, entendant, sentant, touchant, goûtant, en ayant faim et soif, en travaillant, en se fatigant, en dormant, en étant tenté et en mourant.
2. Le mystère du vécu de l’incarnation
Ainsi nous affirmons que Jésus-Christ, dès sa naissance, était pleinement humain et pleinement divin. Affirmer ces deux vérités côte à côte pose clairement le problème de la christologie : comment quelqu’un peut-il être à la fois homme et Dieu ? Le Nouveau Testament décrit la situation, les controverses christologiques des siècles suivants ont cherché en tâtonnant des solutions2 et c’est le Concile de Chalcédoine (en 451 après Jésus-Christ) qui en a donné une formulation définitive.
Mais cela ne nous dit pas comment cela se peut. Peut-être nous faut-il reconnaître là nos limites à la compréhension de ce mystère, tout en maintenant ferme cette position doctrinale, c’est-à-dire, en publiant donc notre accord avec le Concile de Chalcédoine qui confesse « Jésus-Christ le même parfait en divinité et le même parfait en humanité, vraiment Dieu et le même vraiment homme, composé d’une âme raisonnable et d’un corps,… sans confusion, sans division et sans séparation ».
B. Fausses conceptions de l’Incarnation
Dans un précédent article sur Noël3 , nous avons vu le combat de l’Eglise pour « garder le bon dépôt ». Peut-être le lecteur trouvera-t-il que nous nous sommes déjà trop attardés sur « des questions qui de toute façon nous dépassent. Cependant, une juste notion de l’Incarnation est essentielle pour notre foi et souvent les erreurs du passé constituent pour nous une utile mise en garde4 ».
Nous aimerions compléter ce que nous avions déjà vu en soulignant de fausses conceptions sur l’Incarnation. C’est le cas d’un certain nombre de systèmes qui privilégient l’aspect humain de Jésus.
1. La doctrine de la kénose ou la perte de la divinité
La doctrine de la kénose repose sur une interprétation tendancieuse d’une déclaration de Paul aux Philippiens (2.6) qui signale que le Fils s’est dépouillé lui-même5. « Les adeptes de cette doctrine en tirent la conclusion que le Logos a renoncé à sa nature divine pour devenir un homme comme nous, qu’il a même perdu la notion de son identité et ne l’a retrouvée que peu à peu, au cours de sa carrière terrestre6 ».
Il semble, d’après ce qu’on lit dans les critiques journalistiques, qu’un film sur Jésus qui a fait beaucoup de bruit ces derniers temps, soutiendrait un avatar visuel de cette hérésie. Cette conception privilégie une interprétation particulière d’un verset isolé, et se heurte au témoignage de beaucoup d’autres textes.
Rappelons simplement ce que Jésus affirmait à douze ans déjà, et qui le montre pleinement conscient de son origine divine : « Ne savez-vous pas que je dois m’occuper des affaires de mon Père ? » (Luc 2.49). J.-M. Nicole termine son paragraphe en disant : « Le Seigneur s’est dépouillé de sa gloire céleste sans pour autant cesser d’être Dieu ».
D’autres systèmes semblent eux rejeter l’humanité de Jésus.
2. Docétisme et monophysisme ou la perte de l’humanité
Les docètes sont les premiers à minimiser l’humanité de Jésus. Le verbe grec dokéo signifie « paraître », d’où le nom de docétisme, car cette doctrine ne voyait dans la nature humaine de Jésus qu’une apparence. Cette conception allait de pair avec le mépris de la matière, considérée comme mauvaise et opposée à l’esprit. Nous avons déjà vu que cette position était celle des gnostiques7 des premiers siècles8.
Elle constitue une négation de l’Incarnation. Or, seul un « esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu » (1 Jean 4.2). Les monophysites au Vème siècle n’attribuent qu’une seule nature au Christ, son humanité aurait été absorbée par la nature divine. Cela aboutit, non seulement à la divinisation de l’homme, mais aussi à la minimisation de la réalité de ce qu’il a vécu comme être humain, y compris ses souffrances.
Tous les passages de l’épître aux Hébreux, qui se fondent sur la totale réalité de l’humanité de Jésus pour nous expliquer qu’il est ainsi proche de nous et qu’il peut ainsi pleinement accomplir l’expiation, seraient réduits à néant.
Mais qu’implique l’Incarnation pour nous ? Quel sens cela a-t-il ?
Noël, Dieu s’approche de nous
A. Le Prologue de Jean, un texte-clef
L’introduction de l’Evangile de Jean rappelle le chapitre 1 de la Genèse. Ce prologue fait ressortir deux grands thèmes qui concernent notre sujet, à savoir la préexistence éternelle et l’Incarnation du Fils (Parole dès le commencement, Parole faite chair).
1. Humanité et divinité
La structure du texte9 met l’accent sur les versets 10 à 13, coeur du message de cette introduction. Les versets 1 et 18 insistent sur l’antériorité absolue du Fils et l’emploi de l’imparfait souligne que l’évangéliste remonte plus haut que la Genèse, « avant la venue à l’existence de tout ce qui est venu à l’existence ». D’ailleurs10, dire que Jésus-Christ s’est incarné sous-entend qu’il existait auparavant. Cette préexistence est un attribut divin mais le passage est très clair : il proclame que cette Parole qui a été faite chair, Jésus-Christ, était au commencement, non seulement avec Dieu (réflexion trinitaire), mais aussi était Dieu. Ainsi est publiée clairement par ce prologue, à la fois la pleine divinité et la pleine humanité de Jésus-Christ.11
Henri Blocher, commentant ce texte, dit du Christ : « II est la vraie lumière, et le scandaleux, l’incroyable, le tragique, c’est que le monde qui ne tient que par lui ne le connaît pas. La logique des hommes rejette le Logos de Dieu ! ».
Mais pour celui qui l’accepte, l’illumination se révèle être plus qu’une illumination : une nouvelle naissance (v. 12-13).
2. L’incarnation : Jésus-Christ nous révèle le Père
Un autre aspect est celui de la révélation des versets 14 à 18, faisant référence de façon précise à l’Exode. Le verbe « a habité » (v. 14) se traduit littéralement par « a planté sa tente », « a tabernaclé ». Jésus-Christ est l’accomplissement dans sa chair de la figure du tabernacle au milieu du peuple. Un second trait souligne la révélation : les termes « pleine de grâce et de vérité » (v. 14), termes bien connus de l’A.T. (Ps 84.10-11), ces termes se retrouvent précisément dans le récit de la révélation de la gloire de l’Eternel à Moïse en Exode (34.6). 12
Ainsi, par son incarnation, Jésus nous révèle le Père, et le Père dans sa gloire, non plus de dos (Ex. 33.22-23) comme à Moïse, mais en vérité et en grâce. Par grâce, en Jésus-Christ, nous contemplons la gloire de Dieu et cela tout en demeurant en vie. Il est bien vrai que nous avons grâce pour grâce en Jésus-Christ, Dieu incarné pour faire des hommes des enfants de Dieu.
C’est pourquoi, à Noël tout spécialement, en rappelant l’incarnation, cet acte unique d’amour, je suis poussé, personnellement, en famille et avec l’ensemble de l’église, à la louange et à l’adoration.
Je crois à l’incarnation donc j’adore.
Je crois à l’incarnation donc je loue. |
B. L’épître aux Hébreux
1. L’incarnation, étape indispensable au salut
L’incarnation n’est qu’un début, mais un début indispensable sur le chemin de la croix et du tombeau vide. L’incarnation a un but précis, publié par l’ange aux bergers : « II vous est né un Sauveur qui est le Messie, le Seigneur13 » (Luc 2.11). Il fallait qu’un homme sans péché s’offre à la place des pécheurs (Héb. 7.26 ; 2 Cor. 5.21) pour que le péché soit condamné dans une chair semblable à celle des hommes (Rom. 8.3 ; Héb. 2.17).
Ces versets prouvent clairement que l’incarnation était indispensable pour l’expiation du péché et donc au salut des hommes. C’est pour nous sauver que le Fils a revêtu la nature humaine (Luc 19.10 ; Marc 10.45). Paul dira : « II y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ-Jésus homme » (1 Timothée 8.5). Et les mages adorant offrent bien des présents, symboles des buts de l’incarnation.
2. Dieu proche, Dieu avec nous
Ainsi, en s’incarnant, Dieu a parlé par le Fils (Héb. 1.2-3). Dieu n’a jamais été un Dieu lointain, mais en s’incarnant, II est devenu tout spécialement proche de nous. En partageant la condition humaine, le péché excepté, II peut compatir à nos faiblesses, comprendre nos réalités, car II a été tenté comme nous à tous égards (Héb. 4.15 ; 2.18). Extraordinaire preuve de l’amour de Dieu qui, en Jésus-Christ, s’est approché de nous, Emmanuel : Dieu avec nous, et nous pousse à nous approcher avec assurance de Lui (Héb. 4.16).
Si Dieu s’est incarné, s’il a été pleinement homme et pleinement Dieu dès sa naissance, alors quel que soit mon âge ou ma situation je peux m’approcher de Lui. Ayant vécu les mêmes réalités humaines que moi, II peut comprendre que je sois tenté, que je sois fatigué, que j’aie besoin de repos, que j’aie des soucis, des préoccupations.
Je sais qu’il peut m’accueillir avec mes chutes, mes souffrances, mon état dépressif, mes limites, mes désirs les plus secrets. Je suis sûr de trouver auprès du trône de la grâce un secours opportun.
Je crois à l’incarnation donc je m’approche librement de Dieu avec confiance. |
Noël, s’approcher de Dieu
Au travers des récits de la naissance de Jésus dans les évangiles de Luc et de Matthieu, récits de l’incarnation, nous voyons deux groupes s’approcher de Jésus : celui des bergers et celui des mages ; tous deux viennent adorer.
A. Les bergers
Les premiers obéissent à l’ange ; ils ont été touchés dans leurs sens, dans leurs sentiments, dans leur coeur, par la lumière, par les louanges de l’armée céleste ; il y a du merveilleux dans tout cela, y compris dans l’annonce de la venue du Messie, du Seigneur (titre donné à Dieu), incarné dans un nouveau-né couché dans une crèche. Tout cela les conduit à l’adoration.
B. Les mages
Les seconds, les mages obéissent aussi, poussés par leur raison, leur intelligence, leur science. Ils arrivent peut-être plus tard, après un long voyage, mais ils sont aussi là ; ils ont été touchés dans leur intelligence, dans leur coeur ; ils écoutent aussi la voix de Dieu et lui obéissent plutôt qu’à celle des puissants. Ils se retrouvent aussi devant le Seigneur incarné, et tout cela les conduit à l’adoration.
C. Nous aussi, adorons !
J’aimerais par ces mots pousser chacun, qu’il soit touché lors de ces fêtes par les sentiments ou par l’intelligence, à l’adoration. Que par les lumières, les scintillements et les chants ou par la réflexion, l’étude et la connaissance, nous nous retrouvions tous ensemble contemplant le mystère de l’amour de Dieu révélé par l’incarnation et que nous soyons poussés à genoux à adorer.
Mieux encore, loin d’opposer une des démarches à l’autre, que tout notre être, l’esprit, l’âme et le corps, le coeur et l’intelligence, soient ensemble touchés et nous poussent à l’adoration.
Ne soyons pas des chrétiens « schizophrènes », vivant deux vies différentes ; que tout notre être loue le Seigneur !
Quelques conclusions
Cet article sur l’incarnation est au fond une autre façon de demander : « Ce que nous croyons (c’est-à-dire notre confession de foi), est-ce une lettre morte ou une réalité vécue ? » Autrement dit encore, cette plaquette dont nous avons parlé et qui rappelle la doctrine, le « bon dépôt » à garder, qu’allons-nous en faire ? J’entends déjà plusieurs réponses :
« Je vais la ranger
– dans un tiroir,
– dans ma bibliothèque,
– dans ma poubelle,
– dans mon coffre-fort,
– dans ma Bible,
– dans un dossier.
Je vais l’apprendre par coeur et la réciter.
Je vais la vivre ».
Plusieurs réponses sont peut-être valables, mais ce n’est que la dernière que nous voulons souligner. Tout notre message tend à dire que ce n’est qu’en faisant vraiment nôtre, à la lecture de la Bible, ce que nous croyons, en en faisant notre vie, qu’un tel texte deviendra parole vivifiante, parole vivant de son Esprit. Sinon il sera inutile, stérile, lettre morte.
Quelle compréhension avons-nous nous-mêmes de l’incarnation ? Quelles implications en tirons-nous dans nos vies ? Selon notre vécu de la doctrine, nous en donnons une image autour de nous, à nos frères et soeurs, à nos proches.
Nous oublions que la doctrine que nous confessons, nous devrions la vivre. Encore faut-il la comprendre et l’appliquer. Nous l’envisageons (ou hélas nous l’enseignons) comme quelque chose de rébarbatif. Faute d’en actualiser les principes, c’est-à-dire d’en montrer l’application dans notre vécu journalier, nous ignorons trop souvent comment vivre chrétiennement. Plus que les scandales ou les insuffisances des chrétiens, c’est leur silence devant les questions de vie de tous les jours, c’est leur manque de passion pour leur doctrine qui étonnent et découragent les incroyants.
Noël est vraiment l’occasion d’une « grande joie ». Réjouissons-nous pleinement, personnellement, en famille, en église, car nous rappelons « une bonne nouvelle » toujours valable aujourd’hui : « II nous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur » Profitons de ces fêtes pour répondre à l’amour de Dieu manifesté par l’incarnation de Jésus-Christ. Que notre amour témoigne du vrai sens de Noël auprès de nos enfants et de nos proches, et qu’il soit un amour en action et en vérité (1 Jean 3.18) ouvrant nos yeux sur les détresses qui nous entourent.
Nous avons lieu donc de célébrer la fête !
Je crois à l’incarnation donc je témoigne.
F-J.M..
NOTES
1. Servir en L’attendant, n° 5, 1988, p. 10.
2. Voir article sur Noël, « La Fête de la Nativité. Origine et enjeux », dans Servir en L’attendant, n° 427, octobre-décembre 1987.
3. Ibid.
4. Précis de doctrine chrétienne, J.-M. Nicole, 1983, éditions de l’Institut Biblique, Nogent-sur-Marne.
5. II emploie le verbe kenoô : « vider », d’où le terme de kénose.
6. J.-M. Nicole, op. Cit.
7. Voir note 2.
8. Elle est reprise de nos jours par la Science Chrétienne.
9. Voir article « La venue du Fils-Logos : remarques sur le prologue de Jean », Henri Blocher, Ichthus, n° 47-48, nov.-déc. 1974.
10. H. Blocher, op. Cit.
11. Paul le dit aussi aux Colossiens, 2.9 : « la plénitude de la divinité demeurait en lui corporellement ».
12. Un certain nombre d’autres détails permettent de penser que Jean avait bien en tête ce texte de l’Exode. Pour s’en convaincre, voir l’article précité de H. Blocher, p. 7.
13. Adonaï, terme par lequel les Juifs désignaient Dieu pour ne pas prononcer le tétragramme Yahvé, l’Eternel.