Paul aux chrétiens de Colosses (5° partie)
Comblés en Christ… et insatisfaits ?
Paul aux Colossiens, chap. 2, v. 6-23 et 3, v. 1-4)
par Daniel Bresch
Le terrain étant préparé, le cadre mis en place, l’apôtre peut à présent aller plus avant dans sa discussion avec les Colossiens et exposer les conséquences pratiques de la foi. S’agit-il simplement de rappeler quelques préceptes de bonne conduite ? Ce serait méconnaître totalement la portée et la signification de ce qu’on appelle la « partie morale » des lettres de Paul, et particulièrement de celle-ci.
C’est bien dans la pratique de la vie de tous les jours, sous ses aspects les plus variés, que l’on pourra tester la cohérence des comportements et des attitudes avec la foi. Or, l’éthique chrétienne ne relève pas simplement du bon sens, comme on le prétend parfois. Elle est plutôt hors du commun, car bel et bien fondée sur la vie nouvelle en Christ, conformément à l’enseignement des apôtres.
La polémique au sujet de l’hérésie colossienne que nous abordons avec cette section illustre bien les imbrications inséparables entre doctrine et vie. Cela nous vaut une remarquable mise au point sur la différence entre la vie et la religion.
Un besoin réel
S’il fallait résumer en une phrase le problème abordé par cette lettre on pourrait citer les deux versets qui introduisent les exhortations (2.6-7). D’emblée une question se pose : l’apôtre n’a-t-il pas l’air de se répéter ? L’appel à la fidélité, la fermeté, la gratitude, émaille la lettre en différant endroits (1.9-12, 23 ; 2.2-5 ; 3.15-16). Est-ce un simple encouragement au devoir d’être et de faire de tout chrétien ? Il est utile de discerner l’intention de l’apôtre, précisément au moment où il va entamer la discussion délicate sur les idées et pratiques des nouveaux docteurs.
Qu’y a-t-il donc de si attirant dans leur enseignement ? Ni plus ni moins que l’offre d’une plénitude se manifestant dans une vie spirituelle plus épanouie, une vie culturelle plus élevée, des expériences et des révélations exaltantes, qui les feraient vivre dans les lieux célestes et participer aux privilèges des vainqueurs. N’est-ce pas un peu le désir de tout chrétien ? Qu’y a-t-il de répréhensible dans un tel zèle à rechercher la sanctification et à désirer la proximité de Dieu ? D’une certaine manière le message de ces maîtres spirituels trouvait un écho dans un besoin sincère des Colossiens.
Pour se détourner de l’erreur il ne suffit pas de dénoncer les illusions cachées dans ces hautes intentions et les manques profonds de la démarche. Avant d’en arriver là Paul choisit la voie de la relation d’aide : il prend en compte le besoin, mais le replace dans un contexte plus réaliste. En somme, dit-il, ce que vous avez cru ne vous a-t-il pas donné tous les moyens de participer à la plénitude tant désirée, de progresser dans la connaissance et de vivre une piété authentique ? Qu’est-ce qui vous pousse à courir après de nouvelles sensations, à vous nourrir de nouveaux mystères ?
Chaque terme de ces deux versets a son importance et trouve encore une application tout à fait actuelle. N’y a-t-il pas de quoi tester le contenu de notre annonce de l’Evangile aux non-croyants et de notre enseignement des croyants dans l’insistance de Paul sur « le Christ tel que vous l’avez reçu » et « la foi telle qu’on vous l’a enseignée » ? Les participes « enracinés, édifiés, affermis » appellent moins au « faire » qu’à entrer dans ce qui nous est donné de Dieu. Là où l’on ajoute au Christ on remplace, on brouille le message de Dieu en Christ comme s’il était insuffisant. C’est la régression et forcément le recours à des procédés pour animer la vie spirituelle, et la conduite pratique – ce que « marcher » veut dire – en pâtit.
Enfin, l’accent mis sur la reconnaissance montre bien que Paul n’était pas le théologien austère et sévère réprimandant la moindre expression de gratitude exubérante. Mais l’exubérance peut se transformer en grimace quand on utilise l’action de grâce comme procédé, comme s’il y avait une « loi de la louange ». Serions-nous assez fous pour justifier n’importe quoi, y compris le mal au nom de la nécessité de louer Dieu pour être en paix ?
Une certaine spiritualité prône de telles attitudes exaltées qui peuvent hélas mener à la catastrophe. Non, la vraie reconnaissance a pour point de départ une relation de respect et de confiance entre le Seigneur et moi. Elle a pour objet sa personne et son oeuvre, toutes d’amour et de justice. Quelle source intarissable de louanges ! Il y va de l’honneur de Dieu et non de nos états d’âme. Un chrétien sait à qui il exprime sa reconnaissance, il n’a pas besoin d’être dopé.
Plus que des recommandations il y a dans ces deux versets des encouragements puissants dont les Colossiens avaient besoin pour lire la suite. Un bel exemple de pastorale chrétienne ! En quelques mots bien frappés ils nous rappellent les valeurs sûres de notre foi, à ne pas oublier lorsque nous sommes tentés de croire qu’elles sont insuffisantes et incomplètes.
Remises en question
Le passage qui suit (v. 8 à 23) est considéré comme l’un des plus épineux des épîtres de Paul. Il dut certainement être perçu comme tel par les chrétiens de Colosses, car l’autorité de l’apôtre se montre brusquement mordante et implacable. Tout un système de pensée qu’ils avaient pris pour de la manne céleste était radicalement remis en question. Tout un langage, une piété, une moralité apparemment très vertueux étaient maintenant dévoilés dans leur absurdité, leur insolence, leur perversité. Il fallait le courage et la lucidité de l’apôtre pour affronter de la sorte les rêves des chrétiens et les pirouettes des nouveaux prophètes.
Epineux, le texte l’est aussi pour nous, pour plusieurs raisons de compréhension que les Colossiens n’avaient pas. En effet, les expressions allusives des erreurs dénoncées (v. 8, 18, 20-23) ne nous permettent guère de décrire l’hérésie avec précision. Les critiques, assorties d’avertissements (v. 8, 16, 18, 19a, 20-23), s’entrecroisent avec des réponses plus ou moins développées (v. 9-15, 17,19b) et dont certains termes demandent à être interprétés dans le contexte de l’ensemble du Nouveau Testament ou, plus largement, de son époque.
Peu importe l’exacte étiquette que l’on aimerait accrocher à certains mots. La suite de l’histoire de l’Eglise dans les premiers siècles nous donne des éclaircissements sur les hérésies et les sectes qui ont foisonné. A l’époque des apôtres, les germes et les tendances étaient déjà en place. Aussi, abstraction faite de détails liés aux temps et aux lieux, l’argumentation de Paul garde toute son actualité, et sa pertinence. Le besoin de religion de l’homme n’a jamais tari, ni l’ingéniosité qu’il y déploie. Dans quel travers n’a cessé de tomber la spiritualité chrétienne, mais aussi l’éthique ? Les tentations et les séductions suivent sensiblement les mêmes processus et puisent aux mêmes sources, depuis vingt siècles.
La « terre » à la conquête du « ciel »
Trois avertissements (v. 8,16,18) et une interpellation (v. 20), articulés sur une énumération de plusieurs termes évocateurs nous permettent tout de même de discerner les ingrédients et les facteurs qui ont contribué à la dérive dans les Eglises.
Paul en conteste d’abord les fondements (v. 8 ). Cela nous éloigne apparemment de la préoccupation initiale de cette partie de la lettre : « marcher », c’est-à-dire vivre, se conduire, progresser vers la maturité tant spirituelle que morale. Mais l’action seule n’est pas un motif, elle a une source et un but. Seul l’être humain a conscience du temps : il se souvient d’hier… s’interroge sur son origine ; il prévoit le lendemain… s’inquiète de sa destinée. Ceci est le début de la philosophie, la recherche de la sagesse. Ce n’est pas cet effort de réflexion que Paul fustige au versets, mais les spéculations qui, se targuant de philosophie et drapées dans un langage savant, prétendent apporter la réponse à l’angoisse de l’homme pour le sauver du monde et atteindre la plénitude du bonheur.
Deux sources alimentent ces spéculations. La tradition des hommes : en fait une génération transmet à la suivante ses mêmes questions et ses mêmes fantasmes, ses mêmes échecs et ses mêmes recettes, ses mêmes préjugés. Carcan, des héritages, de l’image parentale et des conformismes ! Les éléments du monde : ce ne sont pas les connaissances rudimentaires ; le terme désigne les puissances spirituelles ou astrales censées conduire le monde et la vie des hommes.
Ne sommes-nous pas en pleine actualité ? Fascination de l’astrologie et des forces cosmiques, curiosité pour les puissances occultes, anges ou démons ! Le verset 20 et Galates4.3 citent le même élément séducteur. Nous ne dépenserons pas nos forces et notre temps à explorer ces mondes sordides, comme certains écrits voudraient nous y inciter.
Du vent, des miroirs aux alouettes que tout cela, dit Paul. Il est sans égards vis-à-vis des propagateurs de tels enseignements : ne vous laissez pas capturer comme des pigeons, ce sont des suborneurs et des ravisseurs qui vous emmènent comme des prisonniers, privés de vérité et dépendants du maître à penser !
Puissance des apparences
Une deuxième attaque est dirigée contre toutes les mesures de mise en forme et en norme de la vie spirituelle dans ses expressions religieuses et morales (v. 16, 20-21). La religion a ceci de paradoxal que, dans ses racines elle signale l’immense besoin spirituel de l’homme, mais dans ses manifestations elle arrive à l’annexer et l’étouffer. Son attrait s’explique par l’assimilation de toutes sortes de symboles, à Colosses des pratiques tirées du judaïsme et du paganisme.
Son empire se manifeste par un encadrement de tous les actes de la vie. Les uns sont ordonnés en exigences : rites, cultes et cérémonies, à accomplir à tel moment et en tel lieu, indispensables car ils rapprochent de Dieu. Les autres sont codifiés en interdictions : faits et gestes de la vie courante, à surveiller sans relâche, condamnables parce qu’ils éloignent de Dieu. On pourrait facilement citer des termes en « isme » désignant ces développements. Le « religieux » que nous critiquons dans les grandes Eglises, touche aussi nos communautés, dans les formes de la piété et dans les codes de notre conduite.
Observons que Paul ne s’attarde pas à des descriptions, mais en quelques touches incisives il en analyse et la nature et le danger. Tout cet édifice flamboyant de formes esthétiques et religieuses n’est qu’ombre obscure et fuyante (v. 17). Tout cet ensemble complexe d’abstinences et de tabous vertueux ne sont que des inventions humains, qui, comme l’ombre, ne sont qu’apparence (v. 22-23a).
Quant au danger, l’avertissement de l’apôtre devrait nous faire réfléchir : comment pouvez-vous, dit-il en quelque sorte, permettre à des censeurs de vous dominer et de vous culpabiliser inutilement ? Ce qu’il dénonce ici, c’est une prise de pouvoir sur les consciences en contrôlant les sentiments et en dictant les actions. En même temps il s’étonne de la vulnérabilité des chrétiens qui perdent si facilement l’esprit critique et le sens des responsabilités.
Spirituel et charnel
La troisième série d’objections, en lien étroit avec ce qui précède vise le motif et l’état d’esprit de l’erreur. Paul ne peut cacher son indignation et se montre ironique. Observons sa triple mise en garde (v. 18-19a, 22-23). Derrière l’observance stricte et scrupuleuse de règles destinées à créer une pureté supérieure, se profile un profond mépris de l’homme et du monde, pourtant créés par Dieu (1.16). L’idéal de liberté est d’être « semblable aux anges » et d’avoir des « révélations ». Comme si le corps, la matière, les choses étaient le domaine des ténèbres et du mal ! Jésus avait déjà parlé de cette séduction (voir Matthieu 15.1-20).
Ensuite, cette course après une vie « totale » se manifeste par un déploiement de zèle forçant l’admiration. Mais dans cette compétition hyperspirituelle, l’humilité n’est que de l’orgueil ; qui fait l’ange fait la bête. Celui qui se désincarné ainsi, demeure bien dans la chair.
Enfin ce genre de recherche particulière de style de vie, de constructions spéciales de formes de culte mène tout droit à la secte des élus et des initiés. Cela s’appelle séparation du Christ et destruction du Corps du Christ ! Méconnaissance de l’interdépendance avec les frères et soeurs dans la foi et de la dépendance de la seule grâce de Dieu (v. 19b) ! Les gens qui vous poussent dans ce jeu-là, dit Paul, ne sont pas honnêtes. Ce sont des voleurs de liberté et de relation, qui vous détournent de la victoire qui vous est due en Christ !
Une réponse réelle
Les critiques de Paul de ceux qui veulent « compléter » la foi et de leurs folies ferventes ont passablement retenu notre attention. Est-ce à dire qu’il faut, pour rester fidèle, adopter une attitude méfiante et immobile ? Pour progresser, tout de même, il faut rester ouvert et savoir se réformer. C’est bien ce que souhaite et constate l’apôtre : votre attente est légitime, semble-t-il dire. Mais alors, qu’est-ce qu’on vous a offert (v. 8, 16-23) ? Car enfin, de quoi faites-vous dépendre votre vie (v. 20) ?
La préoccupation de Paul et sa réponse concernent la réalité aussi bien de ce qui est cru que de ce qui est vécu (v. 17). Autorités et codes sont légion en ce monde, jusque dans les églises, mais ils sont changeants et impuissants, en dépit des promesses et des émotions. Pour le chrétien la réalité de la foi et de la vie est en Christ. Or, les chrétiens de Colosses étaient en grand danger de lâcher la proie pour l’ombre. Ils cherchaient la communion avec Dieu dans ce qui ne faisait que suggérer le Christ et son oeuvre, au lieu de se fonder sur les bienfaits acquis en lui dans les faits accomplis par lui. Ils accordaient à des actes matériels et à des choses caduques un rôle de purification, au lieu de pratiquer la vérité dans l’amour en suivant Jésus jour après jour. La régression spirituelle et morale parmi les croyants trouve une cause importante dans ce renversement des valeurs.
L’apôtre est grandement préoccupé par la relation du croyant à Dieu, concrétisée dans sa relation aux autres, dans l’Eglise (v. 19). En contraste avec les cheminements individualistes et centrifuges des états d’âme de certains visionnaires, la réponse de Paul est sans ambages. Il faut s’attacher au Christ et à son Corps, garder des liens vivants et vrais avec tous ses membres, écouter ensemble la Parole de Dieu. C’est ainsi que l’on avance et grandit. La négligence coupable de ces faits explique bien des déraillements et des déchirements.
En vérité, ces deux rappels s’appuient sur le développement central de notre texte (v. 9-15). C’est là que nous saisissons toute la vigueur et l’étendue de la réponse de l’apôtre.
« En » Christ, « avec » lui, « par » lui
Si l’Eglise à Colosses s’est laissée attirer par d’autres médiations pour son salut, sa conduite et son témoignage, c’est parce que sa perception du Christ et de son oeuvre s’est progressivement dévaluée et déformée. La doctrine, certes, mais encore la qualité de la vie de votre Eglise est à la mesure de votre christologie. Après l’hymne du premier chapitre, ce texte condense – comme Paul sait le faire – tout ce que Christ est.
Tout ce qu’il a fait, qui nous est nécessaire et nous est donné, est déployé en trois vagues successives. Cette vie ne suffit pas pour vivre de cette plénitude-là. On peut s’étonner alors de la propension des chrétiens à chercher une autre plénitude. Le mouvement de fond est introduit par les versets 9 et 10. C’est en Christ, parce qu’il est véritablement Dieu, que demeure et vit la plénitude divine, et dans aucun autre être ou moyen. « Corporellement » souligne la réalité concrète de sa personne, venue en véritable homme. Cette révélation de Dieu et de son salut n’est pas une idée, un voeu, une pulsion dans notre tête.
S’il y a une réalité dans la vie du chrétien et de l’Eglise elle tient au Christ qui est présent et vivant quoiqu’invisible. En nous-mêmes nous restons des indigents, c’est en lui que nous sommes comblés, déjà ! Nous n’avons rien à ravir, mais à recevoir. Le verbe « avoir » affaiblit la pointe du texte, et l’emploi du futur est une interprétation orientée dans un sens trop subjectif. La plénitude du salut est en Christ, ainsi également la plénitude de la victoire : il est au-dessus de tout pouvoir, rien n’est juste et saint en dehors de lui. Tout cela est amplifié par les rouleaux de lames suivantes.
Le contenu du salut en Christ est maintenant envisagé dans sa profondeur (v. 11 -13b). Le chercheur de plénitude se préoccupe beaucoup de communion, et les promesses d’un état d’union fusionnelle bienheureuse ne manquent pas. La Parole de Dieu nous annonce clairement et sobrement que si nous avons cru en Dieu nous sommes déjà bénéficiaires – en Christ – de ce qui s’est passé dans sa mort et sa résurrection (v. 12). Cette union avec Christ est d’abord un fait historique et ne dépend pas de mon consentement.
Lorsque Christ est mort, la sentence de mort sur mon injustice et mon hostilité envers Dieu a été accomplie, de même que sur toutes mes illusions religieuses (v. 13a). Lorsque Christ est ressuscité, le fondement d’une vie nouvelle a été posé. Et c’est en recevant le Christ – par la foi – que cette vie m’est donnée de Dieu (v. 13b) ! Je suis maintenant participant de cette vie en Christ, parce que j’ai été enterré avec lui et ressuscité avec lui. Remarquons ici que le baptême mentionné est lié à cette foi, comme la foi est liée à tout ce qu’il représente.
Ce texte appelle bien d’autres remarques que nous limiterons à deux. La mention de la circoncision (v. 11) fait naturellement penser à un retour au ritualisme judaïque, dérapage fréquent dans les premières églises. Par extension, c’est tout rite religieux extérieur censé produire une réalité intérieure, qui est réfuté parce que totalement inefficace. C’est un peu la même discussion évoquée à propos du verset 17. Une autre approche du problème qui a dû susciter ces explications de Paul nous vient de l’utilisation fréquente de certaines expressions dans le courant dit de « sanctification ». On y parle d’« expérience de la croix » dans un sens très subjectif. Ici « mourir et ressusciter avec le Christ » est envisagé comme un processus intérieur de l’âme.
Ce serait une sorte de deuxième expérience plus profonde que la conversion, qui délivrerait le chrétien une fois pour toutes du péché et de la chair. Elle serait propre aux « chrétiens spirituels ». Celui qui s’attend à une telle transmutation s’expose à de graves dangers. Il ne cesse de découvrir que ce qui est « charnel » exerce toujours son attrait. Déçu, il se mettra à douter de tout, de sa foi et de Dieu, des autres et de lui-même. Ou bien il se réfugiera dans une volonté crispée jugeant de tout à l’aune de son système de pensée. Voilà bien une « circoncision de la main de l’homme » ! le vrai « dépouillement » a été accompli en Christ. Il n’est cependant pas vrai que le péché disparaît dans cette vie. Le langage de Paul ne va pas du tout dans ce sens (voir la prochaine étude).
Après avoir insisté sur la portée des bienfaits en faveur des sauvés – « comblés » (v. 10a) -, Paul en vient, dans le jaillissement d’un cantique (v. 13c-15), à l’oeuvre même de ce salut complet qui a pour auteur le Christ – c’est-à-dire Dieu (v. 9 et 10b). Tout ce qui devait être fait, tout ce qui pouvait être fait pour l’homme, Dieu l’a fait, dans ce formidable et unique combat de la croix (cf. 1.13-14). Voilà la voie de la liberté par Christ.
Cette vie nouvelle avec lui, ici et maintenant, est fondée sur une triple condition : premièrement, le pardon qui casse les liens de la mort spirituelle (v. 13c). Nous l’avons déjà souligné, ce bienfait n’est de loin pas « élémentaire » ; comment peut-on oublier que c’est Dieu lui-même qui l’a décidé et réalisé. C’est sa nature même : il est amour et veut notre vie. Deuxièmement, la levée d’une dette, de la culpabilité et de la condamnation. L’image est empruntée aux usages de l’époque concernant la reconnaissance de dettes entre particuliers. Désigner dans « l’acte et les dispositions » la loi mosaïque (cf. note de l’ancienne version Segond) n’est ni suggéré par le texte, ni, hélas, en harmonie avec ce qui dit le Nouveau Testament de la Loi (cf. Mt 5.17-18 ; 22.36-40 ; Rm 7.12, 14, etc.).
La Loi n’a pas été détruite sur la croix. Ce qui est attesté ici c’est la libération du pouvoir accusateur de nos péchés, lié à leur pouvoir de mort. La série de verbes souligne la détermination irrévocable de Dieu dans son action. Troisièmement, le dépouillement des puissances de toutes sortes (v. 15) : démons ou hommes, tentations ou séductions. Elles sont démasquées et désarmées, elles n’ont plus aucun droit sur le chrétien et l’Eglise, même si, par ruse et par surprise, elles font parfois des dégâts. Mais le triomphe est en Christ !
Le ciel en marche sur la terre
Par opposition à l’évasion des réalités terrestres considérées hypocritement comme des contraintes pour s’envoler vers une plénitude incertaine (2. 20b-23), l’apôtre Paul nous montre la plénitude du Christ souverain, dont la réalité nous donne une assurance inconnue sur terre (3.1-4). Ce n’est pas une autre évasion qui nous est proposée. Certes, par notre mort avec Christ, nous sommes en quelque sorte devenus des étrangers au monde (2.20a). Pourquoi, dit Paul, vivez-vous comme si vous ne le saviez pas. Mais par notre résurrection avec Christ, nous savons pourquoi nous vivons ici-bas. La chair, le péché, les religions, les structures, les puissances demeurent une réalité. Comme aussi toutes les insuffisances et les dévoiements de l’Eglise, qui montrent bien que la gloire n’est pas pour maintenant. Mais ce qui est réel est caché, mais non moins vivant.
Dans la suite, Paul nous dit comment on vit en chrétien.
D.B.
Pistes de réflexion :
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