Cordonnier ou pasteur
par Alfred Kopp
Dans un précédent numéro (n°4/1992) nous avons présenté deux histoires de caractère personnel et familial. Cette fois-ci nous présentons de nouveau deux histoires, dans un domaine bien différent. Il s’agit de deux serviteurs – évangélistes pionniers, que Dieu a appelés à servir en France depuis l’Allemagne d’une part, depuis l’Amérique d’autre part. Le Seigneur les a fait passer par des chemins bien différents, à partir de cultures et d’arrière-plans très différents. Le but recherché – et les objectifs atteints – sont cependant fort semblables au travers de leur obéissance à Dieu et d’un engagement sans réserve.
Que leurs témoignages nous incitent à nous offrir nous aussi tout entiers au service du meilleur des maîtres. Dieu nous accorde la possibilité – et le privilège – de répondre : « Me voici Seigneur, envoie-moi où tu veux, quand tu veux… ».
Mieux vaut qu’il devienne un bon cordonnier, plutôt qu’un mauvais pasteur ! » Cette boutade de mon père, tout fier de son premier-né, fit rire l’assistance lors de ma présentation à l’église. Pouvait-il prévoir que cet enfant donnerait très jeune son coeur au Seigneur, et qu’il réfléchirait sincèrement au service qu’il pourrait offrir à Dieu ?
Avec admiration, j’observais les serviteurs de Dieu de passage dans notre communauté. Je désirais servir comme eux, plus tard… mais jamais je n’arriverais à prêcher aussi bien ! Une idée lumineuse me vint à l’esprit : je deviendrais cordonnier, pour réparer gratuitement les souliers de chaque serviteur qui nous rendait visite… En effet, en ce temps d’après-guerre, les souliers étaient un article de luxe et on les réparait jusqu’à ce qu’ils tombent en lambeaux ! Mon père, très étonné de mon idée de service, se souvint bien sûr de la boutade citée plus haut !
Je voulais être prêt à servir Dieu à tout instant. A 15 ans à peine, je répondis clairement « Me voici » à l’occasion d’une réunion missionnaire – mais plus tard des doutes m’assaillirent : Dieu peut-il vraiment appeler un enfant ? N’était-ce pas imaginaire, sentimental ?
Plus tard, à l’occasion d’un grand rassemblement de l’union d’églises à laquelle je m’étais rattaché après mon départ de la maison, l’on demanda que des volontaires s’avancent pour donner leur témoignage. Après bien des hésitations, deux ou trois frères d’un âge avancé se manifestèrent pour dire qu’il était très, très difficile de se lever pour témoigner… D’un bond alors je me levai pour dire qu’il était très difficile de rester assis lorsqu’une occasion était donnée de témoigner pour le Seigneur ! Ce fut comme l’effet d’une bombe ! Un jeune de 19 ans s’était levé !
Quelque temps après, la direction nationale de cette église me demanda de commencer une formation pastorale en son sein. Par ailleurs, mon église d’origine me pressait en même temps de m’engager à son service… Cette double insistance me troubla et provoqua chez moi un flottement, au point que ma foi sembla chanceler.
Suivit mon service militaire, pendant lequel je témoignai parfois assez timidement. Nous étions un jour de repos pendant une manoeuvre de plusieurs jours. Mes camarades en avaient profité pour s’installer dans l’unique bar du village voisin. L’ambiance devenait de plus en plus horrible, et à la sortie du village, Dieu parla clairement à mon coeur : II fallait que je donne une réponse claire à l’appel entendu déjà à plusieurs reprises. Comme jamais auparavant, je m’étais rendu compte du gouffre qui existait entre les enfants du monde – mes camarades que j’entendais crier et chanter – et les enfants de lumière. Dieu voulait m’envoyer dans ce monde en perdition… Mais comment ? où ? quand ? Je suis monté dans le camion militaire, j’ai répandu mon coeur devant Dieu ; à genoux, je répétai plusieurs fois :
« Me voici, envoie-moi, où et quand tu voudras ». A partir de ce moment, mon coeur fut en paix, je réalisai que le Seigneur me conduisait plus loin. Il y eut le témoignage dans l’armée, puis par tout un concours de circonstances, une école biblique que je n’avais pas connue précédemment. Je puis bénir Dieu pour l’enseignement clair et profond que j’y reçus – une base merveilleuse pour mon service à venir !
J’avais la vision de deux pays : l’un, outre-mer, l’autre la France ! Soigneusement je me mis à réunir des sujets de prière précis, et me mis à lire fréquemment la Bible en français : suite à l’occupation française après la guerre, la langue de Voltaire avait été ma première langue étrangère au lycée…
Etant Allemand, j’avais été dans mon enfance témoin des tensions à l’égard des Français qui avaient bombardé et occupé notre ville. Ma chère maman, une Suissesse, était morte sous les bombes, me laissant orphelin à l’âge de 5 ans, avec une soeur de 3 ans et un père absent, parti à la guerre. Le Seigneur m’enverrait-il un jour en France ?… Ma réponse restait la même : « Me voici ! »
Mon diplôme de l’école biblique en poche, je pensais être prêt pour le ministère. Mais Dieu avait une meilleure solution en vue pour moi : j’avais à coeur d’approfondir ma connaissance de l’anglais. Pour gagner ma vie à Londres, j’entrepris donc un travail dans un foyer pour étudiants : il fallait que je m’occupe des poubelles, du nettoyage des w.-c. et des salles de bains. En récurant et en brossant, je pus prendre du recul quant à tout l’enseignement que j’avais reçu et j’eus plus tard une autre expérience du même genre, dans un hôpital suisse.
Entre temps, à Londres, j’avais fait la connaissance d’une charmante Suissesse qui avait à coeur de servir le Seigneur. Chose étonnante : dès le début, celle qui devait plus tard devenir mon épouse, parlait de son fardeau pour la France…
Ensemble nous avons attendu une porte ouverte, et simultanément il s’en présenta deux : l’une outre-mer, l’autre en France. « Nous voici ! », mais que voulait pour nous le Seigneur ? Une claire direction nous fut donnée, accompagnée d’une merveilleuse assurance de la part du Seigneur : en février 1968 nous partions pour la France ! – conscients du vaste champ de mission qui se présentait à nous. Notre point de départ fut Palaiseau… combien de temps y resterions-nous ? Devrions-nous aller dans la Somme où nous avions commencé un travail de 1970 à 1979 ? Ou en Bretagne où nous allions régulièrement avec des équipes ? Ou à Limours où une oeuvre pionnière avait débuté, depuis Palaiseau ? Des frères se sont levés pour poursuivre les tâches commencées… et nous sommes toujours à Palaiseau ! – tout en étant impliqués dans un travail pionnier dans le département de la Manche.
Oui, le Seigneur conduit merveilleusement ses enfants. Aussi longtemps qu’il nous prête vie, nous voulons dire : « Nous voici pour ton service ».
A.K.