Sa présence n’a rien d’un mirage
par André Adoul
« II y a d’abondantes joies devant ta face. » (Ps 16.11 )
Dans l’immensité calcinée du désert, le voyageur éprouvé par la soif sous un soleil de plomb écarquille les yeux et croit voir au loin une vaste étendue d’eau où se reflètent le ciel et de légers nuages. Reprenant courage dans un sursaut d’énergie, il avance, avance toujours. Le lac qui paraissait tout proche s’éloigne, s’éloigne encore puis se résorbe soudain. C’était un mirage. En pensant à ce phénomène caractéristique des déserts surchauffés, je ne voudrais pas, en évoquant l’extraordinaire présence du Seigneur, vous pousser à poursuivre le néant, même s’il est alléchant. Votre déconvenue serait grande et votre énergie mal employée.
La présence du Seigneur n’a rien d’un mirage ; c’est une expérience réelle. Ceux qui fréquentent le sanctuaire la décrivent avec émerveillement. Je préfère leur donner la parole, non sans hésitation toutefois, car je redoute de mettre en avant émotions et sentiments. Les uns parlent d’ineffable extase en sa présence. D’autres de gloire transcendante ou d’éblouissante révélation de sa face merveilleuse ; d’autres encore évoquent de fraîches eaux jaillissant de la vie divine ; d’autres usent abondamment des superlatifs ou des mots tels que : ravissement, splendeur, félicité, gloire…
Sans doute est-il bien difficile, pour ne pas dire impossible, de décrire ce que le chrétien peut ressentir dans Sa présence puisque l’apôtre mentionne que la paix qu’elle procure est « au-dessus de toute intelligence ». Pour la connaître, il faut l’expérimenter. Il est bien vrai que devant lui toutes choses apparaissent sous un jour nouveau, métamorphosées. Il est vrai aussi qu’il y a d’abondantes joies devant sa face. Une joie exquise, imprégnée de sereine quiétude qui épanouit l’être tout entier et procure un sentiment de détente et de liberté.
Mais le danger nous guette de mettre l’emphase sur les effets plutôt que sur la cause, sur l’ombre et non la réalité. A poursuivre la joie ineffable on oublie l’auteur de la joie : le Christ. C’est pourquoi, si vous êtes friand de merveilleux – il faut être honnête -, cessez de rechercher l’expérience qui bouleverse. Disciplinez-vous, ne cédez pas à son attrait. Que Sa personne seule vous attire. Cherchez-le de tout votre coeur, sans vous lasser. Après tout, l’essentiel n’est pas le sublime de sa présence mais le fait que je me trouve devant le Seigneur, dans son intimité. Demeurer en lui afin qu’il demeure en moi, voilà l’essentiel. Qu’on me pardonne cette insistance.
Une chrétienne zélée m’entretint de son trouble :
– L’été dernier, me dit-elle, après avoir entendu la prédication de l’Evangile, une grande paix a inondé mon âme et cela durant des mois. J’étais littéralement au ciel. Or, depuis quelques semaines, je ne ressens plus cette paix et m’accuse d’infidélité. J’ai beau m’humilier, je ne retrouve plus mon assurance. J’en suis perturbée. Que dois-je faire ?…
– Rien ! Mais seulement réfléchir un peu. Au fond qu’est-ce qui vous jette dans un tel désarroi ? Qu’attendez-vous pour être apaisée ?
– Bien sûr, de retrouver cette paix !
– C’est justement là votre erreur. Certainement Dieu a jugé bon d’ôter ces sentiments merveilleux auxquels vous vous accrochiez, pour que vous ne regardiez plus à la paix mais à celui qui donne la paix, à Jésus votre paix. Vous devez estimer infiniment plus le Seigneur et son amour que le bien qu’il peut procurer à votre âme. Le Bien-Aimé doit être placé au-dessus de tout. Aimez-le pour lui-même et non pour les faveurs qu’il peut vous accorder et qu’il ne manquera pas d’ailleurs de vous donner en abondance. Dieu est sage. Il enlève vos points d’appui – ici la paix – pour produire en vous « la grande foi » qui n’a pour objet que le Christ.
Un croyant des temps reculés écrivait : « Le sentiment délicieux que tu éprouves parfois est certes un effet de la présence de Dieu et un avant-goût des douceurs du ciel. Mais Dieu l’accorde et le retire comme il lui plaît. Il ne faut surtout pas s’y appuyer dessus si l’on veut être ferme… Les progrès que l’on fait dans la vie spirituelle ne consistent pas à éprouver toujours une grâce sensible qui console et réjouisse mais singulièrement à accepter ses privations avec humilité, patience, renoncement, sans néanmoins perdre courage ni abandonner les exercices de piété. Au contraire. C’est alors qu’il faut redoubler d’efforts et faire tout ce qu’on peut pour ne pas se relâcher dans la sécheresse et les troubles de l’âme… C’est Dieu qui dispense ses dons et ses grâces quand il lui plaît, sans que personne en doive murmurer. »
A.A.