Les labours
par Charles Kuen1
Dès les premières pages de la Bible, nous apprenons que Dieu a voulu associer le travail de l’homme à celui de l’eau pour le développement des cultures vivrières (Gn 2.4-6). Dans ce domaine, comme dans d’autres, Dieu a vu en Adam un collaborateur. Il n’est pas étonnant qu’Adam soit ainsi le premier cultivateur cité par la Parole de Dieu. On peut aisément concevoir que cette activité, outre le côté utilitaire, était pour Adam et Eve source de joie, comme c’est encore le cas pour une majorité de personnes qui cultivent la terre.
I. Qui a initié Adam aux techniques agricoles ?
La Bible est avare de détails. On peut imaginer qu’Adam et Eve ont dû faire preuve d’intelligence, d’imagination, d’observation pour découvrir les méthodes les mieux appropriées aux différentes cultures. Mais un texte biblique nous montre, qu’au départ, Dieu avait donné des instructions précises et détaillées pour éviter des erreurs et pour permettre à Adam d’être un bon agriculteur.
Esaïe 28.24-29 affirme que c’est Dieu qui a enseigné à l’homme la marche à suivre et ce texte abonde en renseignements précis concernant certains travaux, comme les labours, le hersage, le semis, la répartition des cultures dans un champ, les soins d’entretien et la manière de bien récolter. Certains pourraient s’étonner que Dieu donne des instructions aussi minutieuses et détaillées.
Mais ce texte est formel : « Cela aussi vient de l’Eternel des armées ; admirable est son conseil et grandes ses ressources. » Mais c’est une ligne générale de toute la Bible : lorsque le Seigneur le juge indispensable, il s’occupe des moindres détails de notre comportement. Cependant la chute de l’homme est venue bouleverser les conditions paradisiaques. Cette donnée tragique a terni la joie du travail, l’émerveillement de la création. Dieu doit annoncer à Adam : « Le sol sera maudit à cause de toi, il te produira des ronces et des épines, c’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain ».
Même si de nos jours, avec l’utilisation de techniques nouvelles, cette malédiction est moins lourde à porter, il n’en reste pas moins vrai que le cultivateur doit impérativement tenir compte de ce facteur : la lutte contre les ennemis des cultures, en particulier les mauvaises herbes, fait partie intégrante de son activité, exigeant un effort incessant et souvent un investissement fort coûteux. Tout travail du sol : labours, hersages, constitue un aspect de lutte contre les mauvaises herbes.
Cette lutte intégrée fait aussi partie de la vie du chrétien. S’il est appelé à labourer, herser, semer, planter, arroser, récolter avec joie et reconnaissance, il doit aussi veiller, garder, lutter. La Bible dénonce les inconvénients de la paresse ou négligence dans ce domaine : « J’ai passé près du champ de quelqu’un de paresseux et près de la vigne d’un homme dépourvu de sens. Et voici les orties y poussaient partout, les mauvaises herbes en couvraient la surface… » (Pr 24.30-34).
Si le chrétien ne favorise pas la croissance du fruit de l’Esprit et relâche son effort de vigilance, ce sont les oeuvres de la chair qui se manifestent et deviennent envahissantes et étouffantes. Si l’on peut se procurer de la semence de blé, on ne peut acheter de la semence d’ivraie ; mais d’après la parabole bien connue, le diable en possède des stocks suffisants pour envahir n’importe quel champ de blé.
II. Quelques données bibliques concernant les labours
1. En quoi consiste un labour ?
A ouvrir, fendre la terre, la retourner en des sillons, à l’aide d’une charrue munie d’un soc. La terre se fractionne, augmente de volume, et de porosité. C’est le travail qui permet de bien préparer le sol pour la future semence ou le futur plant.
2. Le labour est un travail énergique
De tous les travaux du sol, le labour est le plus énergique qui bouleverse le plus la structure du sol en place. Il est aussi le symbole d’une action énergique et souvent douloureuse. Les pèlerins montant à Jérusalem, se souvenant des souffrances endurées par Israël, prononçaient ces paroles du Psaume 129 : « Des laboureurs ont labouré mon dos. Ils y ont tracé de longs sillons. » Le prophète Michée annonce que « Sion sera labourée comme un champ ». Samson, tourmenté pendant sept jours par sa femme, dévoile son secret, mais répond ensuite à ses interlocuteurs : « Si vous n’aviez pas labouré avec ma génisse, vous n’auriez pas découvert mon énigme » (Jg14.18). Ce genre de labour n’est donc pas réservé aux seuls hommes. Hum !!!
Beaucoup de chrétiens, à l’exemple de Finney, donnent au labour le sens spirituel suivant: « Labourer le terrain, c’est briser le coeur et le préparer à porter du fruit pour Dieu ».
Aux temps bibliques, on labourait à l’aide d’une charrue tirée par deux bêtes de trait, généralement des boeufs mais aussi des ânes, attachés à un joug : travail assez pénible et dont l’Israélite ne devait pas aggraver la « pénibilité ». C’est ainsi qu’il ne fallait pas labourer avec un boeuf et un âne ensemble, car leur rythme de marche différent aggravait l’effort. Celui qui est au courant des réalités agricoles sait qu’une paire de boeufs devait subir une « éducation » préalable pour marcher au même rythme et tirer dans la même direction. Cela est aussi vrai pour un travail en équipe entre chrétiens : il faut aussi apprendre à prendre le joug et à se mettre à l’école du Seigneur. La collégialité que nous voulons vivre au sein de nos assemblées n’est fructueuse que si nous apprenons à marcher dans la même direction en coordonnant bien nos efforts. La Bible nous apprend qu’il existe des bêtes qui refusent de porter le joug et de tracer un sillon (Jb 39.10) même si leur force est grande. Peut-être certains chrétiens farouchement « individualistes » préfèrent-ils ressembler au buffle pour ne pas passer pour un boeuf ou un âne.
3. La profondeur des labours
Du temps de Jésus, la profondeur du labour ne devait guère dépasser les 10-15cm avec les charrues en usage. Une exception : le labour profond ou défonce-ment pratiqué lors de la plantation d’une vigne. Il était fait à la main à l’aide d’une bêche et Esaïe cite cet instrument de travail. On pouvait donc atteindre 30 à 40 cm. Ce défoncement permettait d’assainir le sol, d’extirper les ronces et épines et autres débris nuisibles au jeune plant de vigne.
Le cas échéant, il permettait aussi d’évacuer l’eau stagnante et polluée très nocive aux jeunes racines. On peut donc aisément le comparer au travail en profondeur qui a eu lieu lors de la conversion, où le Père veut préparer le coeur du pécheur repentant pour que son Fils puisse y prospérer.
L’apôtre Paul, pendant trois jours et trois nuits, a dû se soumettre à ce travail purificateur. Mais un tel labour-brisement peut aussi s’imposer chez un chrétien qui se rend compte qu’il devient de plus en plus imperméable à la Parole de Dieu, qu’il résiste de plus en plus difficilement aux tentations, que les ronces et les épines assimilées par Jésus aux soucis, richesses, plaisirs de la vie, deviennent de plus en plus étouffantes. David a passé par un tel labour après son adultère et nous a laissé ce remarquable Psaume 51.
Ce défoncement doit pourtant rester exceptionnel, car les racines de la vigne ne pourraient se développer normalement si on fouillait constamment le sol et sous-sol sous prétexte d’extirper tout élément nuisible au plant de vigne. L’Eternel pose donc une question dans Esaïe 28.24 : « Celui qui laboure pour semer, laboure-t-il toujours ? Ouvre-t-il et herse-t-il toujours son terrain ? »
Mais alors la question se pose : faut-il continuer à labourer ? Oui, car un sol cultivé à toujours tendance à se tasser, à s’encroûter, l’eau, l’air, les semences y pénètrent de plus en plus difficilement, la lutte contre les mauvaises herbes devient préoccupante malgré l’utilisation de désherbants de plus en plus performants. Le chrétien doit faire un effort pour ouvrir son coeur, pour reconnaître ses péchés et se repentir et permettre à la Parole de Dieu d’être efficace en lui, selon Hébreux 4.12-14.
D’ailleurs, même si le labour était peu profond, le cultivateur savait que l’eau continuait et complétait l’action du travail de l’homme. Il n’est donc pas étonnant que l’eau soit restée le symbole de la Parole de Dieu. Il n’y a qu’à lire le célèbre passage d‘Esaïe 55.10. Aujourd’hui, avec les charrues modernes et les tracteurs surpuissants, on pourrait considérablement augmenter la profondeur des labours et dans une certaine mesure on le fait, mais on n’a pas intérêt à bouleverser la structure du sol sur une trop grande épaisseur pour des raisons techniques qu’il est inutile de développer dans le cadre d’une telle étude.
Mais on constate simplement que dans l’épître aux Hébreux, un certain repos est favorable à l’action de la Parole de Dieu. Si la confession des péchés permet au Saint-Esprit de faire en nous son action de purification, laissons-lui aussi le soin de ne pas ramener à la surface la boue qui se trouve au tréfonds de notre coeur. Soyons dans ce domaine de fidèles collaborateurs du Saint-Esprit.
4. Les obstacles aux labours
En Palestine, soumise au régime de la saison sèche alternant avec une saison humide, la période où les labours pouvaient se faire était relativement de courte durée. Un des obstacles est donc la paresse ou négligence du laboureur. La Bible dénonce certains faux prétextes : à cause du froid le paresseux ne laboure pas, il ne sort pas de sa maison parce que soi-disant il y a un lionceau dehors.
Le principe de Romains 12.11 s’applique aux labours comme tout effort que le chrétien doit fournir : « Ayez de l’empressèment et non de la paresse ». Un autre obstacle de taille est la sécheresse, conséquence de la désobéissance à Dieu. Jérémie dit que la terre est crevassée parce qu’il n’y a pas de pluie et que les laboureurs, dans leur honte, se voilent la tête. Le chrétien qui s’éloigne de la Parole de Dieu risque aussi la sécheresse mais comme la lecture de la Bible ne dépend pas des conditions météorologiques, un retour à la source d’eau vive est toujours possible.
Un obstacle exceptionnel, un rocher, ou un banc rocheux peut se présenter. Le prophète Amos affirme qu’on ne laboure pas le rocher, mais Jérémie laisse entendre que la Parole de Dieu est semblable à un marteau qui fait éclater le roc. J’ai pu assister à une expérience intéressante : un viticulteur avait dans une de ses vignes un rocher qui affleurait et qui cassait souvent le soc de la charrue.
Nous avons essayé de faire éclater ce rocher à l’aide d’un explosif agricole. L’explosion n’a pas donné le résultat espéré. Mais durant l’hiver, l’eau a pénétré dans les minuscules fissures produites par l’explosif. Suite au gel et au dégel, cette eau a été, à l’image des propos du prophète, ce marteau qui a fait éclater le roc en profondeur. Cet essai est resté pour moi le symbole de l’action de la Parole de Dieu qui peut amener un coeur de pierre à devenir un coeur de chair.
III. L’état d’esprit du laboureur
Le labour se fait en automne, la récolte a lieu l’été suivant. Pas moyen de raccourcir considérablement ce cycle de croissance. Entre cette période qui va de la préparation du sol à la récolte, que d’inconnues, que de dangers, que de questions ! La pluie viendra-t-elle à temps ? Le semis pourra-t-il se faire dans de bonnes conditions ? Les ennemis ne vont-ils pas décimer la récolte ? L’ivraie ne va-t-elle pas envahir le champ ? La récolte arrivera-t-elle à maturité ? etc.
Mais connaissez-vous un bon agriculteur qui n’assume pas tous ces risques et qui se laisse décourager par la perte partielle ou totale d’une récolte ? N’en est-il pas de même pour le témoignage ou le travail au sein de l’église ? Quel est le prophète qui, après un ou plusieurs passages à vide et sans être encouragé par des récoltes aussi abondantes qu’en agriculture, a renoncé définitivement à sa mission ?
Cher apôtre Paul : les épreuves ne t’ont pas épargné et tu recommandes aux serviteurs de Dieu de labourer avec espérance. Combien sont encourageantes les paroles de Jacques : « Voici que le laboureur attend le précieux fruit de la terre, plein de patience à son égard jusqu’à ce qu’il ait reçu les pluies de la première et de l’arrière-saison. Vous aussi prenez patience, affermissez vos coeurs, car l’avènement du Seigneur est proche ».
Conclusion
Beaucoup de chrétiens vivent aujourd’hui en zones urbaines. S’ils connaissent le sens général des paraboles, la « saveur » de certains textes bibliques risque de leur échapper. Même si le danger est grand de forcer l’image, je pense que le fait de découvrir autrement les vérités bibliques peut être un véritable enrichissement. À vous de voir et éventuellement de le dire.
C.K.
NOTE
1. : Ce message a été le dernier que notre frère Charles Kuen, ancien de l’Eglise de la Bonne Nouvelle de Barr, a donné dans le cadre de la Bonne Nouvelle de Strasbourg, en novembre 1989. Il en avait communiqué le texte à la revue Servir en L’attendant peu avant son décès en octobre dernier.