Une journée en prison
par Gérard PEILHON
La masse imposante du Centre Pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier troue le brouillard épais qui, en ce mardi de début janvier, est répandu sur toute la plaine de l’Isle d’Abeau. Montrant ma carte d’aumônier, je franchis la première porte de l’établissement. Une deuxième, puis une troisième, une quatrième, une cinquième grille seront franchies. Entre-temps j’ai récupéré la « clé 37 » me permettant d’accéder aux cellules de la Maison d’Arrêt et du Centre de Détention.
« Ouverture – Porte – Maison d’arrêt – Deuxième étage. »
J’entends le clic m’indiquant que, depuis sa cabine, le surveillant a actionné le bouton pour m’ouvrir.
– Bonjour, je veux voir quels sont les détenus qui désirent venir à l’étude biblique que j’organiserai à la salle de l’aumônerie cet après-midi.
Le surveillant en poste ce matin est sympathisant. Il m’accueille avec une poignée de main chaleureuse.
Jetant un coup d’oeil à l’oeilleton, je commence ma tournée des cellules. Plusieurs sont encore au lit mais d’autres sont déjà rivés au petit écran. Aux regards surpris de certains détenus, je me rends compte qu’ils sont nouveaux et ne savent pas qui je suis. Je sors le tract, édité à leur intention : « Dompté ? non, apprivoisé ! ».
– Cela te permettra de faire connaissance avec moi. Je suis l’aumônier protestant bénévole et si cela t’intéresse, cet après-midi, je réunis quelques gars pour examiner si ce qui est contenu dans l’Evangile peut nous aider, ou si c’est complètement dépassé et à balancer à la poubelle. A toi de voir si tu veux te joindre à nous et si cela t’intéresse tu pourras être des nôtres les autres fois.
– Ben d’accord, cela me changera les idées, répond le gars.
Dans d’autres cellules, plusieurs me connaissent déjà et ayant participé à de telles études, donnent instantanément leur nom. Après avoir fait environ trente cellules de l’étage, j’ai déjà une douzaine d’inscrits.
Clef des cellules et des cours
« Ouverture – Maison d’arrêt – Deuxième étage pour l’aumônier qui monte au troisième. »
Heureusement qu’il y a un talkie-walkie permettant au surveillant de communiquer, car il m’est arrivé parfois de rester un quart d’heure devant une porte close à frapper désespérément.
Au troisième étage je retrouverai entre autres, Jean-Louis. Avec un large sourire il me serre la main :
– « Bonjour pasteur. Je suis content de vous voir ».
Jean-Louis est un Katangais, ex-chef de la révolte au Zaïre, lorsque les parachutistes belges et français ont dû sauter sur Kolwezi. Jean-Louis se nourrit régulièrement de la Parole de Dieu. Il m’a même demandé onze Nouveaux Testaments qu’il a donnés, au cours de plusieurs visites au parloir, à ses onze enfants. Sa femme est en contact avec le pasteur protestant de Vienne, ville où ils habitent. Jean-Louis a écopé trois années à la place de son fils aîné. Ce Zaïrois est toujours heureux de m’accueillir et de se joindre à ce petit groupe. Son neveu au deuxième étage m’a demandé un entretien particulier qui s’est terminé dans la prière.
Après la cellule de Jean-Louis, j’en ferai beaucoup d’autres, récoltant sept noms.
Puis je passe à l’aile A, réservée aux « pointeurs » (violeurs ou assassins d’enfants). Ceux-ci ne sont pas mélangés aux autres car en prison il y a une ségrégation, en particulier vis à vis de ceux qu’on dénomme les pointeurs. Sept accepteront de se réunir dans une salle d’activités à l’étage.
Ayant terminé ma tournée des cellules, je vais rapidement rentrer à la maison. Il est déjà 13 h 15 et à 14 h 30 la première étude biblique prévue devra débuter.
Je casse la croûte sur le pouce et reviens sans traîner dans cette forteresse de l’ennemi, où le message de l’Evangile pénètre et transforme des coeurs et des consciences. Sur les quinze inscrits, j’en aurai treize.
Il a fallu que je franchisse à nouveau toutes les portes, que je récupère la clé, puisque j’ouvre chaque cellule, que j’attende qu’ils se soient préparés pour refermer leur cellule. Puis, après les avoir rassemblés, je signale leur nombre au surveillant d’étage, je le répète au rez-de-chaussée, je fais ouvrir la cour de promenade où deux autres détenus désirent se joindre à nous.
Enfin nous nous installons dans la petite salle d’aumônerie où, pendant 3/4 h à 1 h, nous sommes plongés dans le texte de l’Evangile de Matthieu, soulevant constamment des questions des participants. Certains sont totalement ignorants, d’autres connaissent quelques notions, d’autres encore (les musulmans) ont des objections qui déclenchent une discussion animée.
Après cette heure je termine par un moment de prière, je remonte au troisième étage, franchissant toutes les portes en question et me réunis avec les « pointeurs »dans la salle d’activités. L’attention est perceptible dans le sérieux de la lecture du texte et dans l’écoute des explications que j’apporte. L’un d’eux écrase une larme. Je prie et leur propose comme à l’auditoire précédent, les Nouveaux Testaments et des exemplaires du magazine Jeunesse Libérée qu’ils s’arrachent littéralement.
Une troisième étude avec les quelques non-pointeurs de l’étage sera faite dans une deuxième salle d’activités. Jean-Louis clôturera celle-ci par une prière bouleversante. Ceux qui ont suivi l’étude biblique d’une façon distraite sont aussi recueillis.
En cellule avec eux
« Pour l’aumônier – Ouverture – Maison d’arrêt – Troisième étage. Il descend pour aller au CD. » La même litanie prononcée d’une voix monocorde dans le talkie-walkie sera le « Sésame ouvre-toi ».
Je rencontre Jean-Pierre dans le corridor. Il met tend une droite chaleureuse. Je remarque un pansement à la main gauche. M’asseyant sur son lit, j’apprends qu’il s’est coupé deux phalanges parce qu’il n’a pu aller à l’enterrement de son père. Il devait rassembler la somme de 2000 F pour payer le train aux deux gendarmes et à lui-même (aller-retour) Saint-Quentin-Blois. Un co-détenu a remarqué le sang qui coulait de sa main. Il a pu prévenir rapidement un surveillant. Amené d’urgence à l’hôpital, le doigt a pu être sauvé. C’est terrible d’en arriver là pour qu’on fasse attention à soi !
Jean-Pierre a perdu pratiquement tous les membres de sa famille dans des suicides. Sa mère s’est suicidée alors qu’il avait quinze ans ; son frère aîné s’est suicidé dans une cellule d’une Centrale ; un oncle a connu la même fin tragique. Son père vient de mourir d’abus d’alcool. Il l’a très peu connu puis, abandonné à l’âge de deux ans, il ne l’a revu qu’une seule fois à quinze ans. Mais pour Jean-Pierre, c’était essentiel de pouvoir se recueillir sur la tombe de ce père.
Ce gars est très heureux que je le visite et prie avec lui après qu’il ait pu « vider son sac ».
Ensuite je passe dans la cellule où Xavier – un gitan qui s’est marié dans l’établissement pénitentiaire – et Guy, autre gitan dont la femme est malade, m’accueillent silencieusement. Je constate dans leur regard leur préoccupation :
– Ma femme ne veut pas se faire opérer des poumons me dit Guy. Elle ne veut pas être hospitalisée de crainte que la D.D.A.S.S. ne place nos deux enfants.
Xavier m’apprend que sa grand-mère, amputée d’une jambe quelques mois auparavant, vient de décéder. Il a obtenu une permission pour se rendre à l’enterrement où environ 300 gitans étaient rassemblés. Je donne la main à Guy et à Xavier. Jean-Pierre nous a rejoints et j’ai un moment de prière avec ces trois gars dont l’incarcération est le point commun ; mais les situations familiales douloureuses sont d’autres liens qui leur permettent de se comprendre.
Témoignage par l’amitié
Puis, je m’installerai sur la chaise de la cellule de Jean-Paul.
Celui-ci a déjà purgé dix-huit années dans différentes prisons, en plusieurs séjours. Sa femme a été condamnée à cinq années de réclusion. En ce moment elle est à la prison de Fresnes. Leurs deux enfants ont été placés par la D.D.A.S.S. dans une famille d’accueil.
Jean-Paul tient à ses mômes. C’est toute sa richesse. Il fulmine car, à nouveau, la « JAP » (Juge d’Application des Peines) lui a refusé la permission qu’il espérait avoir pour les fêtes de Noël. Il désirait la passer avec son père – en phase terminale de cancer – et ses deux enfants : Sébastien, 8 ans et Jérémie, 3 ans.
– Où est ton Dieu ? me lance-t-il rageur.
Je reste muet devant la phrase provocatrice. Après un moment de silence, je parle avec Jean-Paul. Il s’est calmé, Je lui rappelle l’amitié qui me conduit à venir régulièrement.
– Souviens-toi que la semaine dernière je t’ai fait parvenir un colis de la part de Gérard, ton ancien copain de détention sorti depuis peu. J’ai téléphoné à ton père, le 25 décembre, pour lui souhaiter un bon Noël de ta part. J’ai téléphoné aussi à la JAP pour intercéder en ta faveur. J’ai essayé de la réatteindre après Noël sans succès. Pourquoi, penses-tu, que je fais tout cela ? Si ce n’est par amitié. Cette amitié, c’est Dieu qui l’a placée dans mon coeur. Depuis le premier jour où je t’ai rencontré, à la suite du coup de fil de l’aumônier de Villefranche – où tu as purgé une partie de ta peine – chaque fois que je suis venu j’ai essayé de te voir, même quand tu travaillais aux cuisines, j’attendais que tu aies terminé ton boulot. Tu peux douter de la réalité de Dieu, mais, si je suis là, c’est parce qu’il est une personne bien vivante qui t’aime et qui voudrait t’aider dans cette nouvelle année. Alors si tu es d’accord, Jean-Paul, je prierai avec toi.
– J’peux pas prier et j’veux pas prier.
– C’est pas ça que je te dis : je suis prêt à prier pour toi.
– Bon ça va !
Jean-Paul, derrière ses tatouages qui couvrent une grande partie de son corps, son cou, ses mains, a une extrême sensibilité et un amour débordant pour ses deux enfants. Il m’en parle chaque fois que je viens le voir.
Je prie avec lui. Un merci ému ponctue ma sortie de sa cellule.
J’irai encore voir Mickaël, Ce gars a fait plusieurs tentatives de suicide mais, petit à petit, il remonte la pente. Il a littéralement dévoré divers livres que je lui ai prêtés : La croix et le poignard, Mon amie la Bible.
Un yaourt pour me remercier
Puis je terminerai chez Zitouni dont le sourire lumineux me fait chaud au coeur. Il est tellement heureux de me voir assis dans sa cellule. Il ouvre son petit frigo – qu’il loue chaque mois – et me sort un yaourt aux fruits. C’est le même cérémonial depuis quelques semaines. II est tellement heureux de pouvoir m’offrir quelque chose. Il m’en sortira un second au cours de la conversation. Il insiste, car je ne veux pas l’en déposséder, et me dit :
– Ce que vous m’apportez est tellement plus précieux que ce que je peux vous offrir. C’est vraiment de gaieté de coeur que je le fais.
Zitouni va être extradé pour l’Algérie. Il était en France en situation irrégulière. Zitouni est géomètre. Un sportif d’une ouverture incroyable au message de l’Evangile. Sa mère Kabyle, son père Algérien, sont divorcés. Zitouni, depuis que je lui ai offert un Nouveau Testament, le dévore. Il me parle de sa Kabylie natale puis il me dit :
– Je ne resterai pas en Algérie car avec tous les assassinats des intellectuels, je ne peux plus supporter de vivre dans ce pays. Dès que possible je repartirai pour l’Angleterre où vit une de mes soeurs.
Zitouni a des larmes dans les yeux quand j’ai terminé de prier avec lui, après avoir lu un texte biblique et dialogué.
Il est déjà 18 h 15. J’aurais dû sortir à 17 h 30 mais, lorsque je partage dans les cellules, j’oublie le temps qui passe et, souvent, le surveillant vient me rappeler à l’ordre.
Cette fois-ci il a laissé faire, m’a même oublié, étant très surpris de me voir encore à l’étage.
Lorsque je remettrai le contact à ma voiture, après avoir franchi les multiples portes pour me retrouver à l’extérieur de l’enceinte de ces murs impressionnants et gris, une prière de reconnaissance montera de mon coeur pour la réceptivité constatée chez plusieurs. Pour la liberté que j’ai de les retrouver dans leur lieu de vie. Pour les Nouveaux Testaments et les Jeunesse Libérée qui ont pu être distribués, une quarantaine environ, au cours de cette seule journée de mardi.
Un autre sujet de joie : lorsque je franchis les portes des cellules, c’est de voir le calendrier Vivre Aujourd’hui que je leur ai offert au cours d’un récital le 28 décembre – à la date. Souvent les feuillets sont sur la table ou sur le lit, montrant qu’ils les ont lus. Cette semence, jour après jour, complète celle que j’essaie d’apporter lorsque, étant de passage dans la petite ville de Saint-Quentin-Fallavier, je rejoins ces détenus chers à mon coeur. Plusieurs d’entre eux deviennent, petit à petit, mes frères en Jésus-Christ.
G.P.