Y-a-t’il un berger dans l’Eglise ? 

 eglise croissance

 

par Francis BAILET

 

 

Ce titre peut paraître une provocation. Il ne veut pas l’être. Nous voudrions simplement conduire nos lecteurs, en particulier ceux qui se préoccupent de la vie de nos assemblées et ont des responsabilités dans l’église, dans une réflexion au sujet du ministère de berger.1

 


 

Le Berger et les bergers

 

Disons d’emblée que la réponse à notre question est évidente : Jésus-Christ est le Berger de l’Eglise. Il a dit lui-même : « Je suis le bon Berger » et les apôtres l’ont confessé comme le grand Berger des brebis (Hb 13.20), comme le souverain Berger (1 Pi 5.4).

 

Il est cependant évident que le Berger de l’Eglise a délégué son autorité à des hommes qu’il a choisis. Notre question concerne la vie des églises locales et pourrait être formulée ainsi : « Y a-t-il dans nos assemblées des hommes établis par le Saint-Esprit pour prendre soin de l’Eglise du Seigneur ? ». « Y a-t-il des bergers capables de prendre soin du troupeau ? »

 

Ici encore la réponse sera évidente pour beaucoup : « Nous avons des anciens reconnus comme tels ! » et d’autres ajouteront : « Nous n’avons pas besoin de pasteur ».

 

 

La situation dans les églises

 

Nous mentionnons pour mémoire la position de l’Eglise catholique et son système hiérarchique avec à sa tête « le pontife romain qui, en vertu de sa charge de vicaire du Christ et pasteur de toute l’Eglise a un pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours librement exercer »2.

 

Dans les églises protestantes traditionnelles on a privilégié les ministères, celui de pasteur essentiellement, au détriment du collège d’anciens (les conseillers presbytéraux) dont la tâche est avant tout d’ordre matériel, la responsabilité spirituelle étant réservée au pasteur.

 

Dans les assemblées françaises3 n’a-t-on pas pris la position opposée ? Nous avons craint qu’un homme prenne trop de place. Nous n’avons pas toujours su discerner les dons que le Seigneur faisait à l’Eglise et souvent nous avons découragé certaines vocations au ministère. Bien des jeunes n’ont pas trouvé au milieu de nous la possibilité d’exprimer les capacités de service que le Seigneur leur avait données.

 

 

L’organisation de l’Eglise dans le Nouveau Testament

 

« II est clair qu’il n’y avait pas dans l’Eglise primitive des responsables distincts des anciens, des diacres ou des apôtres et que l’on aurait appelés des pasteurs ».4. Cependant, différents ministères y étaient exercés par des hommes revêtus de capacités particulières, véritables dons de Christ à son Eglise.

 

Le modèle néo-testamentaire nous présente à la fois l’importance des fonctions d’anciens et de diacres et la richesse et la diversité des ministères. En effet, « le Saint-Esprit a établi des anciens sur tout le troupeau de l’Eglise », mais il a aussi « établi premièrement des apôtres, secondement des prophètes, troisièmement des docteurs », puis encore une grande diversité d’autres ministères5. Ainsi, l’autorité n’est pas seulement exercée par les anciens reconnus officiellement, mais aussi par ceux qui ont reçu un « don de grâce » particulier pour servir l’Eglise. La Parole annoncée dans l’assemblée ou dans un entretien privé est manifestation et exercice de l’autorité que le Seigneur délègue à ses serviteurs. Un acte de compassion, de guérison, de service accompli au nom du Seigneur exprime aussi son autorité,

 

La charge d’ancien est avant tout spirituelle et pas seulement de surveillance, ou administrative. Les anciens et les diacres doivent posséder les qualités morales et spirituelles énumérées par Paul dans sa lettre à Timothée, mais aussi avoir reçu un des charismes mentionnés dans l’une des quatre listes que nous trouvons dans les épîtres.6

 

Pour être fidèle à l’enseignement apostolique l’organisation de l’église devrait donc tenir compte d’une part des fonctions d’anciens et de diacres, d’autre part de la diversité des ministères.

 

La nomination d’un collège d’anciens ne résout pas tous les problèmes. L’appel à un ministère particulier n’apporte pas davantage la solution de toutes les difficultés. Ce n’est pas une meilleure organisation de l’église qui résoudra ses problèmes, mais le renouvellement de la vie spirituelle de ses membres, de tous ses membres. Cependant l’autorité du Seigneur doit être exercée par ceux à qui elle a été déléguée.

 

 

Le sacerdoce universel : à maintenir absolument

 

L’Eglise de Jésus-Christ n’est pas une organisation, c’est un organisme vivant, c’est son corps. Chaque membre a reçu, de sa part, un don de grâce pour exercer, dans le corps, une fonction particulière. C’est par l’engagement de chacun que la croissance de tout le corps est possible. Il n’y a pas de classe privilégiée de chrétiens, pas de distinction entre clercs et laïcs, comme dans l’Ancienne Alliance.

 

L’Eglise de Jésus-Christ est un peuple de prêtres. Il nous faut maintenir le principe du sacerdoce universel, c’est-à-dire le ministère de tous les croyants, que la Réforme a clairement affirmé, même si elle ne l’a pas toujours traduit dans la réalité.

 

Cependant, pour que tous parviennent à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes et soit rendus capables de servir dans le corps, il faut qu’ils soient fortifiés, affermis, formés par ceux que Dieu choisit pour cette noble tâche. Le peuple de Dieu est son corps, mais c’est aussi un troupeau qui a besoin de bergers. Certes, le Seigneur est le Berger de son peuple et chacun d’entre nous peut dire avec assurance : « Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien ». Cependant, l’Eglise a besoin de bergers, de pasteurs.

 

 

L’état spirituel du peuple de Dieu

 

Du temps d’Ezéchiel il n’y avait pas de vrais pasteurs et le troupeau était en mauvais état. Brebis maigre, malade, blessée, égarée ou perdue, aucune ne se portait bien. La grasse et la forte n’étaient pas en bonne santé malgré les apparences puisque destinées à être jugées7. Qu’en est-il aujourd’hui du peuple de Dieu ? Que de rétrogrades, de tièdes, d’assistés, de faibles, d’instables, de malades… !

 

Beaucoup de croyants sont restés des enfants. Ils ne connaissent que l’ABC de l’Evangile. Certains ont besoin qu’on leur enseigne les premiers rudiments des oracles de Dieu. Ils en sont encore au lait et ne supportent pas la nourriture solide, ils n’ont pas l’expérience de la Parole de Dieu.

 

Beaucoup ont fait l’expérience de la nouvelle naissance, mais ignorent la nécessité de la croissance spirituelle. Ils ont appris le message des Evangiles, mais n’ont pas découvert celui des épîtres. Ils n’ont aucune maturité spirituelle. Leur a-t-on enseigné que la conversion n’était que le point de départ de la vie chrétienne ? Ont-ils appris qu’il faut recevoir le Christ, mais aussi marcher en lui, être enracinés et fondés en lui ? Ils savent que Jésus est la porte, que celui qui est entré par lui est sauvé, mais ont-ils compris que Jésus est aussi le chemin qu’il faut suivre jour après jour pour atteindre la pleine maturité ?

 

Notre temps est un temps difficile. Le monde est en crise. La séduction est un des signes de la fin des temps. Les hommes sont prêts à croire n’importe quoi au mépris du simple bon sens. Mais les chrétiens aussi sont encore en recherche. Beaucoup veulent « un plus ». Le miraculeux et le spectaculaire les attirent. Ils pourraient être facilement séduits. Ils ont besoin d’être avertis et protégés des séductions de l’ennemi. L’engagement aussi se fait rare. Ceux qui mettent au service des autres le don qu’ils ont reçu sont peu nombreux. Ce sont toujours les mêmes, nous dit-on, qui sont disponibles pour servir.

 

L’Eglise dont nous parle le Nouveau Testament connaissait déjà ces faiblesses que nous venons d’évoquer. L’apôtre Paul s’étonnait que plusieurs Galates s’étaient détournés si vite de celui qui les avait appelés par la grâce de Dieu, pour passer à un autre Evangile (Ga 1.6). Il s’inquiétait de l’état spirituel de beaucoup d’autres (Ga 4.20). Il avait peur de retrouver les Corinthiens bien différents de ce qu’il aurait souhaité (2 Co 12.20).

 

Il pleurait parce que quelques Philippiens marchaient en ennemis de la croix, avaient pour Dieu leur ventre et ne pensaient qu’aux choses de la terre (Ph 3.18). Heureusement, il pouvait aussi se réjouir de tous ceux qui étaient engagés dans le service de l’Evangile et acceptaient de souffrir pour leur Seigneur. Le fardeau quotidien de l’apôtre était le souci des églises. Il travaillait, combattait dans la prière, supportait toutes sortes de privations afin de faire de chaque chrétien un adulte. Paul était un vrai berger qui prenait soin du troupeau de Dieu.

 

 

Le besoin de l’heure

 

Où sont-ils aujourd’hui les bergers selon le cœur de Dieu ? Où sont-ils ces hommes dont la préoccupation constante est de nourrir, de restaurer, de garder, d’avertir, de protéger, de guider le troupeau et d’attacher chacun au Souverain berger et à sa grâce magnifique, insondable, infiniment variée? Les anciens de nos assemblées sont-ils des bergers ? Y a-t-il des bergers dans nos assemblées ?

 

« Soyez des bergers » disait l’apôtre Paul dans son message aux anciens d’Ephèse réunis autour de lui pour un dernier adieu. Cette exhortation s’adresse aujourd’hui encore à tous ceux qui ont des responsabilités dans l’Eglise. Des bergers ! C’est un des grands besoins de l’heure.

 

 

Des bergers selon le cœur de Dieu

 

On ne s’improvise pas berger. On le devient. Une double vision que donne le Saint-Esprit : Vision du Seigneur d’abord, le bon berger, notre Berger qui nous permet de dire, toujours, en toutes circonstances : « Je ne manquerai de rien ».

 

Vision des hommes dont la détresse bouleverse nos cœurs et nous conduit à prier, puis à aller pour leur dire la Bonne Nouvelle.

 

Une double connaissance : « Je connais mes brebis, dit Jésus, et elles me connaissent ».

 

Il nous faut connaître les hommes, leurs aspirations, leurs questions, leurs besoins, leurs faiblesses, leurs capacités aussi, et discerner le don que Dieu leur a fait pour les conduire dans un service dans l’Eglise. D’où une indispensable disponibilité pour regarder, écouter et questionner afin de discerner l’état spirituel de chacun.

 

Modèle du troupeau, nous aurons la confiance des frères et sœurs qui pourront librement exposer leurs craintes et leurs problèmes, confesser leur faute, ou rechercher la volonté de Dieu.

 

 

Des capacités spirituelles.

 

L’amour avant tout et toujours. C’est le chemin par excellence que montre l’apôtre Paul après avoir donné la liste des différents ministères. Compassion, compréhension, disponibilité, sagesse spirituelle, discernement, connaissance de la Parole de Dieu.

 

Le berger doit aussi, bien évidemment, être capable d’enseigner et de réfuter les contradicteurs. Sa prédication doit être fondée solidement sur l’Ecriture et marquée de l’onction de l’Esprit. Il doit parler comme transmettant la Parole de Dieu. Il doit savoir consoler et encourager, mais aussi reprendre, censurer, exhorter. Jamais imposée, son autorité doit être reconnue et acceptée, car motivée par l’amour. Elle est exercée pour édifier et non pour détruire (2 Co 10.11 et 13.10). Le berger donne et se donne comme Christ l’a fait pour son Eglise.

 

 

L’immensité de la tâche

 

Le ministère de berger est difficile. La détresse des hommes est grande. Que de couples désunis, de foyers brisés ! Que de découragés, de déprimés prêts à s’ôter la vie ! Que de faibles, prisonniers de leur misère ou de leurs passions ! Que de malades dans leurs corps et dans leurs âmes ! Malgré notre consécration et notre travail, nous ne pourrons pas tout faire et nous connaîtrons bien des échecs, causes de découragement. Il faudra souvent reconnaître notre impuissance, nos limites, nos lacunes.

 

L’apôtre Paul, qui portait quotidiennement le fardeau de toutes les églises était aussi conscient de sa faiblesse. Mais le grand Berger des brebis est aussi le souverain Berger de ceux qui veulent être bergers de son troupeau. Il donne à ses serviteurs avec abondance pour qu’ils puissent aussi donner en retour à ceux dont ils ont la charge.

 

 

Des bergers dans l’Eglise

 

II faut donc que des hommes se rendent disponibles pour servir leurs frères. Les anciens de nos assemblées entendront-ils l’appel du Seigneur: « Prends soin de mes agneaux… sois le berger de mes brebis… prends soin de mes brebis »? Que Dieu veuille susciter des hommes qui aiment l’Eglise comme Christ l’a aimée !

 

Heureuse l’Eglise dont les anciens sont des bergers ! S’il y a des bergers dans l’Eglise le peuple de Dieu se réveillera, se fortifiera et s’engagera aussi pour servir et faire connaître le merveilleux Evangile de la grâce, seul espoir pour notre génération corrompue.

 

F.B.

 


NOTES

 

1. Dans cet article, les mots « berger »et « pasteur » sont indifféremment utilisés.

 

2. Catéchisme de l’Eglise catholique (Mame, Plon, p.193.)

 

3. Dans les assemblées de Suisse romande la situation est différente. On lira avec profit le cahier de Semailles et Moisson n° 2 ;  » Les assemblées évangéliques de Suisse romande sous la loupe. Les membres, les anciens, les pasteurs » de Marc Luthi.

 

4. Fondement biblique du ministère pastoral, Emile Nicole in Les cahiers de l’école pastorale baptiste, n° 15-16, p. 10.

 

5. Ep 4.8, 11-12et 1 Co 12.28-30.

 

6. Références des 4 listes: Rm 12.4-8; 1 Co 12.28-30 ;Ep 4.11 ; 1 P4.10-11.

 

7. Lire Ezéchiel 34.