Comment je suis devenu adjoint au maire
Interview de Christian COLAS par Jean-Pierre BORY
Christian Collas est l’un des adjoints au maire de Roissy-en-Brie (77) dans la banlieue-est de Paris. Il est ingénieur en informatique et son épouse Marie-Christine assistante de paroisse, engagée dans diverses activités de l’Eglise baptiste d’Ozoir-la-Ferrière où toute la famille est bien intégrée. Ils ont deux garçons de 11 et 13 ans.
Servir : Christian, depuis combien de temps habitez-vous à Roissy-en-Brie ? et quel genre de ville est Roissy-en-Brie ?
Christian : Nous nous sommes installés à Roissy-en-Brie en 1989. La ville compte environ 20 000 habitants, dont beaucoup travaillent à Paris. Roissy, qui était un petit village il y a quelques années, a connu une urbanisation galopante.
S. Aujourd’hui, tu es conseiller municipal et adjoint au maire et c’est pour cette raison que Servir a souhaité te questionner. Comment a démarré ce projet d’implication dans la gestion de ta ville ? ambition personnelle ? désir de servir la société ou le pays, altruisme, amour du prochain ?
C. On peut dire que plusieurs facteurs ont joué leur rôle. Il y a le plan humain. Depuis longtemps je m’intéresse à la vie de ma région, à son évolution, aux questions qui se posent dans la société aujourd’hui. Et bien sûr cela touche aussi la pensée politique. Mais je n’adhérais à aucun parti. En tant que chrétien, je ne pouvais pas être insensible aux problèmes sociaux, aux difficultés que vivent ceux qui m’entourent. Jésus s’en préoccupait, il était ému par la détresse de ceux qu’il croisait et il apportait soulagement ou guérison.
S. Un jour, tu as donc décidé : je m’engage !
C. Non ! pas du tout ! En arrivant dans le quartier, en 1992, j’avais noué une amitié avec un voisin. Nous avons beaucoup parlé ! de tout, y compris de politique (il s’y intéressait beaucoup), et bien sûr de la gestion de notre cité, dont nous déplorions certaines pratiques ! Sur bien des points, nos vues se rejoignaient malgré nos choix spirituels différents. Deux ans plus tard, il m’annonça son projet de former une liste de centre droite pour les municipales et m’invita à y figurer. Pourquoi pas ? En tant que chrétien, n’avais-je pas là une occasion de servir mon prochain, de « travailler au bien de ma ville1 » ? Avec quelques autres amis, nous avons créé un groupe de réflexion, et diverses petites commissions qui réfléchissaient sur des domaines précis comme les affaires sociales, l’école, l’urbanisme… Et à la surprise de tous, en 1995, cette ville de gauche a choisi notre liste ! Mon ami devint maire et me proposa un poste d’adjoint.
S. Et l’Eglise, dans tout cela ?
C. Dès qu’un projet d’engagement dans la vie publique s’ébaucha avec mes amis (dès 1994), j’en parlai au pasteur et aux anciens de l’Eglise. Puis ce projet fut présenté à toute l’Eglise lors de l’assemblée générale. Mais je n’étais pas le seul candidat ! Je l’étais sur une liste de centre-droite dans une ville de gauche, et une autre sœur de l’Eglise s’était inscrite sur une liste de gauche dans une commune de droite ! Notre Eglise (qui n’est pas à Roissy même, mais sur la commune voisine, Ozoir-la-Ferrière) n’est pas engagée sur le plan politique ! mais elle n’est pas indifférente aux problèmes de société. Récemment, elle s’est associée à une « semaine sur la non-violence » organisée par la ville, avec de grands panneaux sur les paraboles du bon Samaritain et du fils prodigue.
S. Quelle a été l’attitude de l’Eglise à l’égard de ton projet ?
C. Elle n’a pas prié pour que nous soyons élus ! Mais elle a demandé au Seigneur – et nous avons été encouragés à cela – que nous rendions un bon témoignage dans la cité quelle que soit l’issue du scrutin, que nous soyons des témoins de l’évangile là où le Seigneur nous conduirait. Mais nous avons été tous les deux élus, chacun dans notre ville !
S. Quel est ton rôle au conseil municipal ?
C. Je suis chargé du secteur « emploi » (insertion sociale, formation professionnelle, aide au reclassement). C’est ce qui m’intéressait. Et étant donné mon engagement chrétien connu, j’ai hérité aussi du secteur des « cultes », ce qui m’a amené à rencontrer et suivre de près diverses associations caritatives et religieuses, en particulier les Témoins de Jéhovah, et surtout des groupes musulmans.
S. Etais-tu prêt à gérer de tels problèmes ?
C. Je pourrais dire que j’apprends « sur le tas », que je suis moi-même en « formation continue ». Je m’efforce de lire : des journaux (pour être au courant de l’actualité, de ce qui se dit et se pense sur les questions dont je suis chargé), j’ai parcouru plusieurs ouvrages d’économistes. Et surtout ceux de chrétiens qui ont vécu ou évalué à la lumière de l’évangile un engagement politique ou social, comme Colson, Rushdoony (même si je ne partage pas toutes leurs options2)? Yoder, de Coninck, J.-B. Racine sur la ville… J’ai suivi le séminaire sur l’islamologie à l’Institut Biblique de Nogent.
S. En cas d’incertitude, devant une question sans solution claire, ou avec plusieurs solutions possibles, t’est-il arrivé d’aller demander conseil aux anciens, au pasteur, à des amis chrétiens ?
C. Ce n’est pas facile. Il n’est pas possible de donner tous les éléments pour que son interlocuteur non impliqué dans cet engagement social en comprenne tous les ressorts ; certaines choses doivent rester confidentielles. J’essaie de rencontrer d’autres chrétiens engagés dans la vie politique (il y en a un ou deux dans la région). Et j’ai des contacts enrichissants avec des catholiques-sociaux bien que leurs options spirituelles soient souvent différentes des miennes : ils vont souvent plus loin que nous dans une réflexion chrétienne sur les problèmes éthiques. Et je peux parler de tout avec Marie-Christine. [Silence…] Peut-être faudrait-il une aumônerie pour les politiques… ?
S. Après ces trois années d’expérience, trouves-tu cet engagement politique positif ?
C. Jusqu’ici oui. Dans notre pays, il est difficile d’agir seul dans la cité. Il faut l’appui d’un groupe pour être élu, pour être chargé de responsabilités, pour avoir les moyens matériels d’agir. Il faut s’entraider, se mettre avec d’autres pour pouvoir construire. Mais avant cela, il faut avoir soi-même trouvé une identité politique dont les valeurs ne soient pas en opposition avec la Bible.
S. Le fait d’avoir dû t’affilier à un groupe politique est-il pour toi une entrave à ta liberté ? à ta conscience ?
C. Non. Les choses ont été claires dès le début. Je ne suis pas un doctrinaire en politique. Je dois traiter de problèmes concrets, douloureux parfois, pour lesquels une solution intelligente doit être cherchée. Il m’arrive de consulter des gens de « gauche », de solliciter des avis, et parfois de leur donner des tuyaux pour faire face à de mêmes problèmes que les miens ! Il m’est arrivé de m’opposer catégoriquement à des décisions de mon ami le maire, aux propositions de ceux de « mon » parti, parce qu’elles n’étaient pas justes. Le risque est de provoquer une rupture au sein de son propre groupe. Jusqu’ici, ces petits problèmes se sont résolus positivement.
S. Peut-on toujours dire la vérité dans ta fonction ?
C. Colson répond à cette question en prenant le cas d’une prise d’otages. Doit-il publier tout ce qu’il sait au risque de mettre en danger la vie des prisonniers ? Mais ne pas tout dire, n’est-ce pas mentir par omission ? Yoder est plus radical. Je m’efforce de dire ce qui va contribuer à promouvoir la justice et la vérité. Dans les situations délicates, j’essaie de donner à mes interlocuteurs tous les éléments d’information possibles pour qu’ils se fassent eux-mêmes une opinion.
S. Que trouves-tu le plus enrichissant dans l’exercice de ta fonction ?
C. Outre la satisfaction d’avoir pu aider plusieurs dizaines de chômeurs à se réinsérer dans le travail, à trouver des emplois à durée indéterminée dans des entreprises, je suis amené à réfléchir sur les problèmes concrets de la vie qui nous concernent tous : l’urbanisme, la voirie, les écoles, le logement, les loisirs… Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne s’agit plus d’une réflexion théorique, abstraite, mais inscrite dans le réel, le vécu de tous les jours. Cela concerne notre vie familiale, la vie de nos propres garçons ! en même temps que celle de nos voisins de palier, de nos concitoyens. J’essaie de les écouter, d’ouvrir les yeux sur les autres, de comprendre leurs préoccupations.
Sur le plan local, on peut discuter, échanger, s’entraider avec tous, y compris ceux d’un autre parti. Notre commune qui vote très majoritairement à gauche nous a élus sur une liste de centre droit. Les clivages politiques s’effacent devant les problèmes concrets de la commune. Les hommes priment sur les idéologies. C’est pourquoi je me sens très concerné et intéressé par l’engagement sur le plan local, mais pas pour briguer un mandat régional ou national.
S. Tu as plusieurs fois mentionné des contacts avec des musulmans…
C. Effectivement, et cela s’est produit par deux canaux différents : l’Eglise et la mairie ! Par l’Eglise au travers d’une action d’évangélisation. Dans la rue nous avons ouvert la conversation avec un jeune musulman, qui, comme il témoigna plus tard lui-même, n’est pas simplement devenu chrétien mais « disciple de Jésus ». Cela ne s’est pas fait en un jour. Une fois je l’ai retrouvé au commissariat, drogué au crack. Mais aujourd’hui, il marche avec le Seigneur. Par la suite, nous avons eu plusieurs contacts très ouverts avec des familles arabes de notre quartier (c’est d’ailleurs pourquoi Marie-Christine s’est inscrite à son tour pour suivre cette année le séminaire d’islamologie !).
S. Et l’autre canal : est-il possible de rendre témoignage de sa foi auprès des collègues à la municipalité ? dans les relations avec les divers cercles et associations de la ville ?
C. Mes collègues connaissent ma foi, mon appartenance à l’Eglise Evangélique d’Ozoir, et les motivations personnelles de mon engagement en politique. Et puis de par ma fonction, j’ai à dialoguer avec les associations de la ville, y compris des groupes musulmans. Cela m’a permis d’atténuer certaines tensions, d’aider à la formation d’une association culturelle franco-arabe, d’avoir un dialogue avec une population immigrée qui se sent très française, et aspire simplement à être reconnue.
Mon rôle n’est pas de l’empêcher de construire un lieu de prière, mais de l’aider à comprendre la loi civile et à la respecter. Ses jeunes aspirent à la modernité comme les « gaulois », mais leur ouverture sur le spirituel est beaucoup plus grande. On peut avoir des discussions sur la foi, certains me posent des questions, et c’est une porte ouverte pour un témoignage évangélique personnel. Mon rôle de chrétien est de leur dire qu’ils doivent naître de nouveau en Jésus-Christ.
S. Tout cela doit prendre beaucoup de temps. Est-ce compatible avec la vie de famille ? avec la vie de l’Eglise ? avec un emploi ?
C. Il faut faire des choix. Dans l’entreprise, on ne peut plus s’impliquer autant, ce qui rend impossible les promotions. Pour la famille, j’ai réservé un soir de la semaine et j’y refuse tout autre engagement. Pour l’Eglise, c’est plus difficile. Je suis régulier au culte, et participe à certaines actions ponctuelles, mais les activités en semaines me sont impossibles actuellement.
S. Cet engagement très prenant n’est-il pas un risque pour ta propre vie spirituelle ?
C. Si, j’en suis conscient. On peut être tenté par le goût du pouvoir, par la facilité de profiter de certains avantages. Personne n’est à l’abri d’une chute, moi non plus. D’où l’importance d’un contact avec l’Eglise, avec d’autres chrétiens engagés, l’importance d’un soutien dans la prière, de ne pas être laissé seul dans ce combat, dans ce service où j’aimerais rester un témoin de Christ.
S. Qu’envisages-tu pour l’avenir proche, plus lointain ?
C. Quand j’aurai le sentiment de n’avoir plus rien à apporter dans ce service public, ou de ne plus pouvoir le faire, j’arrêterai. Pour l’instant ma conviction est d’être témoin là où je me trouve.
NOTES
1. Jr 29.7 : Recherchez le bien de la ville où je vous ai menés en captivité, et priez l’Eternel en sa faveur, parce que votre bonheur dépend du sien.
2. La théonomie de Rushdoony, la non-violence « totale » pour la pensée mennonite.