Le bon Samaritain
Luc 10.25-37
par Alain KITT
Que dire sur cette parabole (certainement l’une des plus commentées) qui n’a pas déjà été dit ? Heureusement le propos de cet article n’est pas de prouver quelque chose de nouveau ! mais simplement d’encourager la réflexion quant aux implications de ce texte que nous connaissons si bien.
Avant d’aborder la parabole elle-même, il faut la placer dans son contexte. Une des clés de sa compréhension est la personne du docteur de la loi qui a demandé au Seigneur : Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?
Le docteur de la loi
La question elle-même révèle dans quelle perspective se place ce spécialiste de questions religieuses : pour lui, la vie éternelle est une question de mérite. On peut même voir une certaine contradiction entre les termes « faire » et « hériter », car si la vie éternelle est un héritage (c’est-à-dire un don) il n’y a rien que l’on puisse faire pour la mériter. La réponse de Jésus à cette première question, loin de laisser entendre qu’une action accomplie par un homme puisse lui assurer la vie éternelle, indique un état d’esprit : Que ta vie entière soit caractérisée par l’amour de Dieu et du prochain (v. 28, où le temps du verbe n’est pas le même qu’au v.25).
La situation de ce texte est aussi intéressante : Luc, le seul des évangélistes qui ait rappelé cette parabole, la place entre les propos de Jésus sur les choses que son Père a cachées aux sages et aux intelligents (10.21-24) et l’incident où Jésus approuve fortement Marie pour son attitude d’écoute de sa parole (10.3-42). Or, il est évident que le docteur de la loi se classe lui-même parmi les sages et les intelligents.
Deux fois (v.25 et 29) Luc attire notre attention sur les motivations de cet homme : sa première question n’est pas sincère, mais un piège pour mettre Jésus dans l’embarras ; de même, en demandant qui est mon prochain ? il ne cherche pas vraiment une réponse qui pourra l’aider, mais bien à se donner raison.
On ne peut qu’admirer la patience du Seigneur à l’égard de cet homme imbu de sa propre supériorité, et aussi l’habileté avec laquelle il laisse la porte ouverte au dialogue. Sa réponse à la première question souligne l’importance à ses yeux des Ecritures, et invite le docteur de la loi à réfléchir à ce qu’il savait déjà ; dans la parabole qui répond à la question, qui est mon prochain ? Jésus veut l’amener à comprendre que l’idée qu’il se fait de l’amour de Dieu et du prochain est trop limitée.
Venons-en à la parabole elle-même, dont les détails sont suffisamment bien connus pour qu’il ne soit pas nécessaire de les répéter. Soulignons toutefois quelques éléments communs à d’autres paraboles :
Son réalisme
II n’y a rien d’impossible dans le récit. La route reliant Jérusalem à Jéricho, longue d’environ 28 km., était en effet dangereuse, passant par une région montagneuse où des brigands pouvaient facilement se cacher.
L’effet de surprise
Rares sont les traductions de la Bible qui ne mettent pas « Parabole du bon Samaritain » comme titre à ce passage. Mais les auditeurs (car cette conversation a eu lieu en public : le Seigneur était probablement en train d’enseigner quand le docteur de la loi s’est adressé à lui) ne connaissaient pas ce titre, et ont dû être totalement surpris, choqués même, par l’arrivée du Samaritain dans le récit. Il est fort probable qu’ils attendaient un juif laïc pour faire le contraste avec les deux hommes de religion qui n’ont pas voulu aider l’homme blessé.
Nous connaissons l’animosité qui régnait entre les juifs et les Samaritains. Elle remontait loin dans le passé, au 8e siècle av. J.-C. (voir 2 Rois 17). Et les relations s’étaient encore détériorées avec la construction d’un temple près de Sichem, temple qui fut détruit par les juifs en 129 av. J.-C. Le comble fut atteint en l’an 7 ou 8 de notre ère quand des Samaritains souillèrent le temple de Jérusalem avec des ossements humains1.
A l’époque de Jésus, les Samaritains étaient considérés comme des étrangers, des ennemis, certainement pas comme des « prochains ». Qu’un Samaritain, et non pas le sacrificateur ou le Lévite, fût présenté par Jésus comme étant celui des trois hommes qui avait mis en pratique l’enseignement de la loi avait vraiment de quoi surprendre ! Plus encore : qu’un juif (car nous pouvons comprendre que l’homme blessé par les brigands est juif, bien que ce ne soit pas dit de façon explicite) soit redevable pour sa vie à un Samaritain a dû aussi être perçu comme une idée tout à fait révolutionnaire.
L’ouverture
La parabole n’apporte pas de réponses toutes faites, mais invite à la réflexion et à une prise de position. Il n’y a aucun commentaire sur le comportement du sacrificateur et du Lévite; toute notre attention est dirigée vers le Samaritain, et trois versets entiers sont consacrés à son action désintéressée en faveur de quelqu’un qu’il ne connaissait pas du tout. Il modifie son programme, met sa propre vie en péril, fait ce qu’il peut pour soulager immédiatement la douleur du blessé, accomplit le reste du chemin à pied pour que l’autre soit porté par sa monture, place l’homme chez un aubergiste en qui il a confiance, et lui donne deux deniers, une somme suffisante pour trois à huit semaines d’hébergement selon les estimations. Mais le Seigneur ne commente même pas l’action du Samaritain : par une question, il invite le docteur de la loi à tirer sa propre conclusion; ensuite il le met au défi de vivre selon cette conclusion.
Le défi
Quels enseignements devons-nous retirer de cette parabole ? Une chose qui saute aux yeux vient du défi proposé par Jésus: Va, et toi, fais de même. Plusieurs ont remarqué que Jésus ne répond pas directement à la question du docteur. Celui-ci a demandé : Qui est mon prochain ? sous-entendant: Qui mérite que je m’occupe de lui ? Au lieu de répondre, Jésus lui pose une question différente : Qui a été le prochain de l’homme tombé au milieu des brigands ? Autrement dit, ce n’est pas une question de mérite, mais d’amour. L’amour manifesté par le Samaritain est inconditionnel, à l’image de l’amour de Dieu.
Le Samaritain ne demande pas : Qui est cet homme, d’où vient-il, de quelle classe sociale est-il ? mais a tout simplement compassion de quelqu’un qui souffre. Ce mot « compassion » nous rappelle bien sûr l’attitude du Seigneur lui-même, dont nous lisons si souvent qu’il a été ému de compassion et qu’il a immédiatement agi efficacement pour soulager la souffrance. C’est cet amour là que nous sommes appelés à montrer.
Mais cet amour ne vient pas naturellement du cœur de l’homme, c’est Dieu qui le suscite. Il est possible grâce à l’action de Dieu en nous. Nous avons été, comme l’homme laissé au bord du chemin, incapables de nous secourir nous-mêmes, totalement dépendants pour notre vie de l’amour du Seigneur. Sans l’amour de Dieu, et sans le Fils de Dieu qui prit notre chemin, qui fut méprisé tout comme les Samaritains de son époque, mais qui s’arrêta auprès de nous et nous sauva, nous serions aussi voués à la perdition. Et maintenant, ayant connu et reçu cet amour inconditionnel et immérité, nous pouvons aimer les autres sans demander qu’ils méritent que nous les aimions.
A.K.
NOTE
1. : Voir Les Paraboles aujourd’hui, A. Djaballah, p. 222-223 pour plus de détails.