Le fils prodigue
par Alain KITT
L’opposition la plus farouche et obstinée que le Seigneur a dû supporter pendant son ministère est venue des chefs religieux juifs. Parmi leurs reproches en figure un au sujet de ses fréquentations : Celui-ci accueille des pécheurs et mange avec eux. Pour eux, un enseignant religieux devait faire très attention aux gens qu’il fréquentait. Ils méprisaient cette foule qui ne connaissait pas la loi. (Jn. 7.49)
D’après Simon le pharisien, la réaction de Jésus devant une femme pécheresse n’était pas celle d’un vrai prophète (Luc 7.39). C’est pour leur montrer combien leur attitude était éloignée de celle du Dieu qu’ils prétendaient servir, et pour les encourager à recevoir eux-mêmes le pardon et la grâce de Dieu, que Jésus a raconté l’histoire du fils prodigue.
Les paraboles qui précèdent celle-ci (Luc 15.7,10) nous apprennent en effet que le père, dans ce récit, représente le Père céleste, et que la joie occasionnée par le retour du fils prodigue est une image de la joie qui règne au ciel lorsqu’un seul pécheur se repent. Autrement dit, en accueillant les pécheurs et en mangeant avec eux, Jésus accomplit la volonté de son Père ; c’étaient les scribes et les Pharisiens qui, par leur méfiance et leur prétendue supériorité, étaient en dehors de cette volonté.
Réfléchissons à l’enseignement de cette parabole à partir de ses trois personnages principaux : le plus jeune fils, le fils aîné et le père.
Le plus jeune fils
Les scribes et les Pharisiens qui écoutaient ont dû dresser un réquisitoire accablant à son encontre, au fil du récit. Avec chaque détail, Jésus semble vouloir rendre ce fils de plus en plus vil à leurs yeux :
-
sa requête elle-même (la réclamation de son héritage) est coupable, puisque le père est encore en vie, et en bonne santé, à en juger par la vigueur dont il fera preuve au v.20,
-
son départ dans un pays éloigné indique une rupture complète avec les siens : il veut couper tout contact avec sa famille,
-
en menant « grande vie » dans ce pays lointain (v.13, Bible du Semeur), il pensait évidemment trouver sa joie et son plaisir sans tenir aucun compte de son père ni des valeurs familiales,
-
la description de sa déchéance est provocatrice : paître des pourceaux, et être même prêt à se nourrir de ce que mangeaient ces animaux impurs ! Les auditeurs n’auraient pas pu imaginer pire.
Pourtant ce fils réfléchit : dans sa misère, il se souvient de l’abondance qui existe chez son père. Il a eu beau vouloir rompre tout contact, le lien filial est toujours là. Il sait que son comportement l’a rendu indigne du nom de « fils », mais il souhaite rentrer chez son père pour pouvoir au moins survivre et gagner sa vie.
Qu’est-ce qui se passe alors entre sa résolution du v.19 et ce qu’il dit au v.21 ? Pourquoi n’achève-t-il pas le discours qu’il a préparé ? Est-ce que son père l’interrompt tout simplement, ou est-ce que le fils a fait un pas de plus dans sa démarche, comme le pense A. Djaballah ? Note 1. En se faisant traiter comme un employé, il pourrait restituer, partiellement au moins, ce qu’il avait réclamé indûment. Comprend-il maintenant que son seul espoir est la grâce de son père, qu’il ne peut lui-même rien apporter ?
Est-ce que c’est le geste tout à fait inattendu de son père, courant à sa rencontre pour l’embrasser, qui le convainc que son idée de vivre dans la maison en gagnant sa vie ne marchera pas ? Il n’avait certes pas imaginé un tel accueil : au lieu de lui reprocher son comportement abominable, son père le reçoit comme son fils bien-aimé, organise immédiatement une fête, le réinstalle complètement dans sa position de fils, lui donnant la meilleure robe, une bague et des chaussures. Ces trois choses indiquent que le jeune homme n’est ni serviteur, ni étranger, mais bel et bien fils !
Le fils aîné
Nous avons tellement l’habitude d’appeler ce récit « la parabole du fils prodigue » que nous oublions presque qu’ils étaient deux, et que le récit serait incomplet s’il s’arrêtait au v.24. Certains préfèrent comme titre « Le père et ses deux fils », car le fils aîné a aussi des leçons très importantes a nous apprendre.
Il n’avait jamais quitté la maison, et pourtant quelle distance entre lui et son père ; il y a plusieurs indices significatifs de cela :
-
il n’utilise pas le mot « père », mais considère son service comme un esclavage (v.29),
-
il ne fait pas valoir un lien filial, mais son dévouement, son travail, cherchant en fait « le salut par les œuvres »; il n’a jamais compris la générosité de son père, ni apprécié le fait qu’en tant que fils, tout ce que possédait le père était à lui (v.31),
-
il refuse de reconnaître son frère : c’est « ton fils que voilà » (v.30). L’apôtre Jean dira : « celui qui n’aime pas son frère… ne peut aimer Dieu », (1 Jn. 4.20),
-
bien qu’il soit resté à la maison, il est évident que dans son cœur il est aussi loin de son père que l’a été son frère (voir le reproche adressé par Dieu au peuple d’Israël – Es 29. 1 3),
-
sa véritable attitude envers son père se voit dans le refus de partager sa joie, et d’entrer dans la maison. Ce refus est en fait une insulte jetée en public à la figure du père.
Est-ce que le fils aîné en est resté là ? L’histoire ne nous le dit pas, nous mettant ainsi devant un choix. Une partie du génie de l’enseignement parabolique réside dans les questions qu’il laisse à ses auditeurs et lecteurs.
Nous nous reconnaissons peut-être dans le fils prodigue qui se repent et revient à la maison, mais ne ressemblons-nous pas parfois au fils aîné, avec son esprit de jugement envers son frère, et sa prétention à penser pouvoir se recommander auprès du père à cause de ses efforts ? Mais pour le fils aîné, la porte est encore ouverte comme nous allons le voir en conclusion.
Le père
L’image de ce père qui court à la rencontre de son fils qui lui a fait tant de mal a frappé l’imagination de quantité de personnes. Voici quelques pistes de réflexion pour conclure cet article :
-
l’accueil réservé à son plus jeune fils « dépasse les bornes » : sans se soucier de ce que diront les voisins, et tout à sa joie de retrouver son fils, il se livre en spectacle en courant se jeter à son cou;
-
il pardonne sans arrière-pensées et sans conditions. A sa place, est-ce que nous aurions proposé une période d’essai pour que le fils fasse ses preuves ?
-
sa joie doit se manifester et se partager, voilà pourquoi il organise une fête tout de suite, sans même attendre que son fils aîné rentre des champs. Ce n’est pas que celui-ci ne compte plus, loin de là, mais le père veut que tout le monde sache combien il est heureux du retour de son fils qui était mort et qui est revenu à la vie.
Il aime également ses deux fils.
L’aîné, en constatant que son père fête si bruyamment le retour de son frère indigne, se sent peut-être moins aimé, mais il se trompe. C’est lui qui fait des comparaisons entre lui-même et son frère (v.29-30) ; le père n’en fait aucune. Il veut que ses deux fils soient avec lui à l’intérieur, partageant la même joie, le même amour.
Quelle image merveilleuse de notre Père céleste et de l’accueil qu’il réserve, sans exception, à tous ceux qui se repentent et reviennent à lui ! Nous connaissons déjà si bien cette parabole, pourtant laissons-la nous interpeller, et soyons de nouveau émerveillés par la grâce de notre Dieu !
A.K.
NOTE
1. : Les Paraboles aujourd`hui, p.84.