Comment définir le type de gouvernement de l’Eglise locale ?

 

Est-ce une THEOCRATIE ? Une DEMOCRATIE ?

 assemblee

 

par Daniel BRESCH

 

 

La définition de l’exercice de l’autorité (et du pouvoir) dans l’Eglise locale est un vaste programme. De toute évidence, les propos de cet article n’ont pas la prétention de faire le tour complet de la question. S’ils peuvent, malgré tout, servir d’amorce à une réflexion dynamique et ouverte, ils auront déjà atteint un premier but.

 

 

Que mettons-nous derrière ces mots ? Mieux, dans le domaine qui nous préoccupe, comment qualifions-nous le fonctionnement de nos Assemblées ? Quels sont les « moteurs » de l’organisation1 de nos Assemblées ?

 

 

 

Une analyse claire et sereine des faits est bien utile et nécessaire. Ne nous voilons pas la face : bien des confusions ou des ignorances à cet égard sont à l’origine de tensions, de déceptions, de pertes. Combien de conflits sont mal compris, mal « gérés » et aboutissent à des situations bloquées, faute d’un recours adéquat !

 

 

Le problème

 

Dans notre attachement à la Bible et aux principes spirituels, qui, pensons-nous, devrait nous garantir de tout dérapage, n’aurions-nous parfois pas oublié une évidence ? Ce fait très simple : dans son expression concrète, l’Eglise locale, dans un lieu et un temps donnés, est un organisme humain, social, imbriqué dans son contexte culturel, politique, économique… Chacun de ses membres, dans son histoire personnelle, porte la marque de son milieu.

 

Cette communauté de chrétiens, qui n’est pas seulement une rencontre amicale et passagère d’individus que rapproche quelque intérêt particulier, va nécessairement se structurer. Des relations vont se nouer et se développer, qui seront tout naturellement connotées de rapports de pouvoir et d’autorité. Pour une intégration saine et équilibrée du groupe et des personnes, ces rapports devront s’ajuster et se régler. Abstraction faite des motifs particuliers, le cas de l’Eglise de Corinthe illustre bien le problème (1 Co 1.10-13).

 

Pratiquement : Qui conduit ? Qui décide ? Qui contrôle ? Comment s’articulent les relations entre les différentes « instances » ? Comment tenir compte des différentes approches ? En régime « théocratique » toute autorité vient « d’en haut », en régime « démocratique » c’est de la « base » qu’elle émane. Les formes de gouvernement dans les deux systèmes sont évidemment très variables selon les lieux et les époques. Qu’en est-il dans l’Eglise, dans nos Eglises 2 ?

 

 

Définitions et applications

 

On peut dire que l’Eglise est, par essence, une « théocratie », en comprenant par là une société gouvernée par Dieu. Affirmation incontestable qui n’en est pas moins très générale, car immédiatement se pose la question : Comment se concrétise cette direction de Dieu au milieu des hommes ? Comment ses directives se transmettent-elles jusqu’à nous, comment les recevons-nous ?

 

 

En Israël

 

Le mot théocratie fut inventé par l’historien Flavius Josèphe (1er siècle) pour désigner le gouvernement de Dieu sur Israël. Dans ce sens spécifique, il qualifie le régime fondé au Sinaï par le don de la Loi, instaurant une Alliance entre Dieu qui détient tous les pouvoirs (Es 33.22) et le peuple libéré de l’esclavage en Egypte. Moïse fut le médiateur de cette alliance (Ex 19.4-6).

 

En fait, le pouvoir divin fut exercé par les prêtres et les juges. Plus tard, les rois ne furent que les régents de Dieu (Dt 17.14-15). D’ailleurs, les prophètes – autre « pouvoir » – ne se privèrent pas de les interpeller à ce sujet. Pour tout le peuple, le contrat exigeait un engagement d’obéissance totale à la loi divine (Ex 19.8 ; Dt 10.12-13). On connaît les dérives qui ont suivi et le sort du régime qui s’acheva tragiquement avec l’Exil en Babylonie.

 

 

Sur le monde

 

Mais la notion du règne de Dieu restait entière et allait s’approfondir : ce règne ne pouvait être limité au gouvernement d’un seul peuple, d’une seule nation, selon des dispositions légales particulières (religieuses, civiles, politiques). Déjà les prophètes en avaient dévoilé les dimensions nouvelles et universelles, et sa nature fondamentalement spirituelle. C’est d’une tout autre manière que Dieu exercerait son autorité et étendrait son règne : par le Messie, Jésus, son Fils, et jusqu’aux extrémités de la terre (Es 11.1-5 ; 49.6).

 

Le Christ est venu, non pour instaurer une théocratie de type ancien, mais pour annoncer et préparer ce royaume nouveau de Dieu (Mt 4.17 ; Luc 4.43). Sans être encore l’accomplissement du projet divin, l’Eglise est, maintenant déjà, le signe et l’agent du règne à venir. L’appel à la conversion et à la foi qu’elle fait retentir est une invitation à entrer dans ce royaume (Ac 28.31 ; Jn 3.3,5). Il serait, en fait, préférable de dire que l’Eglise est une « christocratie », ce qui rendrait mieux compte de la relation spécifique entre le Christ, la tête – ou « chef » -, et l’Eglise, son corps, par l’Esprit qu’il a envoyé (Ep 1.22-23 ; Col 1.18).

 

 

Dans l’Eglise

 

Pour en revenir à l’Eglise ici-bas, le « système » de gouvernement qui se rapprocherait, théoriquement, le plus du modèle est celui qu’on appelle « épiscopal », d’après le mot qui, littéralement signifie surveillant. Celui-ci est investi de tous les pouvoirs sous toutes ses formes, le troupeau lui est soumis et dévoué. A l’échelle locale cela peut être le pasteur ou l’ancien. Il peut agir seul, en «monarque» ; s’il y a plusieurs responsables, on peut parler « d’oligarchie » 3.

 

A plus grande échelle, le fonctionnement d’un tel système s’appuie sur une structure hiérarchique plus ou moins complexe (un clergé par exemple). Dans tous les cas le contrôle de la vie des fidèles et de la communauté s’exerce dans un seul sens : de haut en bas. Cette voie est suivie par un certain nombre de « grandes » Eglises, mais a souvent abouti à des systèmes autoritaires abusifs 4.

 

Qu’en est-il de la démocratie ? On peut la concevoir comme un système d’organisation initié et contrôlé par les citoyens ou membres d’un groupe (association, syndicat, communauté) entièrement souverains ; on peut penser à l’Athènes antique qui pratiqua une démocratie directe : l’Eglise n’entre pas dans ce modèle. Mais voici la nouveauté : le principe du sacerdoce universel 5 a incontestablement introduit une forme d’organisation et de fonctionnement démocratique de l’Eglise locale – que l’on rencontre, en principe, dans les Eglises de type congrégationaliste, ou des regroupements (unions, fédérations, etc.) de plusieurs Eglises, fonctionnant suivant le système synodal. Dans la réalité il y a toutes sortes de modalités intermédiaires que nous ne détaillons pas ici.

 

 

Question d’équilibre

 

De quel type de démocratie s’agit-il ? Deux difficultés doivent être levées.

 

a) L’une tient à la conception même de cette notion – qui varie beaucoup d’une culture et d’une époque à l’autre -et à l’image peu favorable qui s’en dégage : partis, parlementarisme, juridisme, règle de majorité sans respect pour les minorités. Pourtant, parmi tous les systèmes de gouvernement, c’est, selon un politicien, « encore le moins mauvais », du moins dans la conception occidentale.

 

On a énoncé cette critique : « la démocratie est une valeur, donc une exigence morale : pour se réaliser, elle a besoin d’hommes qui la vivent en eux-mêmes ». Dans une certaine mesure nos démocraties sont redevables à la Réforme qui a contribué à promouvoir la valeur et les droits de la personne et la liberté de conscience.

 

b) L’autre difficulté, qui nous concerne beaucoup plus, tient à l’équilibre à atteindre dans la tension obligée entre le côté « théocratique » et le côté « démocratique » de la vie ou du fonctionnement de l’Assemblée. Comment concilier l’exigence d’une obéissance à Dieu et les privilèges du sacerdoce de tous les croyants ?

 

En effet, la vocation du pasteur ou des anciens (conduire, instruire, exhorter l’Assemblée par la Parole de Dieu) vient de Dieu ! Leur autorité ne dépend pas du choix des humains, ce n’est pas l’Eglise qui leur délègue un pouvoir ; s’il y a délégation elle vient du Seigneur, le maître de la maison. D’emblée il faut alors ajouter que pareillement l’appel de tout membre de la communauté (écouter, accueillir, mettre en pratique l’Evangile) dépend fondamentalement non d’une autorité humaine, mais du Seigneur lui-même, agissant par son Esprit. Ainsi, responsables et fidèles, au même titre, sont serviteurs du même Seigneur, pour la cause du même Evangile. Cela va contre tout cléricalisme déclaré ou caché, qui fait la différence entre « clercs » et « laïcs ». Toutefois, si tous n’ont pas les mêmes dons, les mêmes fonctions, les mêmes « ministère » (littéralement services et non honneurs), tous en ont certainement un, voulu en tout cas par le Seigneur, (cf. 1 Co 12).

 

 

Le contrôle

 

En même temps, tout pouvoir exercé mérite d’être « examiné » (1 Th 5.21). Apporte-t-il à chacun le bien, la paix, l’interpellation, l’ordre qu’il faut pour sa paix et son bien ? C’est ici qu’intervient le rôle d’une régulation collégiale et communautaire. Ce « contrôle » se pratique pleinement lorsqu’il y a liberté de parole et de débat.

 

Je mesure que ces termes peuvent surprendre, voire faire peur. De quoi au fond ? Car de tels dialogues ne sont pas des affrontements dans la défiance et la crainte, mais la preuve d’une relation de confiance, des échanges dans l’estime réciproque. Il ne s’agit pas de chercher la subordination des autres, de l’autre, mais bien la coordination des apports authentiques de chacun (Ph 3.15-16).

 

 

Un choix réfléchi

 

Ce qui est donc demandé de tous impérativement, c’est d’exercer, chacun pour sa part et ensemble, devant Dieu, le discernement (1 Th 5.12-22). Au lieu d’une « élection », par exemple, il faudrait plutôt parler de recherche de reconnaissance ; dans le cas d’un vote négatif, il vaudrait mieux dire non-reconnaissance. Les différences, voire les divergences ne sont pas dramatiques en elles-mêmes, mais bien leur dégradation en oppositions et rivalités, en soupçons ou mépris.

 

Ce type de démocratie dans l’Eglise est positivement motivant et dynamisant, car il met en valeur la responsabilité de chacun. Il peut conforter la liberté et la sincérité des « serviteurs » et gérer de nouvelles créativités. Il nous pousse à une écoute attentive de la minorité et à l’encouragement des soeurs et des frères, des forts et des faibles (Ep 5.21 ; 1 P 5.2-5).

 

Tout cela est-il un idéal utopique (littéralement « de nulle part ») ? Ou avons-nous vraiment foi en la grâce de Dieu qui nous porte chaque jour ? Ou serions-nous aigris parce que pris au piège par un légalisme desséchant ? C’est vrai, cela demande une certaine maturité, mais ne pas y tendre, c’est se satisfaire du statu quo et de médiocrité (Ep 4.15-16).

 

Daniel Bresch.


NOTES
 

 

1. Nous entendons par organisation, outre ce qui relève de la structure administrative dans le cadre des lois sur les associations, essentiellement la coordination vivante et harmonieuse des responsabilités et des services, des personnes et des dons de chacune d’elles, dans une communauté de chrétiens (1 Pi 4.10 ; Ep 2.22).

 

2. Il faudrait aussi parler de l’autocratie, le gouvernement par un homme seul, un autocrate, un monarque absolu. Cela existe aussi dans l’Eglise…

 

3. Gouvernement par un groupe privilégié et restreint.

 

4. Signalons rapidement encore un sens dérivé du terme théocratie qu’il est intéressant de connaître à cause de la critique qu’il exprime : il s’agit de la collusion, voire de la confusion entre les «deux règnes», le spirituel et le temporel, notamment lorsque le pouvoir ecclésiastique cherche à imposer ses lois et son fonctionnement à la société. L’histoire de l’Eglise témoigne de plusieurs exemples de « théocraties » qui ont lamentablement échoué à cause d’excès totalitaires, parfois illuministes.

 

5. 1 Pi 2.9 ; Ap 1.6 ; 5.10 ; cf. Ex 19.6 ; Es 61.6.