La louange
par Jean-Pierre BORY
L’Eternel est grand et très digne de louange (Ps 145.3). Vous êtes un peuple que Dieu a libéré, pour que vous célébriez bien haut ses oeuvres merveilleuses (1 P 2.9). Il disait d’une voix forte : Craignez Dieu, et donnez-lui gloire… (Ap 14.7).
« Nous aussi, soyons de ceux qui rendent à Dieu un culte d’actions de grâces, de ceux qui se sont faits ses serviteurs ». (Clément de Rome, fin du 1er siècle)
La louange tenait une très grande place dans la vie et surtout dans le culte en Israël.
L’expression de la louange dans l’Ancien Testament
LE GESTE : Dans l’Ancien Testament le verbe hawah ou histahavah se lit plus de 170 fois pour évoquer le geste de s’incliner, de se prosterner, de se jeter face contre terre. Les Hébreux le faisaient devant les idoles et les grands personnages. Quand ils s’agenouillaient ainsi devant Dieu, c’était « la démonstration la plus éclatante de la vénération » (Vigoureux) qu’ils distinguaient d’autres formes de respect : la génuflexion, l’inclinaison de la tête. Se prosterner devant Dieu, c’était reconnaître sa pleine autorité, le reconnaître comme son Seigneur, son Dieu.
Le prosternement est « une attitude commune dans le monde antique devant un souverain ou un maître. Dans l’ancien usage cultuel païen, le terme signifiait probablement ‘baiser, s’incliner pour jeter de la main un baiser’ vers l’image du dieu. »1
LA PAROLE se joignait au geste. L’Ancien Testament utilise plusieurs racines différentes qui suggèrent l’idée de louange. La plus courante est celle de hillel et de ses dérivés : plus de 160 emplois expriment le fait d’adorer, de rappeler la gloire, les hauts-faits, les bontés de Dieu (Es 63.7). Parmi eux Alléluia = « louez Yah », louez l’Eternel.2
ON CHANTAIT des cantiques (Ps 96.1), des chants liturgiques (Ps 136 ; et les psaumes « des degrés »).
ON PRIAIT (Dn 6.11).
La joie est le lit de la louange, qui peut s’exprimer avec force : criez de joie pour l’Eternel, célébrez-le … chantez un cantique nouveau, avec des acclamations ! (Ps 33.1-2). La louange est le fruit d’une joie spirituelle, intérieure, d’une gratitude profonde de vivre en sa présence (Ps 16.8-11), d’une reconnaissance heureuse de tout ce qu’il est pour le juste, d’une admiration éblouie de sa grandeur, de sa sainteté, de son amour !
DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE accompagnaient ces chants (Ps 147.7) : des harpes, des luths, des tambourins, des cymbales et des trompettes (1 Ch 13.8), des flûtes (Ps 5.1), le cor, la cithare, la sambuque, le psaltérion, la cornemuse et toutes sortes d’instruments (Dn 3.5)3. Il fallait en jouer avec art (Ps 33.3) 4
LA DANSE, dans la culture sémitique, pouvait être une expression de la joie et de la louange. Chacun se souvient de 2 S 6.15-19 : mais on ne retient souvent que cette fameuse danse de David devant l’arche, alors que le texte ajoute que le peuple entier était en liesse et clamait sa joie, que l’on offrit de nombreux sacrifices, et que le roi offrit à toute la foule d’Israël un pain, un rôti et un gâteau de raisins ! On ne devrait pas extraire cette danse du contexte festif et de l’événement particulier dans lequel elle s’exécuta ! La danse surgissait dans des moments exceptionnels : le retour de l’exil (Jr 31.13), une victoire sur l’ennemi (Jg 11.34), une fête familiale (Lc 15.25).
Par ailleurs, les danses, et surtout les cris de joie en relation avec la louange mentionnés dans l’Ancien Testament, le sont plus généralement dans les textes de style littéraire poétique (figuratif) : psaumes et prophéties.
LA LOUANGE ETAIT DIRIGEE : des hommes étaient désignés pour l’organiser et même l’exprimer pour le peuple (Nb 12.8 ; 1 Ch 16.7,41 ; 23.30: 2 Ch 31.2).
Dans le Nouveau Testament
Dans les Evangiles et les Actes on trouve environ 60 fois le verbe proskunéo (baiser la terre) pour décrire un geste de respect ou d’adoration : l’aveugle-né guéri reconnut Jésus comme Seigneur et l’adora (Jn 9.38) ; le ministre de la reine Candace vint d’Ethiopie pour adorer Dieu (Ac 8.27). Jésus lui-même « tomba à terre » pour prier (Marc 14.35). Par contraste, Pierre releva immédiatement Corneille qui se prosternait devant lui : l’adoration revenait à Dieu seul (Ac 10.25).
Mais Paul n’emploie jamais ce verbe (sauf une fois en 1 Co 14.25), lui préférant le nom epaihos (la louange)5. Pour Paul, adorer Dieu semble s’exprimer par la parole plutôt que par un geste ; c’est une reconnaissance et un témoignage publics de la gloire, des mérites, des qualités éminentes de Dieu (Ep 1.6,12,14 ; Phil 1.11) ; c’est déclarer qu’il est digne d’estime, d’admiration ; cette louange vient d’une disposition intérieure caractérisée par l’humilité et la consécration (Rm 2.29).6
La louange est l’expression orale de l’adoration.
La vraie louange jaillit d’un coeur joyeux
La louange est une activité qui devrait être naturelle (comme la respiration) chez l’homme qui a découvert Dieu, sa grandeur et sa bonté, sa sainteté et sa grâce. « La louange est la preuve, en quelque sorte, qu’une autre vie, une vie spirituelle existe »7. On peut même dire que l’adoration est un devoir qui incombe à tous les hommes (Rm 15.9-13 ; Ep 1.12 ; Ap 14.7).
Comme dans l’Ancien Testament, la louange s’exprime dans la joie (Je 5.13). Mark Farmer, dans une prédication, donnait l’illustration suivante : Imaginez que vous apportez un bouquet à votre épouse le jour anniversaire de votre mariage ; et vous lui dites : « Je le fais parce que je suis ton mari. » En éprouvera-t-elle de la joie en comprenant que votre cadeau est fait par devoir ? Cela change tout si vous lui dites : « Merci pour toutes ces années de bonheur ! Pour la joie que tu me donnes ! Pour le plaisir que j’ai de vivre avec toi ! » La joie est un des fruits de l’Esprit et une des caractéristiques du croyant régénéré (1 P 1.3-9).
La louange nait de la contemplation de Dieu et de son oeuvre
Paul, en Ep 1.3-14, démontre en trois strophes comment Dieu s’est choisi des élus, les a rachetés, les a scellés du Saint-Esprit pour célébrer sa gloire. Plus loin dans l’épître, il n’a plus assez de mots pour décrire la grandeur surabondante de sa puissance, Christ qui est au-dessus de toute principauté, tout pouvoir, toute autorité, toute puissance, toute souveraineté, au-dessus de tout nom qui peut se nommer… Dieu qui est riche en miséricorde… l’amour de Christ qui surpasse toute connaissance…
L’Eglise primitive a loué Dieu spontanément dès après la Pentecôte (Ac 2.47). Et Paul ne cessait de rendre grâces à Dieu pour l’oeuvre qu’il accomplissait dans les Églises (1 Co 1.4 ; Ep 1.3).
Cette louange rappelant le bonheur du croyant et sa vénération du Seigneur s’exprimait par des prières, des hymnes, des cantiques, des chants (Ep 5.19 ; Col 3.16 ; Je 5.13), des poèmes (Phil 2.6-11) à la gloire de Dieu.
Les nombreuses mentions de la joie par Paul désignent plutôt un sentiment associé à la paix, un sentiment intérieur, dans le coeur (ex.: Phil 4.10). (Chaque fois qu’il est question de cris dans le Nouveau Testament, il s’agit de cris de colère, de malédiction, de douleur et non de joie).8
Seuls gestes mentionnés à propos de la prière : lever les mains (une fois en 1 Tm 2.8) et se mettre à genoux : Pierre (Ac 9.40) ; Paul (Ac 20.36, 21.15) ; et tout homme au dernier jour (Ap 14.11). Mais Paul ne les ordonne (ni ne les interdit !) dans aucun texte didactique. Il recommande seulement que dans les réunions de l’Eglise tout se fasse avec bienséance et ordre (1 Co 14.40).
Curieusement le Nouveau Testament ne mentionne ni les instruments de musique9, ni la danse10 dans le cadre de réunions cultuelles ou de moments de louange.
Quelques remarques
Dans toute la Bible, la joie est une constante dans une juste relation avec Dieu, notre Sauveur (un culte morose, monotone, triste, sans spontanéité, ne pousse pas à la louange que Dieu veut !). Nous sommes dans la joie parce qu’il nous a aimés, choisis, rachetés, parce qu’il nous aime encore et nous est un secours indéfectible, parce que sa souveraineté et sa fidélité nous permettent une ferme espérance pour cette vie et pour la vie éternelle dans la félicité de sa présence. Parce que notre Dieu est si grand, si merveilleux, si glorieux.
Cette joie-là s’exprime par des cantiques et des prières à la gloire de Dieu. Parfois, cette louange ne trouve même pas les mots pour la dire tant il y aurait à exprimer.
Qu’en est-il de la danse, de la musique et des instruments de musique ? Il ne faut pas oublier que ces gestes et ces objets portent une signification forte et qui varie selon les cultures : plus que d’autres, la culture africaine extériorise ses sentiments ; cependant les danses ou transes fréquentes dans les cultes non chrétiens (vaudou, animisme), ne se pratiquent pas dans le culte chrétien à cause des connotations païennes qu’elles véhiculent.
En occident, l’orgue s’imposa progressivement à la place d’honneur dans les églises ; les autres instruments furent considérés comme profanes. Puis les choses évoluèrent : depuis un demi-siècle pianos, puis guitares, percussions, sont entrés à nouveau dans les églises ; ils ont perdu leur caractère exclusivement profane et ne suggèrent plus de sentiments ambigus aujourd’hui.
Au premier siècle, on a constaté que la danse exprimait la joie dans le cadre de réunions familiales et populaires et non cultuelles. Ces derniers siècles, elle est restée jusqu’à peu de temps cantonnée à l’opéra et dans les guinguettes puis les discothèques. Dans un lieu de culte, l’habillement et les chorégraphies de danseurs classiques tendraient plus à attirer vers eux-mêmes l’attention des spectateurs que vers Dieu.
L’équivoque érotique des danses à la mode aujourd’hui incline davantage vers une tentation qu’une adoration du Dieu saint. Il existe les danses traditionnelles : encore faut-il savoir, ou pouvoir sortir du mouvement folklorique qui distrait, pour passer au mouvement corporel dirigeant l’esprit vers Dieu et faisant surgir un sentiment de louange au Seigneur ; des groupes chrétiens s’y emploient aujourd’hui ; et la culture évolue.
Mais une règle doit guider nos jugements dans tous ces domaines : qu’il s’agisse de la façon de prier, des gestes, des instruments de musique, de la danse, que tout ce qui est vrai, honorable, juste, pur, digne d’amour, qui mérite le respect et la louange soit l’objet de vos pensées (Phil 4.8) ; ainsi en vous exprimant inspirés par l’Esprit, vous louerez le Seigneur de tout votre coeur (Ep 5.19).
J.-P B.
NOTES
1. Xavier-Léon Dufour, Dictionnaire du Nouveau testament, 1975, p. 100.
2. Bible en français courant : «Louez le Seigneur ! »
3. Ces instruments de musique ne s’utilisaient pas que dans les cérémonies cultuelles : certains sont mentionnés en Babylonie dans les cultes aux faux-dieux (Dn 3.7) ; la danse et les tam-bourins accueillaient le retour des guerriers (1 Sam 18.6), les trompettes et autres instruments accompagnaient l’intronisa-tion d’un roi (1 R 1.40 ; 2 Ch 20.28) et guidaient les guerriers au combat.
4. Bible du Semeur, TOB.
5. Il n’utilise pas non plus le verbe : plier les genoux (gonupé-téô), ni l’expression se mettre à genoux, sauf dans des citations de l’A.T. ou une fois, figurativement, en Ep 3.14, et en précisant qu’il le fait pour intercéder (non pour louer).
6. Parfois epaïnos signifie une reconnaissance, une félicitation pour une conduite humaine fidèle (Rm 13.3 ; 2 Co 8.18 ; Phil 4.8). Et de façon extraordinaire, lors de la parousie, c’est Dieu lui-même qui louera les croyants fidèles (1 Co 4.5).
7. Robert WOOLLVEN, «II est bon de louer le Seigneur», Cahier de l’Ecole Pastorale, n°4/1989.
8. A l’exception des cris de la foule le jour des Rameaux, de Ga 4.6 où il s’agit d’un cri de l’Esprit dans te coeur du croyant, et de Ga 4.27 qui est une citation d’Esaïe.
9. On utilisait la flûte pour accompagner la danse dans les fêtes familiales (retour du fils prodigue) ou publiques (Luc 7.32). Ap 18.22 mentionne toutes sortes d’instruments que l’on n’entendra plus dans «Babylone, la grande ville».
10. Mentions de la danse dans le N.T. : Hérodias charma Hérode par ses danses ; on dansait sur les places publiques au son de la flûte (Mc 7.32) et pour fêter un événement heureux (retour du fils prodigue).