Ah… ces ados !
par Daniel Dejardin
Daniel Dejardin est médecin des Hôpitaux, psychiatre, à Digne. Pour Servir, il a exprimé quelques recommandations à l’intention de tous ceux qui essayent de comprendre les adolescents…
1. Trouver la bonne distance relationnelle
Avec les ados il est difficile de trouver la bonne distance : on est facilement trop loin ou trop près. A être trop loin, on risque de paraître froid et indifférent. A être trop près, on tombe vite dans la démagogie. Un grand danger avec les ados est de jouer de séduction : elle peut se manifester de mille manières, par le vêtement, le vocabulaire, les centres d’intérêt. Le film « Le cercle des poètes disparus » nous montre bien les dangers de jouer avec « le feu de la séduction ».
Qu’on se le dise, nous les adultes sommes des adultes. Ne nous déguisons pas en ados ! Par contre soyons chaleureux, manifestons un réel désir de les comprendre sans hésiter à reconnaître les possibles incompréhensions entre nous, les décalages de mentalité et de culture. Les ados apprécient, eux qui ont une sainte horreur de l’hypocrisie.
2. Relation avec les parents d’adolescents
a) Lors du démarrage d’un groupe de jeunes
II faut rencontrer les parents. Expliquer votre projet, leur demander ce qu’ils en pensent, écouter leurs suggestions. Si vous n’avez pas l’aval et une bonne alliance avec eux, vous risquez tôt ou tard d’être déçus.
b) Problème des confidences au sein d’un groupe de jeunes
Ne jamais susciter la confidence d’un jeune. S’il vous accorde sa confiance, c’est lui qui décidera de vous confier certains sujets sensibles de sa vie personnelle. Comment gérer ces confidences vis-à-vis des parents ? Cela n’est pas évident car elles risquent de compromettre la confiance que vous accordent les parents ou celle que vous accorde le jeune. Quelques exemples.
Si un jeune confie un secret intime du genre « je suis amoureux de… », pour ma part, je garde ce secret entre lui et moi, en l’emmenant à réfléchir sur ce choix, sur ce qu’est l’amour, sur ce qu’en dit la Bible. Par contre si la confidence engage ma responsabilité d’adulte, par exemple si l’ado m’apprend qu’il se drogue, qu’il s’autorise des sorties en cachette de ses parents, qu’il fugue de l’école…, je lui explique qu’il se met en danger par ses pratiques et que mon devoir est d’en informer ses parents. Je ne peux pas garder cela pour moi.
Si l’ado me parle de ses difficultés, c’est qu’il ne parvient pas à en parler avec ses parents. Le danger serait alors de les disqualifier : « Ah tes parents ne comprennent rien à tes problèmes, moi je te comprends… » Il importe au contraire de les « remettre dans le coup » et l’animateur du groupe de jeunes peut alors utilement servir d’intermédiaire entre l’ado et ses parents pour « crever l’abcès » et chercher à comprendre ce qui se passe.
Il convient toujours d’être très prudent quand un ado vous demande de ne pas livrer tel secret à ses parents : il peut être très dangereux de se lier ainsi « dans le dos des parents » alors que l’on ne connaît pas tous les enjeux familiaux. Pour ma part je me méfie beaucoup de « l’alliance du secret » avec un ado à cause du risque que l’ado me lie ainsi à lui contre ses parents ! Méfions-nous du piège des conflits ado-parents en nous mettant imprudemment du côté de l’ado ou des parents. Nous ne sommes pas des professionnels pour régler les conflits relationnels. Nous n’avons pas à prendre parti mais à essayer de comprendre et d’entendre les souffrances.
3. Quelques recommandations aux responsables de groupe de jeunes
a) Ne jamais critiquer les parents d’un ado
Si l’on n’y prend garde, on peut se sentir autorisé par l’ado à critiquer ses parents à sa suite. C’est un danger « mortel »… pour la relation. Ce n’est pas parce qu’un ado critique ses parents qu’il vous autorise à le faire aussi. D’ailleurs que deviendraient vos relations avec ses parents ?
b) Nous n’avons pas à interpréter les paroles d’un ado.
Par exemple : « Si tu es en difficulté en classe, c’est sans doute parce que ton père travaille trop, il n’est pas assez présent à la maison et parce que ta mère ne comprend pas tes problèmes ».
Un autre danger mortel : attention à ne pas faire de la psychologie de cuisine. N’oubliez pas votre objectif qui n’est pas de jouer au psy mais d’éveiller, de fortifier chez l’ado une foi vivante. Nous y reviendrons. Après en avoir informé l’ado, une demande auprès des parents consiste à leur faire part de vos inquiétudes pour leur ado. A eux, à leur tour, de prendre leur responsabilité.
c) Question du modèle
Faut-il être un modèle pour les ados ? Le modèle scout avec l’identification au chef de troupe paraît moins d’actualité aujourd’hui… Souvenons-nous néanmoins (cela vaut également pour les parents) que les ados ne se contentent pas d’écouter nos paroles. Ils nous observent, mesurent l’écart entre nos paroles et nos actes. Pour ma part, ce qui m’est resté gravé dans la mémoire, c’est la façon dont tel « mono » s’est comporté au cours d’une crise pendant un camp : lors d’une randonnée où, en fin de journée, toute la petite équipe était fatiguée ; on ne trouvait pas de point d’eau pour camper.
L’animateur nous réunit pour prier, resta calme et chercha concrètement une solution à notre problème en écoutant les suggestions de chacun, puis finalement trancha pour telle solution. Combien je suis persuadé qu’il est là le lieu du témoignage avec les ados : prendre le risque de vivre avec eux d’authentiques relations, en étant vrai avec eux, en leur faisant partager une foi vivante qui cherche des réponses concrètes aux problèmes de la vie.
C’est par ces relations chaleureuses, de confiance, dans ces moments de vie partagés que les jeunes peuvent expérimenter combien il est bon de connaître le Seigneur. S’il y a bien un exemple à communiquer aux jeunes, c’est celui qui donne envie, toujours plus, de développer une relation personnelle et vivante avec Jésus. Pour transmettre la foi à un ado, il me paraît indispensable qu’elle soit véhiculée dans le cadre de relations chaleureuses et amicales d’une part, et d’autre part vécue dans des situations concrètes. C’est pour cela que les camps, les sorties en groupe de jeunes sont d’excellents « laboratoires » où la foi peut être expérimentée.
4. L’Eglise et les ados
a) Quel objectif poursuit-on avec les ados ?
Il nous faut être très au clair sur l’objectif que l’on se fixe avec les ados au risque de se disperser. L’objectif est de transmettre, d’éveiller, de fortifier la foi en Jésus-Christ. Cette transmission doit s’adapter aux besoins des ados, à leur culture, à leur soif de relations amicales et sincères. Nous avons insisté sur l’importance des moments de vie partagés lors des camps, des sorties, de la pratique de certains sports. Importance des témoignages où l’on peut découvrir Dieu en action dans la vie d’un autre jeune ; importance de la prière en commun pour « apprendre à prier » pour nos besoins, nos difficultés : savoir reconnaître son intervention concrète dans nos vies est un profond encouragement pour la foi et la vie de prière ; importance « d’apprendre à se nourrir » de la Parole de Dieu par des lectures commentées en petits groupes. Quel défi pour l’animateur que de savoir faire parler le texte, le rendre proche des réalités que vivent les adolescents, montrer comment II répond à leurs difficultés.
b) Transmettre une foi vivante, joyeuse, solidement ancrée dans la grâce
Se méfier comme de la peste de communiquer une vision légaliste de la vie chrétienne ; attention aux raccourcis moralisateurs avec les ados : « Etre chrétien c’est une série de je dois… et de je ne dois pas… » Que l’ado puisse dire « Je ne veux pas avoir de relations sexuelles avant le mariage parce que le Seigneur m’aime et qu’il veut le meilleur pour moi». Alors nous aurons bien fait. »
c) Quelle vision de l’église transmettons-nous aux ados ?
Deux écueils :
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celui de l’Eglise ghetto, bunker, qui consacre une grande partie de son énergie à se défendre contre les attaques «du monde». Mais à vouloir trop protéger, à décrire le monde comme une fête foraine pleine d’attraits dangereux, ne risque-t-on pas de donner très envie à cet ado d’en découvrir les charmes ?
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celui d’une Eglise « couleur muraille » : à force de dire que les chrétiens ne sont pas des «extra-terrestres», qu’ils sont comme tout le monde, on ressemble toujours plus au monde dans nos discours et nos comportements. Finalement l’ado ne voit plus où passe la ligne de partage. Etre dans le monde sans être comme lui pour en être la lumière, tel est le défi.
Concrètement « tu peux t’habiller en T-shirt, jean, baskets mais si tu flirtes, toi qui es chrétien, il y a problème : tu ne peux pas être ainsi la lumière ». Rappelons-nous que l’ados aime les modèles forts, et les choix bien tranchés. Il a horreur de l’hypocrisie. Il aime les « challenges », les défis. L’ado a de l’énergie, orientons son esprit combatif dans la direction du bon combat. Aidons-le à prendre position pour Jésus et à marcher dans la lumière.
d) L’Eglise, une famille
Ne pratiquons pas de ségrégation : « les ados c’est pour le groupe de jeunes !» Ils ont leur place dans toute la vie de l’église. Invitons ceux qui le peuvent, ceux qui le veulent, aux études bibliques, aux réunions de prière. Mais surtout qu’ils trouvent leur place dans le culte, notamment dans la louange avec des chants adaptés à leurs goûts ; invitons-les à prier spontanément dans le temps de prière libre, et veillons dans la prédication, à nous adresser à toutes les générations (n’oublions pas les ados).
L’Eglise, une famille ? Oui, elle le sera pour l’ado s’il se sent aimé, investi comme un membre à part entière de cette famille. Combien l’ado sera touché si un adulte lui adresse un chaleureux « comment vas-tu ? » à la fin du culte, ou encore « Et ton brevet, et ton contrôle, comment ça c’est passé, tu sais on a pensé à toi ! ». Alors l’ado aura le sentiment d’appartenir à ce corps qu’est l’Eglise, le lieu où va grandir sa foi, et à ce réseau privilégié d’entraide, de solidarité, d’amour entre les fils et les filles du même Père.
D. D.