Lydie
Par Anne Seewald
« Pensez à une femme qui a marqué votre vie chrétienne ».
J’ai immédiatement pensé à elle !
Je l’avais certainement déjà vue lors d’un culte à la Bonne Nouvelle de Strasbourg. Ce soir-là, elle devait être assise aux côtés de son mari. C’était la première fois que j’assistais à la réunion de prière et à l’étude biblique du jeudi soir.
Courbée pour la prière, j’ai été touchée pas ses mots à lui, son époux. Il priait pour un jeune couple de fiancés qui préparait son mariage, il priait que Dieu les précède dans ce projet, que Dieu bénisse leur union, il priait avec une telle conviction pour ces deux jeunes qu’il ne connaissait pourtant que de noms. En effet, j’étais cette fiancée et Thierry, mon fiancé, était là aussi. Cet homme le savait-il seulement ? Je n’en suis pas sûre. Cette prière m’a touchée au plus profond de moi-même, je ne savais pas qu’il était possible que quelqu’un, que je ne connaissais pas personnellement, s’intéresse de cette façon à moi, à mon avenir … C’est cette découverte qui m’a encouragée à continuer à venir à ces rencontres du jeudi.
Quelques temps après cet homme est tombé gravement malade et décédait brutalement. Je me suis alors rapprochée d’elle, désormais veuve et sans enfant, en lui écrivant un petit mot, en lui partageant ce que j’avais éprouvé ce jeudi soir. C’est de ce temps-là qu’une amitié puis une correspondance s’est établie entre nous.
Elle a suivi l’évolution de notre famille dans ses grandes lignes, naissances, déménagements … Elle a suivi notre périple de Strasbourg en Côte d’Ivoire, le retour en Alsace dans le village de Barr, le départ pour Les Mureaux pour les études de Thierry, puis notre premier poste pastoral à Montpellier. Combien de fois nous sommes-nous revues ? Plus guère depuis des années. Je lui ai fait quelques rares visites quand nous étions de passage dans la région et qu’elle ne pouvait plus venir jusqu’à l’Église. Sinon, c’était une lettre annuelle, un coup de fil de temps en temps …
Je ne connaissais pas grand chose de son passé ni même de son présent si ce ne sont les petits tracas quotidiens, les maux de la vieillesse, la vue qui baisse, les douleurs, une fuite d’eau, la peinture qui s’écaille, quelques visites appréciées, le téléphone qu’on hésite à décrocher, la solitude … Eh oui, elle savait aussi se plaindre, s’impatienter … Elle était bien de la même humanité que vous et moi !
Mais ce que je savais avec certitude, c’est que, au milieu de ses soucis personnels, il y avait une place pour nous, chaque jour, pour nous présenter devant le trône de la grâce.
Peu avant ses 90 ans j’ai eu l’occasion de lui envoyer un poème pour la fête des mères dont voici un extrait « .. .Bienheureux je le suis, non par mes ancêtres, mais parce que j’ai une mère, (une amie, une soeur), qui prie pour moi et intercède chaque jour en ma faveur … Quelle différence dans ma vie, j’ai une mère qui prie pour moi … » 1
Elle m’a téléphoné le jour suivant, à réception du courrier, en me disant que j’étais devenue véritablement pour elle une amie, les amies de sa génération ayant peu à peu quitté cette patrie terrestre … Certes nous n’étions pas des intimes, mais je savais qu’elle était également devenue pour moi une amie très chère à mon cœur.
J’ai appris son décès par sa nièce, peu de temps avant notre 20ème anniversaire de mariage. Deux mois après son 90ème anniversaire.
J’ai pleuré. Ton départ laisse un vide dans ma vie, dans mon cœur. J’ai pleuré, mais je me suis aussi réjouie de savoir que tu te reposais enfin « à la maison ». Oui tu avais souvent exprimé ce désir de « rentrer enfin à la maison », combien de fois n’as-tu pas demandé pourquoi tu étais encore ici-bas ?
C’est à mon tour de me poser une question : si tu es restée si longtemps au milieu de nous, n’est-ce pas que Dieu avait un projet pour toi, même en ce temps avancé de ta vie ? Mais quel projet ?
Je crois en discerner au moins une partie et non la moindre : celui de prier pour moi, pour ma famille. Et je sais que nous n’étions pas les seuls dans ton cœur. Dieu seul sait toute la différence que cela a produit dans ma vie, dans celle de ceux pour lesquels tu as prié avec foi et persévérance ! Le calcul est simple, tu as prié pour notre famille durant 20 ans ! Ce n’est d’ailleurs qu’à ce moment-là que j’ai réalisé que tu avais déjà 70 ans lors de notre première rencontre, j’en avais alors 24 ! Merci à Dieu, merci à toi !
Elle s’appelait Lydie Kapp, elle aurait pu s’appeler Jeanne ou encore Lucie ou Suzanne … Vous avez depuis longtemps rejoint votre Seigneur … ou encore … Un cortège de visages défile devant mes yeux et j’hésite à dévoiler vos noms de peur d’en oublier, vous qui êtes encore parmi nous. Certaines le savent, d’autres n’en sont peut-être pas conscientes, vous avez une mission discrète certes, souvent secrète, mais c’est un service magnifique que celui de porter ceux qui vous sont chers auprès du trône de la grâce, que ce soit votre propre famille, que ce soient des frères et sœurs, des ami(e)s … Nous avons besoin de vous et qui sait si vous ne découvrirez pas vous-mêmes autour de vous une nouvelle dimension de la famille en Christ … Un jour, je le souhaite ardemment, je désire voir le Seigneur me confier un ministère semblable.
Décembre 2006
A.S.
… Au milieu de tes soucis personnels,il y avait une place pour nous, chaque jour, pour nous présenter devant le trône de la grâce.
NOTE
1. Extrait d’un poème anonyme cité par Elizabeth Georges dans son ouvrage « Centrée sur Dieu », concilier vie spirituelle, familiale et professionnelle, publié chez Farel, p89, 2004.