Et vive les mères au foyer !
par Annick Waechter
MON TÉMOIGNAGE… «Quand je serai grande, je me marierai, j’aurai des enfants… et je m’en occuperai.» Un jour cela s’est réalisé. Et j’ai pensé que puisque c’était une situation idéale pour les enfants, ce le serait aussi pour moi. Mais peu à peu, j’ai compris que ce ne serait pas si facile. Et j’ai commencé à apprendre, avec des hauts et des bas.
Quel bonheur !
J’ai beaucoup de joie à m’occuper de nos enfants, et je n’échangerais ma place pour rien au monde : Manon a 20 mois, Fanny 3 ans, Pierre 4 ans et demi. J’ai vu les progrès de chacun, j’ai eu le temps de les regarder dormir, de m’asseoir pour manger dans leur dînette du poisson aux fraises et énormément de bonbons imaginaires, délicieux. Et c’est un privilège de pouvoir vivre proche de ses enfants, comblée de câlins et de déclarations d’amour.
Ce qui donne aussi du sens au temps passé à s’occuper des enfants, c’est bien sûr de leur montrer Dieu. Sous forme de chants, d’histoires, par la prière avec eux à table, et au coucher ; mais aussi quand il y a eu dispute et que l’on prie pour en parler à Jésus, quand je me trompe et que je leur demande pardon. J’essaie de ne pas être un obstacle à leur foi, parce que je ne suis malheureusement pas toujours un exemple ; j’essaie de leur faire connaître Jésus, son amour et son pardon, priant pour qu’un jour ils soient sauvés par l’action de l’Esprit.
Quoi qu’il en soit, je comprends mieux de quelle foi d’enfant parle Jésus dans les Evangiles… et c’est à moi de les imiter en cela !
Une matinée parmi d’autres
Des enfants petits, c’est un emploi du temps rempli, et qui déborde même. Le seul temps qui m’appartienne est celui qui se situe avant leur lever et après leur coucher.
Cela peut paraître ridicule ou incroyable, mais c’est parfois difficile de ne pas arriver à mener à terme une action simple, comme la vaisselle du repas : quand vous avez les mains dans l’eau, Pierre a besoin de faire pipi, mais il faut lui défaire son bouton. Finalement, deux minutes après, il vous rappelle parce que c’est plus sérieux, il faut venir pour l’essuyer. Vous n’avez pas remis les mains dans l’eau que Fanny se pointe : « Moi aussi, maman ». Et c’est ainsi pour un bobo, un jouet qu’on n’arrive pas à attraper, pour Manon qui est en haut de la mezzanine avec Fanny qui l’a aidée à monter et Pierre qui a retiré l’échelle à cause des loups ; pour un pot dans lequel l’un a fait pipi et l’autre a marché…
Et si ces jours-là je suis fatiguée, ou pressée, ça devient pénible. Le moral descend en flèche, parce que je n’existe plus que pour donner, donner, et encore donner. Et je me retrouve à la sortie de l’école fringuée comme seules les mères au foyer le sont, alors que d’autres femmes sont pomponnées et soignées : un nouveau coup de pied dans la fourmilière, s’il en était besoin. Alors je baisse les yeux, et là je vois que Manon a essuyé sa bouche pleine de chocolat sur mon jean et que la tache est énorme, impossible à cacher. La colère se change en découragement, et les larmes montent, une fois de plus.
Ces scénarios catastrophes, croyez-moi, ça arrive vite ; ou bien on en n’est pas très loin.
Alors il faut tenir nerveusement, et c’est un défi journalier. Les cris, ça use. Et puis il y aura les fois où vous faites la police du matin au soir, sans interruption ni répit ; il y a des jours comme ça. Alors quand vous reprenez avec peine votre calme, fatiguée, que vous vous baissez pour sceller le pardon en embrassant votre enfant et qu’à ce moment précis il relève la tête d’un coup, et que son front vous fend la lèvre, votre sang ne fait qu’un tour…
Face à face avec soi-même
Dans toutes ces situations, le problème n’est pas les enfants ; c’est ce que je découvre de moi. Peu à peu, avec l’usure des jours et des années, dans un statut dont je ne vois pas la fin et donc pas la délivrance, je crie davantage, je m’énerve plus, j’ai moins de patience ; parce que c’est la centième fois pour tout.
Pourtant je suis chrétienne, je crois en Dieu, je cherche à ressembler à Christ… Mais mes réactions sont tout sauf celles qu’aurait eues Jésus à ma place.
Et je me découvre comme je ne me connaissais pas, et j’ai honte. Et je leur en veux de me mettre hors de moi, je leur en veux d’avoir envie de leur faire mal comme ils me font mal, de devenir ce que je n’aurais jamais voulu et pensé être.
Les enfants font sauter tous les vernis que je pouvais avoir, rien ne leur résiste ; je suis seule devant l’horreur de certains de mes sentiments.
Face à face avec l’autre
Si l’on ne doit pas vivre à travers lui, il fait souvent mal. Une fois que je dis que je m’occupe des enfants, que je ne suis même pas en congé parental (ce qui place le temps au foyer entre parenthèses et rend à la femme toute sa valeur), et que – pire que tout – je n’envisage pas de reprendre le travail un jour, la conversation dévie sur le mari. Lui, il fait quelque chose. Moi, je suis sans intérêt, je suis une mère ordinaire dont l’univers (couches, ménage, cuisine, enfants) est banal : de quoi pourrait-on parler ?
Même dans l’église, on n’a plus de considération pour ce rôle qui est réduit à un choix strictement personnel ; lui octroyer davantage au niveau biblique serait juger celles qui travaillent, ce qui supprime tout soutien à ce niveau-là.
Et pourtant…
J’ai parlé de côtés positifs, mais aussi de certaines difficultés. Elles sont là, inutile de les nier. Selon l’âge des enfants, elles varient ; mais elle restent.
Alors pourquoi être mère au foyer ? Et comment le supporter ?
Le bon sens, sans complexes
Je suis mère, c’est vrai, mais pas seulement. J’ai accepté de reconnaître que j’ai des besoins qui ne sont pas comblés par mes enfants et par l’amour que j’ai pour eux, ni par la joie de m’en occuper. Il faut que je voie d’autres adultes, pour parler de sujets plus profonds, pour être simplement en relation avec d’autres. Les espaces de liberté sont restreints, mais ils existent : invitations à la maison le soir (quand les enfants sont couchés), après-midi « couture » chez l’une, une heure de piscine avec l’autre (pendant que mon mari fait manger les enfants)… Pas de culpabilisation : ce n’est pas de l’égocentrisme, c’est une question d’équilibre.
Et quand trop c’est trop, je saute sur mon téléphone pour vider mon sac à d’autres mamans qui sont dans le même pétrin, et nous rions ensemble de certaines situations, pour les surmonter.
Dieu et moi, le remède
On entend souvent que le Seigneur nous demande « d’être », avant de « faire » : d’être en relation avec lui, de l’aimer, de le connaître, de lui ressembler.
En restant au foyer, occupée pleinement par les enfants, je n’ai plus de «faire» ; il ne me reste que « l’être ». J’ai compris, au fil des années, que c’est bien le plus difficile et le plus douloureux, parce que le travail se fait sur moi-même, dans le vif ; mais c’est aussi le plus passionnant.
Etre mère est magnifiquement difficile. Et mon choix ne se remplit pleinement de sens qu’avec Dieu. J’apprends à me pardonner, à accepter le pardon de Dieu et son amour fidèle et inconditionnel, à vivre dans sa dépendance complète : je dois me plonger dans sa grâce.
Alors je vis ce temps comme un défi quotidien dans ma relation avec Dieu ; si je reste proche de Lui, sa force me soutient. Si je m’éloigne, ma faiblesse me fait chuter car je ne peux pas arriver à élever sans Lui nos enfants, dans l’amour et la patience nécessaires.
Et pour tenir le cap et le coup, pas de secret ! Mais un miracle : prier, prier, et encore prier. Prier seule, avec les enfants, et avec mon mari qui est d’un grand soutien.
Dieu, les autres et moi
Prier aussi pour que le Seigneur m’offre des occasions de témoignage autour de moi ; et c’est le cas, parce qu’il veut que tous soient sauvés. Ainsi je découvre qu’il travaille dans le coeur de ma voisine, de l’institutrice… et que je suis à ma place : c’est magnifique, non ?
Etre à la maison, c’est pouvoir accueillir au pied lever l’un ou l’autre qui en a besoin : quel privilège d’ouvrir son foyer et de voir que là encore, je suis à ma place !
Pour conclure
En choisissant de rester au foyer, j’ai le grand plaisir d’être avec les enfants, évidemment. Je pense que cela leur offre aussi un cadre stable, loin du stress de devoir les emmener dans un lieu de garde, et avec une éducation chrétienne que je choisis.
Malgré les difficultés, je crois qu’il y a un enjeu qui surpasse tout : pour les enfants, dans ma vie personnelle, et pour le témoignage dans mon entourage.
Pour ma part, j’ai appris à rester au foyer ; et j’ai appris tout court. Mais c’est un peu comme au Monopoly : un faux pas, et hop ! je me retrouve à la case départ au ras des pâquerettes. Par contre, parfois, je côtoie les cimes, et le coup d’oeil en vaut la chandelle, croyez-moi !
Alors je ne regrette rien, rien du tout. Et Pierre vous le dira : « J’ai de la chance, parce que ma maman elle ne travaille pas et elle s’occupe de moi. »
A.W.