La cène, avec qui ?

 

Quelques réflexions sur l’intercommunion

 

pain-vineglise

 

par Reynald Kozycki

 

 

Etrange paradoxe. La cène, signe par excellence de l’unité du peuple de Dieu1, est devenue l’un des signes les plus révélateurs des divisions dans la chrétienté. Sans parler des débats interminables entre les principaux réformateurs, l’histoire même des Assemblées de Frères a buté contre la pierre d’achoppement de la pratique de la cène. L’aile plus « étroite », à la suite de Darby, prenait des précautions extrêmes pour le partage du repas du Seigneur, à la différence de l’aile plus « large » dont nos CAEF sont héritières.

 

 

En employant, plus que de coutume, la première personne du singulier (afin d’éviter de parler à la place des autres), je vais essayer de poser quelques principes de base sur le « partage éventuel de la cène avec des chrétiens d’autres dénominations que la mienne », en un mot l’intercommunion.

 

 

Mes repères, comme pour toute question doctrinale, sont avant tout tirés de la Parole de Dieu, au moins de ce que j’en comprends, malgré mes lacunes, mes déformations, sans parler, parfois, de certains silences permis par Dieu dans Sa révélation.

 

 

La première question à se poser pour déterminer avec qui nous pouvons prendre la cène est la suivante :

 

 

Qui est invité à participer à ce repas ?

 

Il faudrait une certaine mauvaise foi pour ne pas discerner que ce repas s’adresse aux disciples du Christ2. Jésus rompt le pain et le donne à ses disciples (Mat 26.26) ; les 3000 premiers convertis de la Pentecôte expriment leur repentance par le baptême et ensuite persévèrent dans la fraction du pain (Ac 2.41-42).

 

Dans les épîtres, les avertissements de Paul laissent supposer, de toute évidence, qu’une personne n’appartenant pas au Seigneur n’a pas à prendre part à ce repas : C’est pourquoi quiconque mangerait le pain ou boirait de la coupe du Seigneur d’une manière indigne se rendrait coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun donc s’examine sérieusement lui-même et qu’alors il mange de ce pain et boive de cette coupe. Car celui qui mange et boit sans discerner ce qu’est le corps se condamne lui-même en mangeant et en buvant ainsi (1 Co 11.27-29).

 

Les questions personnelles à se poser selon ces textes peuvent être les suivantes :

 

– Ai-je accepté d’être disciple du Seigneur ?

 

– Suis-je disposé à renoncer à ce qui, manifestement, déshonore Dieu dans ma vie ?

 

– Dans mes relations fraternelles, ai-je appris à pardonner comme Christ l’a fait pour moi… ?

 

Si nous comprenons bien ces principes, nous aurons, à mon sens, suffisamment d’éléments pour délimiter l’intercommunion.

 

 

La réalité du Corps de Christ

 

Par le repas symbolique de la cène, nous exprimons notre communion avec le Seigneur, ainsi que notre communion avec les membres de son Corps. L’une des proclamations fondamentales de ce repas est donc l’unité du Corps de Christ : Comme il n’y a qu’un seul pain, nous tous, malgré notre grand nombre, nous ne formons qu’un seul corps (1 Co 10.17). Refuser la cène dans un rassemblement ou une Eglise peut devenir, dans certains cas, un outrage au Corps de Christ.

 

Pour ma part, je proposerai les questions suivantes pour discerner si je peux, ou non, prendre la cène :

– Ce rassemblement (ou cette Eglise) est-il un lieu où, manifestement, je découvre autour de moi des frères et soeurs dans la foi, cherchant la gloire de Dieu et s’efforçant de vivre la Bonne Nouvelle conformément à la Révélation biblique ?

 

– La Cène est-elle un moment où seulement les chrétiens sincères, nés de nouveau, se sachant appartenir au Seigneur, sont invités à participer ?

 

– De manière implicite ou explicite, les avertissements de Paul en 1 Co 11.26-29, sont-ils mentionnés ?

 

Généralement si je peux répondre affirmativement à ces questions, j’ai une grande liberté de prendre la cène avec ces personnes. Je sais aussi qu’une Eglise composée uniquement de vrais disciples n’existe pas (la parabole de l’ivraie en Mt 13.24 nous le rappelle).

 

Mais cela ne doit pas nous empêcher d’user de discernement, comme Paul le demande en 1 Cor 5.11 : Je voulais simplement vous dire de ne pas entretenir de relations avec celui qui, tout en se disant votre « frère », vivrait dans la débauche, ou serait avare, idolâtre, calomniateur, adonné à la boisson ou voleur ; avec des gens de cette sorte, il ne vous faut même pas prendre de repas.

 

Nous pourrions ajouter, à plus forte raison, partager la cène.

 

 

Et les autres dénominations

 

Concrètement, je n’aurai, en général, pas de difficulté à partager la cène dans une église évangélique qui répondrait affirmativement aux trois questions ci-dessus. J’aurai plus de réserves si je constate toutes sortes de manifestations bizarres (Mais que tout se fasse avec bienséance et avec ordre 1 Cor 14.40), ou si je constate une froideur « palpable » dans les relations fraternelles, causée, apparemment, par de lourdes amertumes qui étouffent l’atmosphère.

Avec des églises de type « multitudiniste », où la cène est ouverte à presque tout le monde, je préférerai m’abstenir, même si je découvre dans l’assemblée un certain nombre de chrétiens authentiques.

 

 

Que penser du B.E.M. ?

 

Plusieurs ont suivi les débats autour du document « Baptême, Eucharistie et Ministères » (le B.E.M.3) produit par le Conseil Oecuménique des Eglises en 1982 et rédigé par 120 théologiens. Je ne me risquerai pas à un long commentaire sur ce texte4, mais j’en relèverai simplement quelques points. Même si nous pouvons accepter, en tant qu’évangéliques, une partie des déclarations du B.E.M., de nombreuses réserves peuvent être faites sur le reste.

 

La terminologie est davantage catholique que protestante, la confusion « sacrement-sacrifice » est fréquente, l’approche est ouvertement sacramentelle, c’est-à-dire que le signe sacré produit ou augmente la grâce dans nos âmes par sa propre vertu5 : « L’eucharistie est un repas sacramentel qui, par le moyen de signes visibles, nous communique l’amour de Dieu en Jésus-Christ » (1, E1).

 

La première des questions ci-dessus semble déjà contredite par le B.E.M. ; en effet, nous ne sommes plus tout à fait sur le terrain de la Révélation biblique. Le poids des traditions nous en écarte.

 

 

Conclusion

 

Nous pourrions envisager quantité de cas de figure qui n’ont pas été abordés dans cet article ; mais jusqu’à maintenant les principes de base énumérés m’ont été suffisants. La cène nous prépare, en un sens, au grand repas des Noces de l’Agneau, où non seulement nous serons à jamais avec notre Seigneur, mais aussi avec son peuple, son Corps. En prenant le repas du Seigneur, si possible avec discernement, j’atteste, entre autres, qu’au-delà des divisions de surface, il n’y a qu’un seul corps, un seul Esprit, un seul Seigneur… (Ep 4.4-5).

 

R.K.


 NOTES

 

1.. 1 Co 10.17 : « Comme il n’y a qu’un seul pain, nous tous, malgré notre grand nombre, nous ne formons qu’un seul corps, puisque nous partageons entre tous ce pain unique ».

 

2. Voir en particulier Mat 26.26-29 ; Mc 14.22-25 ; Lc 22.14-20,24.30-31 ; Ac 2.4246,20.7,27.35 ; 1 Co 10.16-22,11.23-29.

 

3. Texte complet du BEM en anglais sur le site du COE www.wcc-coe.org/wcc/what/faith/beml.html

 

4. Pour cela on lira par exemple Baptême, Eucharistie, Ministère, rapport sur le processus B.E.M. et les réactions des Eglises de 1982 à 1990, Cerf 1993 ; Cahiers de pastorale baptiste, N17-1993 ; A. Kuen, Le repas du Seigneur, Editions Emmaüs 1999, p. 260-271 ; An Evangelical Response to Baptism, Eucharist and Ministry, publié par World Evangelical Fellowship ; Etudes Théologiques et Religieuses, 1983/2 et 1984/4 ; Christianisme au 20e siècle, 15 mars 1982,13 septembre 1982 ; voir aussi Document Baptiste-Catholique sur la cène-eucharistie de Juin 2001 édité par la FEEB.

 

5. Selon la définition du Concile de Trente, voir A. Kuen, op. cit, p. 263.