Le repas du Seigneur
par Alain Kitt
Dans l’histoire des Eglises de la famille des CAEF, le repas du Seigneur, ou la Sainte Cène, a joué un rôle de toute première importance. Aux origines de ce mouvement se trouvaient des frères motivés par le désir, non pas de fonder une nouvelle dénomination, mais de pouvoir tout simplement rompre le pain ensemble. Depuis ce temps-là, nos Eglises ont continué, avec d’autres, à attacher une grande importance à ce repas en le célébrant de façon régulière et fréquente.
D’autres dénominations ont voulu marquer l’importance de la Sainte Cène différemment, en la célébrant moins souvent, dans le but d’éviter que le repas du Seigneur ne devienne une habitude, dont la valeur serait amoindrie par la familiarité.
Si on choisit de célébrer souvent le repas du Seigneur, il est important de veiller à ce que cela ne devienne pas une routine, mais que ce soit une véritable célébration !
Mais une célébration de quoi ?
Quelle est la signification de ce repas ? Le mot Cène reproduit simplement un mot latin signifiant repas, mot réservé à l’origine au repas du soir ; ce qui nous rappelle que les premiers chrétiens prenaient le repas du Seigneur le soir, après leur journée de travail. C’est un repas saint, c’est-à-dire qu’il est mis à part, différent des repas que nous prenons dans le simple but de nous nourrir. Cela reste vrai même si la Sainte Cène s’insérait dans un repas ordinaire, ce qui était apparemment le cas au début, selon les données de 1 Co 11.
II est appelé repas du Seigneur (1 Co 11.20). Cette appellation comporte deux aspects :
1) Le Seigneur Jésus lui-même l’a institué juste avant d’être livré entre les mains de ceux qui voulaient sa mort. Matthieu, Marc et Luc nous racontent en détail ce repas partagé par Jésus et ses disciples peu de temps avant son arrestation. L’apôtre Paul en parle aussi, en faisant remonter au Seigneur lui-même l’enseignement qu’il a transmis aux Corinthiens (1 Co 11.23ss).
Jésus avait vivement désiré manger la Pâque avec ses disciples avant de souffrir (Luc 22.15) ; nous croyons qu’il désire aussi que son Eglise continue à se souvenir de lui de cette façon. En célébrant la Sainte Cène nous ne perpétuons pas une tradition d’Eglise, nous faisons ce que le Seigneur a demandé à ses disciples de faire, et qui a été trans-mis dès le début aux nouveaux chrétiens.
2) Le Seigneur est au centre du repas : c’est en mémoire de lui que nous prenons le pain et que nous buvons la coupe (1 Co 11.24-25).
Nous le faisons en mémoire de ce qu’il a fait : ses miracles, son enseignement, sa compassion, sa vie parfaite, et surtout sa mort et sa résurrection. Si Jésus n’avait pas accompli ces choses, nous serions encore perdus, et c’est pourquoi nous célébrons dans ce repas la nouvelle alliance en son sang, le pardon que Dieu nous offre gratuitement et que nous avons saisi par la foi.
Mais le repas du Seigneur n’est pas tourné seulement vers le passé, il est un regard vers l’avenir : en mangeant le pain et un buvant la coupe, nous annonçons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne (1 Co 11.26). Le jour viendra où nous n’aurons plus besoin de ces gestes pour nous souvenir du Seigneur, puisque nous le verrons tel qu’il est, nous serons pour toujours auprès de lui. Alors notre communion avec lui sera parfaite. Mais tant que nous attendons ce jour-là, le repas garde toute son importance.
Nous y proclamons aussi notre réalité présente : notre vie dépend de Christ, source unique et suffisante de tout ce qui nous est indispensable. Dans le discours qui a suivi la multiplication des pains, Jésus a parlé de la nécessité de manger sa chair et de boire son sang (Jn 6.53). Que voulait-il dire, et quel est le rapport avec la Sainte Cène ? Quoique la Sainte Cène ne soit pas mentionnée dans ce passage, il est probable qu’il y ait un lien, indiqué par exemple par la répétition appuyée dans Jn 6 et 1 Co 11 des mots manger et boire, et par le parallèle établi entre le pain et le corps du Seigneur, entre la coupe et la nouvelle alliance en son sang.
La présence du Seigneur
Certes nous ne croyons pas que le pain et le vin deviennent le corps et le sang mêmes du Seigneur. Mais nous croyons que notre communion avec le Seigneur, et la vie que nous avons reçue de lui, une vie toujours nouvelle, trouvent une expression magnifique dans le repas du Seigneur : le pain et la coupe représentent son corps et la nouvelle alliance.
En y participant nous confessons que notre vie, c’est Christ, et que, de même que notre corps physique a besoin de nourriture, de même spirituellement c’est du Christ que nous tirons notre subsistance. Et par la foi en ses promesses, nous croyons que le Seigneur est réellement présent lors de ce repas que nous célébrons en sa mémoire.
Le repas du Seigneur représente un moment solennel et en même temps joyeux où tous les chrétiens devraient trouver leur place. Toutefois Paul évoque une triste possibilité :
Celle de manger et de boire indignement ce repas du Seigneur (1 Co 11.27). Qu’est-ce que cela veut dire ? D’après le contexte, participer au repas indignement est mis en parallèle avec manger et boire sans discerner ce qu’est le corps du Seigneur (v.29). Pour discerner ce qu’est ce corps, ce qu’il représente pour moi, j’ai besoin évidemment de comprendre et de croire que le corps de Jésus a été crucifié sur une croix pour moi. Comment pourrais-je annoncer la mort du Seigneur si je n’y crois pas personnellement ?
Ceux qui ont la responsabilité de distribuer le pain et la coupe ont aussi la responsabilité de dire que ce repas est pour ceux qui sont en règle avec Dieu. En même temps, bien sûr, ils peuvent exhorter les non-chrétiens qui sont présents, à saisir l’occasion de cette annonce éloquente de la mort du Seigneur pour se repentir et croire à l’Evangile sans plus attendre.
Mais la possibilité que des non-croyants puissent prendre indignement la Cène ne paraît pas être la première préoccupation de Paul dans ce passage : son avertissement s’adresse aux chrétiens de Corinthe qui se comportaient de façon indigne lors de la Sainte Cène :
1) Certains ne discernaient pas la sainteté du moment ; ils s’enivraient, mangeaient chacun pour soi, sans attendre les autres (peut-être les esclaves qui ne pouvaient pas être là plus tôt ?), de sorte que le repas perdait tout de sa joie et de sa solennité.
2) Les divisions qui se manifestaient au cours de ce qui devait être un repas de communion étaient un affront, non seulement envers les chrétiens qui n’avaient rien et qui assistaient aux excès de table de la part de certains riches, mais aussi envers le Seigneur lui-même qui avait donné sa vie pour faire de ces chrétiens, les riches comme les pauvres, un seul corps. Les chrétiens auxquels Paul s’adressait en 1 Co 11.17-24 ne discernaient pas cette unité du corps de Christ, de l’Eglise, ils la niaient même par leur comportement. C’est ainsi qu’ils mangeaient et buvaient indignement.
Que dire donc ? Est-ce que j’ai une attitude envers un frère ou une soeur qui nuit à l’unité du corps de Christ, dont nous faisons partie tous les deux ? Si c’est le cas je ferais mieux de m’abstenir et de régler le problème dès que possible. Paul invite chaque chrétien à s’examiner soi-même et ensuite à participer au repas.
L’Eglise a aussi une responsabilité quand un chrétien vit notoirement dans le péché, comme c’était le cas à Corinthe (voir 1 Co 5) : l’homme en question devait être expulsé du milieu d’eux, il ne fallait même pas manger avec lui (v. 11) ; cet acte de discipline devait certainement l’exclure du repas du Seigneur. Une telle décision doit être communautaire, et doit être entreprise en dernier recours, après les autres démarches prévues par le Nouveau Testament, dans le but d’amener le coupable à la repentance et au rétablissement dans la communauté.
En conclusion, comme l’a dit Jules-Marcel Nicole1 : nous devons être convaincus de notre indignité naturelle pour communier dignement ! Malgré notre indignité, Dieu nous a fait grâce en Christ. C’est en reconnaissant cela que je peux participer sincèrement et joyeusement au repas du Seigneur avec mes frères et soeurs qui ont reçu la même grâce que moi.
A.K.
Note
1. : Jules-Marcel Nicole, Précis de doctrine chrétienne, Edit. de l’Institut Biblique de Nogent, 1991, p. 281.