Le ministère féminin
par Alfred KUEN
II est difficile de développer ce sujet d’une manière satisfaisante pour les uns et les autres en quelques pages, ceux qui voudraient ouvrir l’accès à nos soeurs à toutes les fonctions dans l’Eglise et ceux qui souhaitent au contraire défendre le statu quo1. Comme je ne me situe personnellement ni dans l’un ni dans l’autre de ces camps, je suis d’avance certain de ne satisfaire ni les uns ni les autres… Je vous encourage à revenir aux textes de l’Ecriture sans préjugés théologiques. Je vous propose 10 thèses en m’arrêtant plus longuement sur deux d’entre elles.
1ère thèse : L’Ecriture sainte est, pour nous, « l’autorité souveraine en matière de foi et de moeurs ». Ses affirmations et ses restrictions sont valables toujours et partout si elle ne donne pas elle-même des indications au sujet de leur caractère temporel ou culturel.
2ème thèse : La place de la femme dans l’Eglise est une question difficile car il n’y a pas de texte explicite qui la précise dans le Nouveau Testament. On trouve seulement quelques mentions incidentes dans un contexte traitant d’autre chose. D’où des interprétations divergentes.
3ème thèse : Pour résoudre la question, il ne suffit pas de citer deux ou trois versets hors de leur contexte.
On pourrait lire seulement Que les femmes se taisent dans les assemblées. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de prendre autorité sur l’homme. Cependant, comment être logique avec soi-même et leur confier l’enseignement des enfants ? Comment les laisser joindre leurs voix à l’assemblée pour chanter des cantiques (le chant n’est-il pas aussi une forme d’exhortation et d’enseignement : pensez aux cantiques de Debora, Anne, Marie dans la Bible) ?
Et qui plus est, plusieurs de nos chants préférés ont été composés par des femmes2. Doit-on pour ne pas se contredire, condamner nos soeurs à un mutisme complet dans l’Eglise ? Cette lecture littéraliste ciblée sur un seul texte de l’Ecriture n’était pas celle de Jésus. Lorsque les pharisiens lui ont cité un verset du Deutéronome pour justifier le divorce, il leur a répondu : Au commencement, il n’en était pas ainsi (Mt 19.8). Il se référait donc au plan originel de Dieu. La Bible est un tout : l’Ancien et le Nouveau Testament sont nécessaires pour nous faire une idée juste sur l’intention divine.
4ème thèse : Au commencement, Dieu a créé l’homme et la femme égaux et différents : complémentaires.
Dans l’Ancien Testament, les femmes ont joué un rôle inférieur à celui de l’homme, mais Dieu a utilisé certaines d’entre elles pour des missions importantes (pour conduire le peuple ou lui transmettre ses messages, même lorsqu’il y avait des hommes capables, comme ce fut le cas pour Houlda, consultée par le roi et le prêtre au temps où Jérémie et Sophonie exerçaient leur ministère). L’exclusion de la femme des ministères de la parole ou de la direction (Débora) n’était donc pas un principe immuable.
5ème thèse : Ce n’est qu’après le retour de la captivité babylonienne, que toute participation à la vie religieuse d’Israël fut interdite aux femmes.
Et surtout à partir du 3e siècle av. J.C. Dans le Temple, elles ne pouvaient pénétrer que dans le parvis des païens et des femmes – et encore, pas tous les jours du mois ! Dans la synagogue, elles ne pouvaient participer ni aux prières ni à l’enseignement. Elles n’apprenaient pas la Torah et n’avaient pas besoin d’en respecter les commandements. Tout Juif pieux remerciait quotidiennement Dieu de ne pas l’avoir fait naître femme !
6ème thèse : Les évangiles, le comportement et l’enseignement de Jésus sont en contraste radical avec cette attitude du judaïsme contemporain. Les généalogies mentionnent quatre femmes, les récits de la nativité mettent en scène des femmes remarquables, Jésus avait des disciples féminins (Mt 27.55)3, il les enseignait, les mentionnait dans ses paraboles et en a fait les premiers témoins de sa résurrection.
7ème thèse : Dès le lendemain de l’Ascension, les femmes se sont associées aux hommes pour la prière (Ac 1.14).
a) Elles ont participé à l’évangélisation et à la vie de l’Eglise
Dans Rm 16, Paul recommande en premier Phoebé, diacre de l’Eglise de Cenchrées (ou : qui y exerce son ministère).
Il englobe Prisca (nommée ailleurs Priscille) avec Aquilas dans l’expression : « collaborateurs dans le service du Christ Jésus, à qui toutes les Eglises des pays païens doivent de la gratitude (v.3-4). » L’épithète de collaborateur dans le service du Christ Jésus, dit H. Marshall, est d’une importance cruciale. Sans aucun doute, elle signifie qu’ils étaient tous deux des collègues de Paul à part entière dans le service missionnaire ; la manière dont il met le nom de Prisca en premier – comme Luc
– confirme le fait qu’elle était une missionnaire active. Rien n’indique qu’elle travaillait seulement parmi des femmes4 ».
– ni qu’elle était une « aide » au sens restrictif du terme.
Marie s’est beaucoup dépensée pour vous (v.6). Paul emploie le même verbe pour Tryphène et Tryphose qui travaillent toutes deux pour le Seigneur ainsi que ma chère Perside qui a beaucoup travaillé pour le Seigneur (v.12). « Le travail dont il est question pour Tryphène, Tryphose et Perside est l’oeuvre missionnaire ; Paul utilise le même mot pour des missionnaires hommes ou femmes (Rm 16.6,12 ; cf. 1 Co 15.10,58 ; 2 Co 10.15) » (I.H. Marshall Ibid.), ou des conducteurs d’Eglise (1 Th 5.12), pour des prédicateurs (1 Tm 5.17), et pour lui-même (Col 1.29) ou pour le combat contre les fausses doctrines (1 Tm 4.10)5.
David Pawson écrit dans L’autorité : une affaire d’homme : « En fait, tout le chapitre 16 de Romains est vraiment une révélation pour ceux qui voient Paul comme un misogyne. Un tiers des personnes dont Paul fait des éloges sont des femmes, qui se sont acquittées plus qu’honorablement de l’oeuvre du Seigneur. Elles portent le titre de compagnons d’oeuvre, collègues de Paul (Ph 4.2), ce qui veut dire qu’elles ont pris part à sa mission d’évangélisation et d’implantation d’Eglises »6.
Dans Ph 4.2-3 il parle d’Evodie et de Syntyche qui ont combattu côte à côte avec moi pour la cause de l’Evangile. Comme le dit M. Lüthi, « les femmes étaient pour l’apôtre Paul de véritables collaboratrices, partenaires dans le service de l’Evangile ».
« Etant donné le nombre de femmes associées à Paul dans son ministère, il semble qu’il était normal pour des femmes d’être activement engagées dans l’évangélisation et dans les ministères associés auprès des jeunes Eglises. Après tout, Paul utilisait le même langage pour décrire des collaborateurs féminins et masculins » (R. Tucker-W. Liefeld)7.
Dans Rm 16.7, Paul dit : Saluez Andronicus et Junia. mes compatriotes ; ils ont été mes compagnons de captivité ; ce sont des apôtres remarquables (ou : ils sont très estimés parmi les apôtres)… Or, Junia était un nom féminin, ce qui signifie donc qu’une femme était qualifiée par Paul du titre d’apôtre – comme Barnabas (Ac 14.14; 1 Co 9.5-6), Silas et Timothée (1 Th 2.6) ainsi que Jacques, le frère du Seigneur (Gal 1.19).
Cette valorisation de la femme par Jésus et par Paul devrait faire rougir de honte ceux qui voudraient rabaisser son rôle dans l’Eglise à l’exécution de tâches simili-ménagères.
Dans sa première lettre, l’apôtre Paul a posé le principe fondamental : En Christ, il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. (Gal. 3.28) Même si cette affirmation se rapporte en premier lieu au salut, son application dans la vie de l’Eglise devrait en découler dès que les circonstances le permettent. Paul a lutté pour que la différence entre Juifs et grecs disparaisse. Il a fallu 18 siècles pour que l’Eglise tire les conséquences de ce principe quant à l’abolition de l’esclavage. Pour beaucoup, les temps semblent mûrs aujourd’hui pour tirer des conséquences pratiques de la disparition des différences entre hommes et femmes.
b) Dans l’Eglise primitive, les femmes pouvaient prier et prophétiser au culte (1 Co 11.5; cf. 1 Tm 2.8-9).
D’après ce texte, les femmes pouvaient donc participer activement au culte : aux prières et à certaines formes de ce que nous appelons « le ministère de la parole ».
Que voulait dire prophétiser ?
En analysant tous les textes relatifs à la prophétie dans le Nouveau Testament, je suis arrivé aux conclusions suivantes :
1) Il existe deux sortes de prophètes et de prophéties
Les mots prophètes et prophétiser sont utilisés relativement à deux catégories de personnes : celles qui apportent occasionnellement un message de la part de Dieu et celles qui sont reconnues par l’Eglise comme ayant le « don de prophétie » et sont, par conséquent, accréditées par elle pour l’exercer. Comme tous les croyants pouvaient apporter leur contribution au culte (1 Co 14.26), les femmes pouvaient aussi apporter une « parole prophétique », c’est-à-dire un message que Dieu leur inspirait au même titre qu’une prière (1 Co 11.5). Peut-être que celles qui le faisaient habituellement à la satisfaction de toute l’assemblée étaient reconnues comme « prophétesses » par l’Eglise.
Etait-ce le cas pour les quatre filles de Philippe (Ac 21.9) ? Puisque la prophétie occasionnelle des femmes était un fait courant, il semble plus normal de penser, dans leur cas, à une fonction reconnue pour justifier cette mention de Luc.
2) Nous trouvons peu de prédictions dans les prophéties du Nouveau Testament
« Le prophète n’est pas l’homme des prédictions, mais de la prédication qui insère la Parole de Dieu dans l’existence d’une communauté ».
3) La prophétie était un don très répandu
C’était « un exercice aussi courant que la prière, de la part des hommes comme des femmes »8. « Chaque chrétien est potentiellement un prophète9 ». « Théoriquement n’importe qui peut prophétiser10 ».
4) II était destiné aux réunions des chrétiens
C’est là qu’il s’exerçait essentiellement plutôt que dans l’évangélisation.
5) Le but de la prophétie
C’est l’édification de l’Eglise et l’encouragement des croyants. D’après 1 Co 14, celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier, les exhorter, les consoler (v.3) et pour édifier l’Eglise (v.4) c’est-à-dire pour aider chacun à grandir dans la foi. Essayons de nous replacer dans la situation des réunions dans l’Eglise primitive : des chrétiens et des chrétiennes se rassemblaient dans la maison de l’un d’entre eux ; chacun apportait librement sa contribution (1 Co 14.23), « En fait, dit Frederik Dale Bruner, des expressions comme, un mot de témoignage, ou même un conseil, semblent rendre mieux le mot originel quelque peu archaïque de prophétie11 ».
La prophétie exercée de cette manière par des femmes devait passer tout naturellement dans les Eglises primitives. « Dans l’Eglise primitive, hommes et femmes pouvaient se lever pour faire part à l’Eglise de ce qu’ils pensaient que Dieu leur avait confié pour son bien (Gruden-Piper)12. Dédramatisée ainsi, elle devrait être comprise dans la plupart des Eglises actuelles. D’autre part, si l’homme se plaît dans les vérités abstraites et leur enseignement, l’esprit de la femme est davantage tourné vers les réalités concrètes de la vie. C’est pourquoi la prophétie, définie comme application des vérités bibliques à la vie de tous les jours, lui convient mieux que l’enseignement.
6) La prophétie du Nouveau Testament n’a pas une autorité absolue
Elle n’avait pas une autorité comparable à celle des prophéties inspirées rapportées dans l’Ancien Testament. Elle devait être évaluée par la communauté (1 Co 14.29)13. Paul demande aux Thessaloniciens d’examiner les prophéties et de retenir ce qui est bon (1 Th 5.20-21). Aujourd’hui, la marque d’authenticité d’une prophétie est sa conformité au message biblique.
7) La prophétie est différente de l’enseignement
La caractéristique distinctive de la prophétie est l’inspiration divine ; mais celle-ci n’exclut pas la réflexion humaine, puisque Paul demande aux prophètes d’exercer leur discernement pour prophétiser selon l’analogie de la foi (Rm 12.7).
L’enseignement n’est pas fondé sur une révélation. C’est souvent une explication ou une application de l’Ecriture (Ac 15.35 ; 18.11 ; Hé 5.12). Il pouvait aussi être la répétition et l’explication de l’enseignement apostolique (1 Co 4.17 ; 1 Tm 4.11 ; 6.2) qui donnait à l’Eglise ses normes doctrinales et éthiques.
8.) Ces différentes caractéristiques de la prophétie plaident en faveur de la permanence du don de prophétie dans l’Eglise.
C’est « le charisme par excellence de la nouvelle alliance » (Ed. Schweizer). Selon Ac 2.17-21, la prophétie est la marque de l’ère de l’Esprit. « Elle ne peut donc être absente d’aucune période de celle-ci au cours de l’histoire de l’Eglise » (J.I. Packer)14.
J.I. Packer la définit en termes de prédication ou d’application de la vérité biblique aux auditeurs15. Cette « prophétie d’exhortation » est « ouverte à tous, hommes et femmes, en vue de l’actualisation, dans toute la période de la vie de l’Eglise, de la vérité donnée une fois pour toutes » (P.Jones)16. Ainsi « tout croyant, homme ou femme, peut être appelé à communiquer à la communauté une révélation que le Seigneur lui a donnée au cours du culte17 ». Le mot révélation peut alors se comprendre dans son sens étymologique : un voile qui tombe (sur le sens d’un passage biblique ou l’importance d’une exhortation ou d’une promesse).
Certains exégètes ont voulu limiter ce don à l’Eglise primitive, avant qu’elle ait eu le Nouveau Testament complet. Mais il est difficile d’imaginer qu’un don qui a tant d’importance dans la Parole de Dieu donnée pour tous les temps, n’ait plus eu de raison d’être à partir du moment où le canon du Nouveau Testament était complet. L’argumentation qui appuie cette théorie de la disparition de certains dons sur 1 Co 13.8 est très fragile car le jour où la perfection apparaîtra coïncide avec celui où nous connaîtrons comme Dieu nous connaît (v. 12).
Le don de prophétie a, au contraire, été accordé à l’Eglise pour tous les temps afin d’aider les croyants à grandir dans la foi, de les encourager et les consoler (1 Co 14.3). Ce don, très répandu dans l’Eglise primitive, constituait, avec le ministère d’enseignement, l’essentiel du service de la parole dans les réunions pour répondre aux besoins spirituels de l’assemblée. Les hommes et les femmes exerçaient ce don sous le contrôle de l’assemblée. C’est le sens qui se dégage de la grande majorité des textes relatifs à la prophétie dans le Nouveau Testament.
D’après le Nouveau Testament, la femme peut participer à ce ministère de la parole au même titre que les hommes.
8ème thèse : 1 Co 14.34 (que la femme se taise dans l’Eglise) semble s’opposer à cette liberté accordée aux femmes. Comment harmoniser ces versets avec 1 Co 11.5 qui lui permettait de prier et de prophétiser ? La majorité des interprètes évangéliques y voient une suite du v 29b : seuls les hommes doivent participer à l’évaluation des prophéties.
9ème thèse : 1 Tm 2.12 ne s’oppose pas à un ministère d’enseignement féminin.
La compréhension de ce verset demande une bonne définition des mots importants (enseigner, autorité) et du lien grammatical entre les deux parties du verset. Ce que Paul semble interdire à la femme, c’est « l’enseignement d’autorité » qui définit ce qu’il faut croire (Vous avez entendu, mais moi je vous dis) ou qui énonce des commandements impératifs (comme lui-même le fait lorsqu’il écrit : Je veux que les hommes… Je ne permets pas à la femme…). De plus, le mot rare qu’il emploie pour autorité désigne une autorité dominatrice et usurpée (c.-à-d. non déléguée).
Le lien grammatical entre les deux parties du verset semble être celui de l’hendiadys qui les coordonne de la manière suivante : Je ne permets pas à la femme d’enseigner en prenant autorité sur l’homme. On pourrait donc paraphraser le verset ainsi : « Je ne permets pas à la femme de dispenser un enseignement d’autorité en s’arrogeant elle-même son autorité pour enseigner ». Avec les précisions que nous donne le sens des mots employés, ce verset ne s’oppose donc pas à un ministère d’enseignement féminin consistant à transmettre, sous l’autorité des anciens, des vérités sur lesquelles les chrétiens s’accordent.
10ème thèse : L’autorité de l’homme ne figure cependant pas dans ce seul verset. La soumission de la femme est enseignée dans la Bible depuis le début.
Elle n’est pas liée à une accommodation culturelle ou une stratégie missionnaire (comme dans Tt 2.4-5 et 1 Pi 3.1) car Ep 5,22-24 et 1 Co 11.3 citent des motivations non liées à une culture donnée. Dans l’Eglise, la fonction d’ancien (presbyteros) semble réservée aux hommes. Le mot féminin presbytera ne se trouve que dans un seul texte qui parle de façon évidente des femmes âgées (1 Tm 5.2) ; d’autre part 1 Tm 3.11 qui mentionne les qualifications requises des femmes-diacres ne dit rien de correspondant pour des femmes-anciens).
Les femmes peuvent être diacres (Rm 12.1 ; 1 Tm 3.11) et apporter dans le conseil des anciens et des diacres (parfois appelé aujourd’hui conseil d’Eglise) une contribution très précieuse et une vision différente de la réalité.
Concrètement, la Bible ne semble donc s’opposer ni à une participation des soeurs à un ministère de la parole dans l’Eglise, qu’il s’agisse d’exhortation, d’édification, de consolation ou même d’enseignement sous la responsabilité des anciens (puisque toute prophétie contient aussi une part d’instruction : 1 Co 14.31), ni à une participation à un conseil des anciens et des diacres (et diaconesses). Cependant, pour respecter les règles générales de subordination réciproques et les restrictions suggérées par les silences de l’Écriture, il ne serait pas conforme aux données bibliques de confier à une femme un ministère d’ancien ou de pasteur.
Quelles conclusions tirer de ces considérations ?
Je pense qu’il ne serait pas juste de basculer complètement d’un côté ou de l’autre, en suivant la mode, ou en réaction contre un « féminisme » dans l’Eglise.
Dans le Nouveau Testament, les fonctions d’autorité semblent réservées aux hommes. 1 Co 14.34 demande aux femmes qu’elles sachent se tenir dans la soumission ; 1 Tm 2.11 leur recommande aussi un esprit de parfaite soumission.
Par contre, nous pouvons – et nous devrions – aller aussi loin que la Parole de Dieu dans ce qu’elle permet à la femme dans l’Eglise :
1. La participation à toutes les prières
La plupart des Eglises évangéliques ont ouvert aux femmes la participation à la prière publique durant le temps de louange et d’adoration.
Toutes croient au sacerdoce universel des croyants. Alors F.F. Bruce (des Assemblées de Frères d’Angleterre) pose la question suivante : « Donc tout serait-il en ordre si, à l’un de nos services de sainte cène, une femme rendait grâces pour le pain et le rompait avant qu’il soit distribué ? »
Quelle serait notre réaction ? Est-ce que la cène n’est pas un domaine à part, où seuls les hommes ont le droit d’officier ? Ou peut-être même seuls les pasteurs consacrés ou les anciens, mais pas les simples membres d’Eglise ? Ne sommes-nous pas sur un terrain sacré où la femme n’a pas le droit de pénétrer ? Si nous raisonnons ainsi, c’est que notre pensée est encore influencée par des idées cléricales et sacramentalistes.
Mais l’ancienne dichotomie sacré-séculier a été abolie, comme la distinction entre prêtres et laïcs. « Maintenir dans la nouvelle alliance cette distinction périmée, ce serait déclarer insuffisant et non valable le sacerdoce du Christ et revenir en arrière dans l’histoire du salut » (Ph. Menoud)18. « Et pourquoi, poursuit P.P. Bruce, une chrétienne qui partage avec nous notre commune prêtrise, ne devrait-elle pas accomplir un tel acte représentatif en faveur de ses compagnons d’adoration, au même titre qu’un chrétien ? »
Et d’ajouter : « Ce n’est pas une question rhétorique, j’aimerais bien qu’on me donne une réponse biblique »19. D’ailleurs, on a retrouvé des représentations dans les catacombes où des femmes présidaient le repas du Seigneur (Scholz)20. A plus forte raison, les soeurs peuvent participer à la distribution du pain et du vin (comme à la maison elles distribuent la nourriture).
2. La participation au ministère de la prophétie et de l’enseignement
sous les conditions définies ci-dessus).
Il me semble que, dans l’ensemble, les Assemblées de frères, qui sont restées pendant longtemps, sur le plan des ministères, dans le sillage de J.N. Darby, le sont encore en partie pour la participation de nos soeurs aux réunions et que nous restons à un niveau en deçà de celui du Nouveau Testament. Il est temps que nous révisions notre point de vue à la lumière de la Révélation biblique et que nous donnions à nos soeurs la place que la Parole de Dieu leur attribue. « Nous ne pouvons évidemment pas permettre à la pensée séculière de modeler notre interprétation de l’Ecriture, mais nous pouvons être reconnaissants de ce qu’elle nous défie afin que nous nous soumettions avec une nouvelle ouverture à la Parole de Dieu21 »
Il ne s’agit pas de révolutionner notre manière de faire du jour au lendemain (et de provoquer une division dans l’Eglise), mais de commencer par étudier ce que dit la Bible sur cette question puis de procéder lentement, par étapes, à la mise en pratique de ce que nous y aurons trouvé.
Comme nous l’avons vu, les Eglises primitives se réunissaient dans les maisons. C’est dans des réunions analogues que la participation de nos soeurs à l’édification mutuelle paraît la plus naturelle. Puis, comme nous ne croyons pas à la sainteté de certains lieux ni de certains moments, pourquoi une soeur ne pourrait-elle pas apporter un témoignage le dimanche matin au culte, ou une contribution par le partage d’une vérité qui lui est apparue durant sa lecture de la Parole (ce que l’Ecriture appelle : une révélation), donc une méditation ou un message qu’elle nous adresse ?
Bibliquement, à mon avis, rien ne s’y oppose, même si ce message devait comporter une part d’enseignement, si elle le fait sous l’autorité des anciens.
Comme la participation de nos soeurs à la prière au culte a apporté à nos réunions un enrichissement indéniable, leur participation à l’édification mutuelle contribuerait certainement à un nouvel enrichissement. Paul nous dit dans ses épîtres : Edifiez-vous les uns les autres, exhortez-nous les uns les autres, instruisez-vous les uns les autres (sans jamais préciser de quel sexe devaient être les uns par rapport aux autres).
Dans la société du 1er siècle, un fossé profond séparait les Juifs des Grecs, mais dans la société prophétique de l’Eglise, il n’y a plus ni Juifs ni Grecs. Un fossé encore plus profond séparait les esclaves des hommes libres, mais dans l’Eglise, il n’y a plus ni esclave ni homme libre. Pourtant ce fossé a subsisté – même dans l’Eglise – jusqu’au 18e, par endroits jusqu’au 19e siècle.
Dans la société, l’accès aux diverses fonctions était régi jusqu’au milieu du 20ème siècle par la distinction «homme – femme». Dans l’Eglise, nous dit Paul, il n’y a plus ni homme ni femme, mais cette parole n’y a guère trouvé application. Peut-être le moment serait-il venu de repenser ce que ce verset a à nous dire aujourd’hui.
Un orgue dont la moitié des tuyaux sont bouchés sera incapable de rendre un prélude de Bach, même sous les doigts du plus brillant organiste. C’est ce que nos Eglises évangéliques et nos assemblées ont été pendant longtemps. Plus doué que le plus prestigieux organiste, Dieu a quand même pu faire retentir dans ce monde la musique de son amour. Mais quelle différence si tous les dons qu’il a accordés à son Eglise avaient pu être mis en valeur !
Or, d’une part, les textes bibliques relatifs aux dons ne font jamais une différence relative au sexe de leurs bénéficiaires, d’autre part, il est indéniable que Dieu a accordé à nos soeurs des dons d’organisation, de parole, d’enseignement et bien d’autres. Le récent Congrès « Femmes 2000 » a révélé leur créativité et leur compétence là où elles ont pu se déployer librement pour créer et porter une oeuvre… en Afrique, à Madagascar… Pourquoi Dieu aurait-il donné à nos soeurs des dons (même en Europe) pour les empêcher ensuite de les exercer ?
3) Les vraies motivations
II est vrai qu’il y avait deux versets des épîtres de Paul – mal interprétés – qui semblaient faire barrage au ministère des femmes. Mais pourquoi ces deux versets ont-ils pu contrebalancer des dizaines d’autres qui allaient dans le sens opposé ? Pourquoi, en particulier, dans la même épître, les conclusions claires du chapitre 11 qui permettaient à la femme de prier et de prophétiser ont-elles été neutralisées par le v du chapitre 14 qui semblait la confiner dans un silence complet ? N’y aurait-il pas des raisons autres que théologiques ? Ne serait-ce pas notre peur ancestrale de la femme ? Peur de sa supériorité qu’évoquait déjà Caton l’Ancien au 2e siècle avant J.-C. quand il disait : « Dès que les femmes commenceront à être vos égales, elles deviendront vos supérieures » ? Donc la peur de perdre notre autorité, voire notre identité ?
Serait-ce, en fin de compte, une question de pouvoir qui a fait peser sur nos soeurs, tout au long des siècles, un poids de suspicion et de mépris tout à fait contraire à l’attitude de Jésus et de Paul, engendrant des frustrations et des souffrances ? Dans un congrès des responsables des Assemblées de Frères d’Allemagne sur ce thème, on avait réservé une soirée aux soeurs pour qu’elles puissent s’exprimer librement. Lune des six femmes sur le podium a demandé à une amie ce qu’elle dirait si elle était à sa place. « Moi, lui a-t-elle répondu, je ne pourrais rien dire, je ne pourrais que pleurer ».
Un proverbe dit : « Chassez le naturel et il revient au galop ». Le « naturel » s’exprime dans toutes les civilisations païennes par la domination de l’homme sur la femme. Jésus et Paul ont renversé cette conséquence de la chute et rétabli la femme dans la situation que Dieu lui avait assignée lors de la création afin qu’elle soit le vis-à-vis de l’homme. Mais dès le 2ème siècle, le « naturel » est revenu au galop dans l’Eglise, et il y est resté jusqu’à nos jours.
Ne serait-ce pas le moment de discerner dans nos attitudes ce qui vient de notre être «naturel», c’est-à-dire de ce que la Bible appelle la chair, de le chasser au nom du Christ et de redonner au divin organiste un instrument correspondant à son plan avec lequel il puisse faire retentir dans l’Eglise et dans le monde son message d’amour ?
A.K.
NOTES
1. Ceux qui voudront aller plus loin dans l’étude de ce sujet peuvent lire le livre écrit par Alfred Kuen : La femme dans l’Eglise (St Légier. Emmaüs, 2e édit. 1998), 283 p.
2. «Jésus est au milieu de nous», «C’est toi Jésus, pain de vie», «Je m’approche de toi, source de vie», «Agneau de Dieu, Messager de la grâce», «Jésus ta sainte présence», «Ma vie enfin je te donne», «Notre Dieu règne encore», «L’amour de Dieu de loin surpasse», «II vit, II, vit, Jésus vit aujourd’hui», etc. pour ne citer que quelques-uns des chants composés par des femmes tirés des recueils Sur les ailes de foi et A Toi la gloire. Il y en a bien d’autres.
3. Elles l’avaient suivi depuis la Galilée pour être à son service : ces mêmes verbes sont utilisés pour qualifier l’attitude des disciples (cf. La Femme dans l’Eglise, p.39-52, où l’auteur montre comment Jésus confie aux femmes des tâches, des missions, comme à ses disciples masculins).
4. «The Role of Women in the Church» in Lees : The Role of Women Leicester IVP 1984 p. 184.
5. J. Mead : L’anciennat féminin, (Ex. dactylographié, Bruxelles, 1990).
6. L’autorité ; une affaire d’homme (Les limites du féminisme chrétien) Libr. Carrefour, CH-1260 Nyon 1992 p. 92.
7. Daughters of the Church, Women and ministry from N.T. times to the present, Academic Books, Zondervan, Gd. Rapids, 1987 p. 436.
8. F.F. Bruce : 1.2 Cor. Oliph. 1971 p.134.
9. A.Motyer: NDB, p.l045
10. M.J. Cartledge : «Charismatic prophecy and N.T. prophecy», Themelios 17/1 (oct.-déc 1991 p.l9).
11. A Theology of the Holy Spirit London, Hodder and Stoughton l970, p.297.
12. «Questions brûlantes sur la différenciation sexuelle et les ministères dans l’Eglise» : Revue Réformée, Janv. 1993 pp. 18-19.
13. Dans un article du Journal of the Evangelical Theological Society (30/1 ; 1987), W. Grudem, qui a fait sa thèse de doctorat sur le don de prophétie, dit : «Le don de prophétie avait moins d’autorité dans l’Eglise du N.T. que l’Ecriture ou l’enseignement apostolique ».
14. Keep in Step with the Spirit IVP Downers Grove, 1984 p. 214.
15. « Tout ce qui appuie l’enseignement biblique et qui l’applique aux auditeurs présents peut à proprement parler s’appeler aujourd’hui, prophétie, car c’est en vérité ce qu’elle est » (84 p.215). » C’est la prédication de la vérité biblique accompagnée d’applications » (p.217).
16. Revue Réformée, sept. 1980 p.309-310.
17. J. Burnier Vocabulaire Biblique p.239).
18. l’Eglise et les ministères selon le Nouveau Testament Neuchâtel Delachaux & Niestlé 1949 p. 23 (Voir A.Kuen : Ministères dans l’Eglise, pp. 40-43).
19. «Women in the Church : a Biblical Survey» in Henderson, Women in the Church, Christian Brethren Review, Journal n°33, Paternoster, Exeter, 1982 pp. 12-13.
20. DieFrau im Verkündigungs und Zeugendienst der Gemeinde, Francke, Marburg, 1979 ; p. 36.
21. S.Lees, The Role of Women : Leicester IVP 1984 ; p.l2.