L’apologétique
Interviews par Reynald Kozycki
Question à Henri Blocher (professeur à Vaux-sur-Seine)
Comment peut-on définir l’apologétique ?
Si on prend le mot apologétique, non pas dans son usage adjectival, mais nominal, c’est la science de l’apologie. L’apologie renvoie au terme grec apologia utilisé dans le Nouveau Testament, qui est à l’origine un discours de défense présenté par un avocat au tribunal.
Le mot désigne finalement tout discours qui cherche à persuader quelqu’un qui n’est pas déjà gagné au christianisme, de la vérité de la foi chrétienne et des grands éléments de son message. Ce discours peut être conçu de manière extrêmement diverse. Ce n’est pas du tout forcément un effort de démonstration rationnel à partir de bases neutres comme beaucoup de gens l’imaginent.
C’est une forme que l’apologétique a prise dans l’histoire du christianisme mais on peut concevoir et il y a eu des apologies d’un type très différent qui mettent davantage l’accent sur l’expérience subjective, qui font jouer des ressorts plus proches de l’esthétique par exemple…1
Question à John Lennox (professeur à Oxford)
Dans vos rencontres avec les non-croyants, quels sont les sujets qui reviennent le plus ?
Le premier, développé par exemple par les nouveaux athées comme Michel Onfray, consiste à dire que la religion est dangereuse. La preuve, selon eux, est le 11 septembre 2001. Ces philosophes affirment qu’il faut se débarrasser des religions. Ma réponse consiste à leur dire qu’ils ont raison jusqu’à un certain point.
Certaines religions sont effectivement dangereuses, mais il ne faut pas tout mettre dans le même sac. En effet Jésus a interdit l’usage de la violence à ceux qui s’opposaient à son règne. Sur le point de la violence, le nouvel athéisme est donc dans l’erreur. D’ailleurs ils n’apprécient pas que nous les mettions dans le même groupe que Mao Zedong, Staline, Pol Pot qui ont massacré des millions de personnes. Ils veulent que nous fassions des nuances entre les athées, alors il faudrait qu’ils soient honnêtes et reconnaissent aussi qu’il y a des différences entre les religions.
Le deuxième sujet que j’aborde le plus fréquemment avec les non-croyants est le débat « science et foi ». La science, selon ces détracteurs, aurait balayé Dieu dans nos sociétés contemporaines et la foi en Dieu n’aurait plus de sens. Evidemment je regarde cela comme une erreur.
En fait, la science s’est développée dans une perspective chrétienne notamment aux XVIe et XVIIe. Toutes les grandes figures scientifiques de cette époque étaient chrétiennes. Elles ont accompli leurs travaux scientifiques parce qu’elles croyaient que Dieu a créé un monde ordonné… Mais il y aurait aussi de très nombreuses raisons à développer…2
Questions à Raphaël Anzenberger (France-Évangélisation)
De ton côté, quelles sont les grandes objections à la foi que tu entends ?
Le problème de la souffrance, de l’injustice et du mal revient invariablement en tête des questions que les gens se posent. Bien souvent, ce n’est pas forcément un désaveu de l’existence de Dieu, mais une réelle interrogation, surtout quant à l’étendue du mal (pourquoi tant d’injustices?}. Signe d’une société qui vit dans la crainte et le retrait. « La peur est la passion démocratique des Français » disait Ferry. Ce syndrome ne fait qu’accentuer le sentiment que le mal est partout, et surtout contre nous.
La deuxième question généralement porte sur l’existence de Dieu : comment peut-on la prouver ? C’est une question qui émane souvent de scientistes, ceux qui prennent la science expérimentale comme seule démarche intellectuelle valable pour énoncer des choses vraies.
Ce que je remarque, c’est que bien souvent le noeud du problème ne se situe pas au niveau des faits (est-ce que l’existence d’un Dieu créateur est crédible par exemple). Le vrai problème se situe au niveau de la volonté, à savoir que si un Dieu créateur existe, il voudra me parler, et peut-être changer ma vie. Là, je ne suis plus, et je me cache derrière mon scientisme pour couper court à la discussion.
La troisième objection est un désaveu du passé religieux. La religion chrétienne ne part pas ex-aequo avec les autres religions, elle traîne un lourd passé d’obscurantisme (guerres de religions, croisades), et de décrédibilisation (scandales liés à l’Eglise et au clergé).
Comment vois-tu l’apologétique aujourd’hui ?
Pour moi, l’apologétique de nos jours, c’est avant tout un exercice d’écoute spirituelle. Je pars du principe que Dieu a commencé à travailler dans le coeur de la personne, bien avant que je n’arrive sur la scène (Rm 1.18). Mon rôle alors, est de lui apprendre à prêter attention à la voix de Dieu. Mon objectif est d’opérer une taille franche dans les buissons de son doute, afin qu’elle puisse entendre l’appel qui vient de la Croix (citation de Ravi Zacharias).
D’un point de vue pratique, par un jeu de question-réponse (exercice dialectique), je travaille sur les images que les gens ont de Dieu. Toute objection morale est d’abord une objection sur le caractère de Dieu, cristallisée autour d’une image (exemple : Dieu le Père est assis sur un nuage, avec sa grande barbe, il est incapable de s’occuper de nous parce qu’il est trop vieux).
La différence avec l’apologétique des années précédentes, c’est la prépondérance du relationnel. Comme disait Guillebaud, « la foi ne s’impose pas d’elle-même quand on a terminé l’inventaire des raisons de croire ou de ne pas croire. L’amour, et lui seul, nous dispose à la vraie connaissance ».
La seule façon que les non-croyants aient de s’ouvrir pleinement à cette connaissance et de soumettre entièrement leur volonté à celle de Dieu (Rm 12.1), c’est qu’ils soient convaincus dans leur âme et pensée que Dieu les aime d’un amour inconditionnel. Pour dire « oui » à une relation pleine avec Dieu, il faut qu’il y ait révélation personnelle, tant au niveau relationnel (au travers d’une rencontre avec le Verbe incarné) qu’au niveau propositionnel (au travers d’une rencontre avec le verbe de la Parole de Dieu). C’est dans cette certitude relationnelle que le pas de la conversion s’opère.
Propos recueillis par Reynald Kozycki
NOTES
1. La suite de l’interview paraîtra dans un futur numéro consacré à l’athéisme et l’apologétique.
2. Un prochain numéro développera aussi l’argumentation remarquable de John Lennox lors de son débat historique avec Richard DAWKINS le 4 oct. 2007.