Quand le ciel est silencieux ?
Psaume 88 ; Romains 8.18-39
Par François-Jean Martin
Vous qui triomphez, vous qui allez de victoire en victoire, vous qui vivez dans la joie de la louange, cet article n’est pas pour vous.
Ce texte est pour ceux qui souffrent, qui broient du noir, qui s’enfoncent dans la boue sans pouvoir s’échapper, qui s’épuisent à crier, dont le gosier se dessèche au point de ne plus pouvoir dire, ceux qui ne disent plus aux autres de peur d’entendre les habituels versets qui sonnent creux ou culpabilisent ou les recommandations toutes faites voire les accusations liées à la théologie de la prospérité.
Il est pour ceux qui ont soif de justice, pour ceux qui depuis des années n’obtiennent pas de réponse, il est pour ceux qui ont baissé les bras et qui ne prient plus. Il est pour ceux qui se sentent abandonnés et délaissés, pour qui Dieu semble aux abonnés absents, pour qui Dieu est caché. Il est pour ceux qui sont humains, incarnés et non des esprits éthérés. Il est pour ceux qui lisent leur Bible y compris les nombreux psaumes de lamentation, de plainte, de protestation voire d’imprécation presque aussi nombreux que les psaumes de louange et de reconnaissance.
Cette expérience de l’humanité apparaît comme une longue traversée du désert, un Sahara du coeur, une nuit noire de l’âme, quand le sens habituel de la grâce : la prière, l’adoration, la louange, la Parole de Dieu, … n’exercent plus aucun effet sur notre esprit.1
C’est une expérience inévitable et même légitime pour le croyant. A travers les temps, de nombreux croyants ont emprunté cette sombre route avant nous, Job, Elie, Esaïe, Jérémie, David et même Jésus, Ils ont tous crié, d’une façon ou d’une autre : « Mon Dieu, mon Dieu (pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Dans la longue liste de la nuée de témoins, ceux dont on dit que le monde n’en était pas digne, ce sont tous ceux qui, à vue humaine, ont échoué sans victoire (Hé 11.36-39).
Dans l’histoire de l’Eglise, de nombreux grands serviteurs du Seigneur ont connu cela, certains, tout en ayant un ministère béni, ont en même temps vécu dans la dépression, l’abattement et cela tout le long de leur vie. Hélas, on ne parle jamais de cela dans les nombreuses biographies qui leur sont consacrées et dont de nombreux chrétiens se nourrissent, se culpabilisant de ne jamais pouvoir vivre de telles vies qui vont de victoire en victoire, de gloire en gloire. Face à la victoire en chantant, eux connaissent les défaites en pleurant !2
Ronald Dunn a écrit3 : « II y a quelques années, j’étais assis dans une chambre d’hôtel avec quatre hommes que je considérais comme les personnes les plus pieuses que je connaisse… nous avons pris une pause et chacun s’est détendu et a pu parler ‘officieusement’. Dans un accès d’honnêteté soudain, les quatre hommes présents ont tous confessé qu’ils traversaient, à ce moment de leur vie, des ténèbres spirituelles. L’un d’eux a même reconnu qu’il n’avait pas ‘ressenti la présence de Dieu depuis six mois’. D’autres ont évoqué leur inaptitude à prier et leur manque de confiance en ce qu’ils accomplissaient.
Ils continuaient, sûr, à prêcher le dimanche, à visiter les malades, à témoigner aux perdus, à faire tout ce qu’on attendait d’eux en tant que pasteurs. Mais ils le faisaient sans ressentir la présence de Dieu. La situation était si grave pour l’un d’entre eux qu’il en était même arrivé à douter de son salut. » Ce constat, disait-il, était difficile à faire, même pour lui-même, puisqu’il venait d’écrire un ouvrage à grand succès sur la vie chrétienne. En un mot, tous ces hommes avançaient dans les ténèbres. « C’était une bonne nouvelle pour moi parce que je pensais jusque-là être le seul à éprouver ces sentiments ».
Certains refusent d’entendre cela. Je me souviens qu’après avoir reconnu devant mon Eglise dans un moment de victoire que j’allais mal spirituellement, une sœur est venue me voir après le culte pour me reprocher mes paroles et me dire qu’elle ne voulait pas le savoir. Pour elle, son pasteur se devait d’être victorieux surtout quand les circonstances le prouvaient. En ces jours, mes frères et mes collègues ont été absents ou désemparés par ma souffrance ou pire, accusateurs parlant de manque de foi ou de péché caché. On peut avoir un ministère qui paraît béni au niveau local, national et international et se sentir vide, désemparé, abandonné par Dieu.
Ce constat que tout chrétien honnête a pu faire, fait ou fera, comment en sortir ? Si vous attendez des recettes miracles ne poursuivez pas la lecture ; je n’en connais pas ! Je veux juste partager avec vous mes tâtonnements, mes petits pas, mes mini-rais de lumière. Une seule chose m’a maintenu, c’est ma foi en la souveraineté de Dieu sur ma vie et en l’oeuvre du Christ sur la croix (Jr 23.23). Tout le reste a vacillé ou s’est écroulé.
Il y a eu des périodes où j’ai lu ma Bible sans comprendre, où je n’ai plus lu que des psaumes et où même les psaumes m’ont paru artificiels, une oeuvre littéraire, de la poésie, où même je n’ai plus lu. Il y a eu des périodes où je n’ai plus prié que les prières des autres trouvées dans des livres ou dans la Bible, où les mots n’ont plus eu de place, plus de sens, où les mots ne se sont plus exprimés, où les pleurs et les soupirs les ont remplacés, où ces derniers se sont taris où je n’ai plus prié. Le ciel était fermé pour mol et Dieu ne m’écoutait plus !4
J’ai eu besoin d’apprendre à quitter le Tombeau des Regrets, le Cimetière des Déceptions, sur moi tout d’abord, sur mes proches ensuite, sur mes frères et soeurs, sur mes amis, sur les êtres humains en général et même sur ma conception de Dieu. Et en toutes ces choses apprendre à vivre le deuil. La route des souvenirs se charge de ressusciter tous les rêves morts, toutes les peines et toutes les trahisons. La mémoire n’éprouve aucune pitié. Nous avons besoin d’être guéris de nos souvenirs.
Il faut parler tant qu’on le peut mais il faut trouver la bonne oreille : celle d’un pasteur qui est prêt à vous écouter et parfois à ne faire que cela. Les amis de Job ont été des amis tant qu’ils se sont tus. Il est nécessaire de trouver l’aide d’un spécialiste, d’un conseiller conjugal, d’un psychologue, d’un psychiatre.
Quand nos mots ne viennent plus, les écrits existent, et quand ces derniers pâlissent ou s’arrêtent, les soupirs sont possibles. A la fin, il ne reste que Dieu ! … Et je dois accepter à un moment de rendre les armes et de faire le deuil de mon exigence de compréhension et de justice, de renoncer à certains de mes rêves et d’accepter que Dieu reste souverain. Un des mots en hébreu pour le désert signifie « là où la parole n’existe pas », or c’est justement là que Dieu parle et parfois, comme dit le texte, dans le son doux et subtil d’un silence (1R 19.12).
C’est le combat contre l’ange de l’Eternel. Un combat tout le long de la nuit, c’est un combat qui laisse des traces, c’est un combat contre le désir de mort. Tout en moi refuse cela. Toutes les fibres de mon corps réclament une explication, une solution, une sortie du tunnel. Mais il n’y a qu’une sortie, celle de la reconnaissance de la souveraineté de Dieu sur moi et ma vie. Et, par là-même, la reconnaissance que Dieu m’aime malgré tout ! C’est la découverte de Job, si facile à dire et si dure à vivre.
Ne vous y trompez pas, le combat a duré pendant des années pour moi, j’en garde des boitements et il m’arrive de le reprendre régulièrement. Tout ceci peut paraître peu enthousiasmant voire défaitiste ; mais là, dans la foi en la souveraineté de Dieu et en la réalité de son amour que je ne comprends pas, repose la réalité de Sa grâce pleine et suffisante. C’est là que résident les forces pour continuer à vivre, à servir et s’attendre à lui contre toute espérance. Et en mon cœur résonne encore ce cri d’un père à Jésus : « Je crois ! Viens au secours de mon incrédulité ! ».
F-J.M.
NOTES
1. « Quand le ciel est silencieux » Sous-titre : Dieu est-il indifférent à nos souffrances ? Ronald DUNN, Editions Farel, 1998, préface d’Alfred KUEN. Ce livre m’a été d’un grand réconfort dans ma nuit noire de l’âme.
2. « Je suspecte beaucoup de chrétiens estivaux de dissimuler en réalité l’hiver de leur cœur. Ils nient la réalité et appellent leur attitude foi. Jamais ils n’admettront leur état, de crainte d’être bannis de l’Assemblée des Surexcités », R, DUNN, ibid p. 135
3. R. DUNN, ibid p. 129
4. Psaumes 13.1 ; 42.3-4, 6, 10.