Délégué du personnel et chrétien
Interview de Jean Eyraud –
Ancien dans une Eglise CAEF en région parisienne
Propos recueillis par Reynald Kozycki
Quelle est ton activité professionnelle, et quelles ont été tes implications dans le monde du syndicalisme ?
Je suis technicien en électronique au service après-vente d’une entreprise. Ce S.A.V. fait d’ailleurs partie des leaders dans le service et la vente au niveau national. Cela fait presque 20 ans que je suis dans la même entreprise. J’ai gravi tous les échelons.
Ayant eu l’estime et la confiance d’une bonne partie de mes collègues de travail, un délégué syndical a pris contact avec moi et m’a proposé de me présenter en tant que « délégué du personnel ». J’ai tout d’abord refusé, puis, après avoir réfléchi et prié, il m’a semblé qu’un chrétien pouvait avoir un rôle positif à jouer dans cette sphère ; j’ai donc accepté.
J’ai accompli cette fonction pendant un peu plus de 4 ans dans les circonstances difficiles du passage aux 35 heures avec modulation du temps de travail, période qui a été suivie d’une grande restructuration interne.
Ces 4 années ont été très enrichissantes. Il est clair que c’est un investissement de temps et d’énergie. C’est pourquoi, pour des questions de priorités, j’ai refusé de renouveler mon mandat, ressentant l’appel du Seigneur à devenir plutôt ancien dans mon Eglise locale, où il y avait un besoin dans ce domaine.
Quelles sont pour toi les raisons principales qui font du syndicalisme une nécessité pour le monde actuel du travail ?
En fait le syndicalisme contrebalance le pouvoir des dirigeants. Il permet l’équilibre des forces en présence et met des limites au pouvoir de manière à ce qu’il soit constructif et non néfaste.
Il m’est arrivé par exemple, à plusieurs reprises, d’informer ma direction des inquiétudes des salariés suite à une option choisie par cette direction. Il y avait, à mon sens, un risque inévitable de blocage, voire de grève ! Le signal ayant été pris au sérieux, nous avons pu ainsi éviter le pire.
La France a la réputation d’avoir des syndicats quelquefois trop « durs ». Qu’en penses-tu ?
Au sein même du syndicalisme, en tant que chrétien, on se rend assez vite compte des limites de ce système, même si celui-ci est nécessaire en soi. Il peut devenir, tellement il est prenant parfois, un objectif de vie, occupant progressivement toute la place. Avec le temps on découvre qu’au centre il y a souvent la promotion d’un homme, d’une philosophie humaine entachée d’imperfections.
Chaque famille syndicale a ses particularités, et peu à peu, on s’aperçoit qu’il existe des rivalités, de la jalousie, et la volonté de réussir là où les autres ont échoué afin d’apparaître aux yeux des salariés comme les plus efficaces, donc les meilleurs. On peut facilement se laisser entraîner par cela.
Comme chrétien, il faut veiller à rester en dehors de ces manigances. Le juste équilibre est à rechercher quotidiennement et n’est pas facile à obtenir. J’ai souvent formulé cette prière : « Seigneur aide-moi à rester vrai, juste, et à ne pas me laisser aller à des rivalités partisanes, oubliant l’objectif premier qui est de défendre les droits du salarié dans l’entreprise. »
En tant que chrétien, vois-tu des liens entre le syndicalisme et la foi chrétienne ?
J’ai observé que l’écoute attentive est un élément capital dans la relation syndicale. Certains problèmes se résolvent même tout seuls dans cette attitude… Cette écoute doit être de la même qualité, quel que soit le salarié qui est en face de nous, d’où la notion d’être juste dans notre manière de faire valoir les droits de chacun et chacune. Le faible a besoin d’être assisté, représenté et revalorisé. C’est souvent un travail caché. Il remet chacun à sa juste place au sein de l’entreprise. L’estime de l’autre est aussi une valeur biblique, je citerai aussi le respect de la hiérarchie, apprendre à communiquer les uns avec les autres, rappeler que si nous avons des droits nous avons aussi des devoirs ! Le rôle du délégué du personnel est d’être une interface entre la direction et les salariés et de développer le dialogue et le respect.
Je suis convaincu qu’un chrétien peut avoir sa place dans cette sphère. La fonction n’est pas facile, mais si Dieu nous y appelle, il faut y aller, en lui demandant chaque jour sa sagesse, et son inspiration dans nos actions. « Nous sommes le sel de la terre… » (Lc 14.34).