L’homme, « chef » de la femme ?
par Jean-Pierre BORY
Paul écrit en 1 Co 11.3 avec une certaine fermeté (et le répète presque mot à mot en Ep 5.23-24) : « Je veux que vous sachiez que de tout homme, la tête (kephalè) c’est Christ, la tête de la femme c’est l’homme, la tête de Christ c’est Dieu ». Le triple usage de ce mot kephalè dans trois expressions parallèles d’une même phrase oblige à lui donner un sens proche, voire identique dans chaque cas. Certains auteurs ont voulu atténuer ce qui apparaît ici comme une suprématie masculine sur la femme ; ils y ont vu une influence culturelle qui aurait marqué la conception de l’auteur ; ils rapprochent le début du v. 3 du v. 8 (de 1 Co 11) en relevant qu’Adam est plutôt la « source » de la femme (créée après l’homme, et à partir d’une côte de l’homme selon Gn 2.21-23).
Cependant, il est difficile d’enlever au mot kephalè un sens de primauté, de prééminence dans les deux expressions suivantes de 1 Co 11.3 : l’homme n’est pas l’égal de Christ, fut-il croyant et enfant de Dieu ; et le Christ reconnaît la prééminence du Père par rapport à lui-même en tant que personne, même s’il y a identité d’essence entre le Père et le Fils : « Tu m’as envoyé » (Jn 17.21), Jésus « a appris l’obéissance bien qu’il fût Fils » (Hé 5.8). Dans ce dernier verset on a pensé que ce n’était que dans sa nature humaine que Jésus avait souffert et s’était soumis ; toutefois d’autres textes suggèrent que ce respect du Fils par rapport à la volonté du Père précède de loin le temps de l’incarnation : Jn 3.16 ; 5.19-30 ; 8.28 ; Ep 1.4-14 ; Dieu est celui qui a conçu le dessein du salut par l’envoi du Fils.
Par ailleurs, dans le Nouveau Testament, le mot kephalè n’a jamais le sens de source : hormis son emploi en 1 Co 11.8, on le trouve dans 74 autres textes : 58 fois avec le sens de tête, 11 fois de façon imagée il désigne le chef de l’armée, la tête de l’armée, et 5 fois encore il signale qu’une chose est principale : par exemple en Luc 20.17, « la pierre principale de l’angle ». Il serait surprenant que kephalè ait une seule fois le sens de source dans 1 Co 11.8, sans idée de primauté, de prééminence.
Comment comprendre alors cette primauté de l’homme sur la femme ? La Bible met en évidence que les trois personnes de la trinité se présentent dans un « ordre », et non sur le même rang. Nous voyons le Père prendre des initiatives « avant la fondation du monde » (Ep 1.3-4). Le Père et Le Fils sont associés dans l’envoi du Saint-Esprit (Jn 14.26). Et même dans la gloire retrouvée, « le Fils lui-même se placera sous l’autorité de celui qui lui a tout soumis » (1 Co 15.28).
On ne peut que reconnaître un ordre dans la trinité : le Père, puis le Fils, puis le Saint-Esprit, tout en affirmant la pleine égalité de ces trois personnes, en essence, en puissance, en divinité, en gloire : le Fils et le Père sont unis intrinsèquement : le Père est en moi et je suis dans le Père (Jn 10.38; 14.11) ; tout ce que le Père a est à moi (Jn 16.15). La trinité reste un mystère pour nous : à nos yeux, prééminence du Père et unité d’essence du Père et du Fils semblent faire paradoxe, pourtant les textes bibliques affirment ces deux vérités.
L’analogie faite par l’apôtre Paul à plusieurs reprises entre la relation qui existe à l’intérieur du couple humain avec celle qui l’est dans la trinité, aide à saisir les nuances difficiles à exprimer dans nos mots lorsque nous voulons décrire cette relation : Paul affirme dans le couple homme-femme (comme dans la trinité) une unité de nature, une égalité de valeur et un ordre des personnes.
C’est à l’homme de prendre certaines initiatives en tant que «tête» du couple, mais il se doit aussi d’imiter le Christ, « tête de l’Eglise » qui a aimé l’Eglise et a donné sa vie pour elle, qui s’est fait serviteur lui-même des disciples dont il était le maître, invitant les disciples à l’imiter. Devant Dieu, homme et femme sont également objets de son amour, ont également accès au salut et à sa communion (Ga 3.28), cependant Dieu confère à l’homme des responsabilités et une mission particulière vis-à-vis de son épouse, responsabilités qu’il ne peut toutefois accomplir en dominant mais en aimant et en servant.
J.-P.B.