Histoire des C.A.E.F.
Histoire des C.A.E.F. (2)
Au début du XIXe siècle, de petits groupes de croyants se formèrent spontanément à Genève en Suisse, à Dublin en Irlande, puis à Bristol dans le sud-ouest de l’Angleterre. Certains d’entre eux sont devenus plus tard des assemblées de frères ou des églises libres. C’est en 1817 que s’est ouvert dans la ville de Calvin le premier de ces groupes, et c’est à lui que nous nous intéresserons tout d’abord.
LE REVEIL EN SUISSE ROMANDE au début du XIXe siècle
Il commence… en France ! Car la ville de Genève est, en ce temps-là, française2par la bonne volonté de Napoléon 1er. On est au tout début du XIXe s. L’église protestante est majoritaire, elle est église d’Etat.
SITUATION SPIRITUELLES DES ÉGLISES PROTESTANTES
A GENEVE, au XVIIIe siècle, la faculté de théologie est malheureusement devenue unitarienne, arienne3 et rationaliste : D’Alembert, dans l’article « Genève » qu’il rédige pour L’Encyclopédie (1751), affirme que plusieurs pasteurs genevois ne croient plus à la divinité de Jésus-Christ.
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Un siècle plus tard, rien n’a changé. Voici ce qu’en dit J. Cart, pasteur de l’Eglise Libre et historien : « La Bible, – chose étrange ! – n’était point étudiée dans la faculté de théologie ; bien plus, le Nouveau Testament n’y paraissait même pas ! » Et citant Haldane, il ajoute ceci : « quant à la prédication, les doctrines et les exemples des philosophes païens, joints à la recommandation d’une morale très légère, le tout accompagné des ornements de l’art oratoire, en formaient les sujets généraux : le nom du Seigneur n’était que rarement et légèrement mentionné4 ».
Même Jean-Jacques Rousseau, que l’on ne peut suspecter d’à priori évangélique, avait écrit à propos des chefs de l’église de Genève : « Ce sont de curieuses personnes que Messieurs vos pasteurs : on ne sait ce qu’ils croient, ni ce qu’ils ne croient pas. On ne sait même pas ce qu’ils font semblant de croire5 ».
Dans le PAYS DE VAUD, au début du XIXe siècle, l’Eglise Réformée, très proche de celle de Genève, n’est guère mieux lotie comme en témoigne encore le professeur lausannois Monnard, auteur d’une Histoire de la Confédération Suisse : « La réformation de 1536 s’était emparée du pays de Vaud tout entier. Elle avait fait de notre peuple un peuple protestant par ses doctrines religieuses, par ses formes d’église et par sa profession extérieure. Nous ne disons pas que la réformation en avait fait un peuple chrétien dans le sens étroit de ce mot…
On naissait et on grandissait tout ensemble dans l’église et dans l’Etat ; l’acte de baptême servait d’inscription dans le registre civil… On portait le titre de chrétien comme celui de citoyen6. »
Toutefois, les sociétés bibliques font de gros efforts en ce début de XIXe siècle pour distribuer la Bible dans chaque foyer. Une traduction révisée de la Bible d’Ostervald paraît en 1822, exempte des apocryphes, mais malheureusement peu fidèle à l’original. Toutefois, cette diffusion de la Bible est le « germe du réveil7 ». Une Anglaise, Mademoiselle GREAVES, fait imprimer à ses frais des traités chrétiens (en 1815), organise des réunions régulières chez elle ou chez des amis où l’on priait et l’on étudiait la Bible. Le professeur Levade, fondateur d’une « Société de Bible » à Lausanne, y participe et y enseigne. On appelle ces petites réunions des « conventicules ».
LA SOCIETE DES AMIS
A GENEVE, entre 1802 et 1812, des étudiants de la faculté de théologie entrent en contact avec une petite communauté morave de la ville, et se mettent, avec quelques-uns de ses membres, à étudier la Bible. Un petit groupe (« La société des amis ») se forme sous l’égide du pasteur Ami BOST.
En 1813, la baronne de Krudener, qui s’était convertie au contact des Frères Moraves, visite la petite assemblée morave genevoise (née presqu’un siècle auparavant lors d’un séjour du comte de Zinzendorf à Genève) ; son témoignage impressionne fortement l’un des étudiants en théologie, Henri EMPEYTAZ. Ce dernier anime bientôt dans son appartement des réunions d’édification chrétienne, mais il est convoqué par une commission du consistoire et se voit refuser la consécration pastorale. Il termine sa formation théologique à Francfort d’où il envoie aux étudiants de Genève un traité intitulé « Considérations sur la divinité de Jésus-Christ » qui fait grand bruit. Mais Empeytaz revient bientôt à Genève.
Des traités bibliques circulent. En 1817, le pasteur César MALAN en fait publier un, intitulé « Les deux agneaux ». Par ailleurs, ses prédications ne laissent pas le public indifférent.
D’autres étudiants sont menacés d’être renvoyés de la faculté s’ils persévèrent dans les nouvelles idées, tandis que plusieurs pasteurs sont privés de temple pour avoir prêché sur la divinité de Jésus-Christ et le salut gratuit. La société des amis sera officiellement dissoute en 1819 sur décision de la « Compagnie des Pasteurs » de plus en plus hostile aux nouvelles idées jugées subversives (cette autorité dirigeait à la fois les églises et la faculté de théologie).
Et c’est au milieu de ce bouillonnement spirituel, en janvier 1817, qu’un Ecossais, Robert HALDANE arrive à Genève.
ROBERT HALDANE
Vers 1790, deux frères, héritiers d’une riche famille écossaise, Robert et James HALDANE, officiers de la marine royale britannique, se convertissent. Ils retournent en Ecosse pour y témoigner dans leur Eglise très assoupie sur le plan spirituel. Avec quelques amis, ils se mettent à prêcher l’Evangile et seront les véritables fondateurs des dénominations congrégationalistes et baptistes en Ecosse8.
Robert Haldane voyage pour faire connaître la Bible et arrive à Genève au début de l’année 1817, à point pour encourager ce groupe d’étudiants en théologie qui s’interrogent sur la foi. Il organise alors pour eux, de janvier à mai, dans une chambre d’hôtel, une étude suivie de l’épître aux Romains.
Parmi eux se trouvent Ami BOST l’historien, Emile GUERS, Merle d’AUBIGNÉ, Louis GAUSSEN9 et plus tard Frédéric MONOD (le futur chef de file des évangéliques de Paris) et Henri PYT. Tous deviennent par la suite des pasteurs et des hommes de réveil en France et en Suisse. César MALAN se joint au petit groupe ainsi que Henri Empeytaz de retour d’Allemagne. Félix NEFF était sergent dans la milice genevoise, et méprisait profondément les partisans des « nouvelles idées » de plus en plus souvent malmenés par leurs concitoyens. Un jour, plantant son sabre dans la terre d’un talus, il s’écrie : « Comme j’enfonce mon sabre dans cette herbe, je l’enfoncerai dans le ventre du premier qui ira au secours de ces gredins ! » Un mois après, il est du nombre de ces « gredins10 » ! et s’intègre au petit groupe d’étudiants de la Bible.
LA PREMIERE ASSEMBLÉE DISSIDENTE
A Genève, au début de l’année 1817, César MALAN prêche sur le salut par la grâce divine dans plusieurs temples de la campagne genevoise. Le 15 mars, il prononce en ville même un sermon intitulé « Le salut par la foi en Jésus-Christ » qui a un retentissement considérable. Le grand temple de la Madeleine est trop petit pour l’auditoire qui s’y presse ! Mais les autorités ecclésiastiques ne sont pas ouvertes au message de Malan ; il est prié de changer de doctrine ou de cesser de prêcher. Il ne fait ni l’un ni l’autre !
La vénérable Compagnie des Pasteurs s’inquiète de plus en plus et publie le 3 mai 1817 un règlement qui interdit de prêcher sur la divinité de Jésus-Christ, le péché originel, la grâce et le salut, ainsi que sur la prédestination. Plusieurs pasteurs sont privés de temple pour avoir parié sur ces thèmes. Après le départ d’Haldane, le groupe continue de se réunir dans la maison d’un autre Anglais, Henri Drummond11.
Sans temple et sans pasteur, le petit groupe est un peu désemparé et décide de constituer une association provisoire de vrais croyants (le 17 mai 1817), puis crée, le 23 août, une nouvelle église, qu’il veut « fondée sur la Parole de Dieu12 ».
Ses membres prennent ensemble la cène pour la première fois le 21 septembre 191713. Le groupe, qui se développe au fil des années, subit bien des pressions, et se réunit dans divers locaux de la ville14 avant de s’installer dès 1839 dans la chapelle de la Pélisserie qu’elle fait construire et où l’assemblée se trouve encore aujourd’hui.
Ainsi naquit la première Eglise dissidente (C’est ainsi que l’on appelle ces communautés qui se créent en ce début de siècle en dehors de l’Eglise officielle en Suisse romande).
Pour ses fondateurs, une église « chrétienne » ne peut admettre pour membres que des « chrétiens » : « la foi en Christ suffit toute seule pour faire le chrétien, mais il n’y a de vraie foi que celle qui est accompagnée de la renaissance du coeur par le Saint-Esprit15 ». Et comme le dit Ami BOST dans ses Mémoires, « l’église dissidente du Bourg-de-Four adopta un système pondérateur entre le calvinisme rigide des Anglais et l’esprit morave16 » (en d’autres termes, on insistait sur la grâce divine souveraine et suffisante de Dieu reçue par la foi, en même temps que sur une vie de piété personnelle sincère).
LES CONVENTICULES
La très dure réaction des principaux pasteurs de Genève contre la nouvelle communauté qui se réunit alors à l’Ecu de France, provoqua une vive réponse de la part du pasteur Curtat de Lausanne (celui qui avait déjà favorisé l’édition de traités bibliques). De part et d’autre, la querelle théologique grandit jusqu’à une rupture temporaire entre les clergés genevois et vaudois.
Dès 1810 déjà, dans le canton de Vaud, encouragés par le doyen Curtat, les étudiants de la faculté de théologie de Lausanne avaient redécouvert la théologie de Calvin. Progressant dans leur lecture de l’Ecriture, ces étudiants, devenus pasteurs, prêchent à leur tour dans leur paroisse la repentance et la conversion à Jésus-Christ.
J. Cart relève aussi l’influence déterminante d’Ami BOST, Henri PYT et Félix NEFF dans le pays de Vaud : tous trois chassés de Genève, ils apportent dans les campagnes vaudoises le vigoureux message évangélique. Félix Neff visite systématiquement les cures et exhorte les pasteurs ! Il est à l’origine de plusieurs nouvelles églises dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel.
Mais ce message dérange. Les paroissiens, les villageois réagissent violemment, ce qui émeut les autorités. Il y a quelques troubles, des vitres cassées, des locaux saccagés… Le Conseil d’Etat s’en mêle et démet plusieurs pasteurs de leur fonction. Le pasteur Auguste ROCHAT donne lui-même sa démission et quitte sa paroisse pour s’installer à Rolle où il est à l’origine d’une communauté dissidente. Auguste Rochat apporte beaucoup aux assemblées dissidentes par sa connaissance théologique, sa piété et son autorité spirituelle.
LES ASSEMBLÉES DISSIDENTES
Tant à Genève que dans le canton de Vaud, on retrouve l’Evangile, on se réunit pour l’étudier et prier, on forme de nouveaux « conventicules », de petites communautés, de type professant, qui sont les ancêtres de nos assemblées et des Eglises Libres ! Alexandre CHAVANNES, Henri JUVET, François OLIVIER furent rayés du rôle des pasteurs. Charles ROCHAT est à l’origine de l’Assemblée de Vevey, ouverte en 1824. Un autre pasteur, Marc FIVAZ, exclu lui aussi de l’Eglise officielle, cite l’existence de 15 assemblées dissidentes dans le canton de Vaud en 1824 déjà.
Ces assemblées insistent sur la direction collégiale de l’église, sur la capacité pour tout ancien de prêcher et de diriger un service de sainte cène ou de baptême et surtout sur l’autonomie locale des communautés.
Emile Guers fait ce commentaire : « Ce mode de gouvernement (le congrégationalisme) peut être béni s’il y règne un bon esprit ; si l’équilibre y est maintenu entre les exigences de l’ordre et les droits de la liberté. Mais si les Anciens y dominent au lieu de paître, ou s’il s’y forme une opposition à la tête de laquelle se placent des esprits étroits et passionnés, jaloux peut-être de l’autorité que la Parole accorde aux Anciens, alors le principe congrégationaliste ne peut avoir que de fâcheux résultats17 ».
Et c’est ce qui se produit bientôt hélas. Dans quelques assemblées, des hommes s’imposent d’eux-mêmes, exercent une autorité tyrannique, se déclarent « apôtres », prescrivant des règles de vie d’une excessive austérité. Cela va si loin que des délégations des autres communautés sont parfois contraintes d’intervenir (comme c’est le cas dans l’assemblée d’Yverdon en 1832).
Cependant des liens de solidarité très réels existent entre les premières Assemblées18 : « Leur indépendance mutuelle n’empêchait pas leur libre confédération pour tout ce qui contribue au bien de l’Evangile et à la gloire de Dieu. Un lien intime les liait pour l’oeuvre des missions19 ».
Ces assemblées dissidentes sont mises au ban de l’Eglise établie et de la société, et parfois persécutées. On surnomme leurs membres des « mômiers » (noms que l’on donne aux comédiens de foire). La plupart des pasteurs qui sont à l’origine de ces communautés dissidentes doivent s’exiler, certains après un temps plus au moins long en prison. Les jeunes églises sont ainsi privées de leurs enseignants, ce qui n’est pas sans conséquences lors de l’arrivée de Darby quelques années plus tard (sa première visite se situe en 1837) : presque personne n’est en mesure de mettre alors en question l’enseignement qu’il impose aux jeunes assemblées.
Entre 1840 et 1845, les jeunes églises, dans leur grande majorité, adoptent les vues de Darby, se referment sur elles-mêmes et rompent toutes relations avec les autres assemblées. « L’ancienne dissidence » (ainsi appelle-t-on désormais les premières communautés indépendantes nées entre 1817 et 1835) est très affaiblie.
LES EGLISES LIBRES
Les autorités des Eglises genevoises et vaudoises ne sont pas sensibles au message évangélique, mais bon nombre de paroissiens des Eglises officielles se joignent aux communautés dissidentes vers le milieu du siècle. Certains pasteurs de l’Eglise Nationale vaudoise s’émeuvent des traitements infligés aux « mômiers », aux dissidents, et écrivent des lettres de protestation au Conseil d’Etat de Lausanne, mais sans grand succès.
Pourtant, tout ce mouvement de dissidence, ces assemblées nouvelles qui se créent et manifestent une piété et une foi vivantes malgré les moqueries, le mépris et parfois les brimades dont elles sont victimes, finissent par faire réfléchir bon nombre de pasteurs vaudois.
En 1845, 153 pasteurs de l’Eglise Nationale donnent leur démission, ce qui amène, en 1847, la constitution de l’EGLISE LIBRE du canton de Vaud (une église qui conserve une théologie réformée, avec ministère pastoral reconnu, synode, statuts, confession de foi, mais résolument distincte de l’Etat, et de confession professante20). Plusieurs groupes dissidents rejoignent les Eglises Libres. Il ne reste en 1847 que deux, peut-être trois assemblées de l’ancienne dissidence.
Dans le canton de Neuchâtel, le premier groupe dissident est fondé par un certain MAGNIN, instituteur vaudois renvoyé de son poste à cause de sa foi nouvelle. Magnin est arrêté et banni du pays pour dix ans, ce qui n’empêche pas l’ouverture de plusieurs églises dissidentes. Mais celles de Neuchâtel conservent un ministère pastoral pour l’enseignement et la conduite de la communauté. Elles échappent totalement à l’influence de Darby dans les décennies suivantes en grande partie grâce à la fermeté théologique du pasteur Monsell qui dirige celle de la ville de Neuchâtel. Ces églises se constituent par la suite en Eglises Libres du canton de Neuchâtel et forment une union qui existe encore aujourd’hui21.
(à suivre)
J.-P.B.
NOTES
1. Initiales des Communautés et Assemblées Evangéliques de France.
2. De 1798 à 1813, Genève fut annexée à la France, comme chef-lieu du département du Léman.
3. L’unitarisme affirme que Dieu n’est qu’une seule personne, par conséquent nie la trinité. L’arianisme nie la divinité de Jésus-Christ.
4. J. Cart, Histoire du mouvement religieux et ecclésiastique dans le canton de Vaud pendant la première moitié du dix-neuvième siècle (Lausanne, 1870), Première partie, tome I, pp.137 et 141.
5. J.-J. Rousseau, « Lettres de la Montagne », cité par M. Luthi, L’évolution des ministères dans les Assemblées Evangéliques de Suisse Romande, p.27.
6. Cité par J. Cart, op.cit., pp.30-31.
7. J. Cart, op.cit., p.115.
8. H.H. Rowdon, The origins of The Brethren, p.ll.
9. Gaussen publiera Théopneustie, ouvrage systématique sur l’inspiration plénière des Ecritures.
10. J.Cart, op.cit., p.l6l.
11. The Principles of the open Brethren (sans nom d’auteur, édité par Pickering & Inglis à Glasgow, sd, mais semble dater de la seconde décennie de ce siècle.) pp.84ss.
12. Marc Luthi, op.cit.,p.36
13. cf Les 175 ans de l’Eglise de la Pélisserie et Paul Perret, Nos Eglises dissidentes, p.35ss.
14. Il s’installera à l’Ecu de France, à Rive, puis au Bourg-de-Four : pendant près de 20 ans, l’assemblée s’appela « Eglise du Bourg-de-Four » (G.Nicole et R.Cuendet, Darbysme et Assemblées dissidentes, p.ll).
15. J. Cart, op.cit., p.160.
16. J. Cart, op.cit., p.160.
17. Plus tard Guers préférera le système presbytérien et sera un des fondateurs des Eglises Libres
18. Marc Luthi, op.cit.,p.l07.
19. Guers cité par Marc Luthi, op.cit., p.44.
20. En 1966, l’Eglise nationale du Canton de Vaud, ayant reçu une certaine autonomie vis-à-vis de l’Etat, propose, à la place de sa confession de foi, cinq « principes » acceptables pour l’Eglise Libre. Cette dernière les accepte et rentre alors dans le sein de l’Eglise Réformée vaudoise. A Genève et Neuchâtel, les Eglises Libres subsistent jusqu’à aujourd’hui.
21. G. Nicole et R.Cuendet, Darbysme et Assemblées dissidentes, p.13-14.