Prière et tempérament1
Par marcel REUTENAUER
Parmi les nombreuses prières relatées dans la Bible, certaines expriment, selon les circonstances, la joie ou l’abattement, la souffrance ou le bonheur, la reconnaissance ou le besoin, … mais elles reflètent également le tempérament de celui qui prie. Quelle est la part de mon tempérament dans ma vie de prière ?
Les sentiments font partie intégrante de la prière. Mais, lorsque nous prions, l’influence les circonstances du moment est limitée dans le temps. Par contre, notre tempérament et notre personnalité ont une influence permanente et continuelle.2 Notre façon d’être dans la vie, notre caractère, va se retrouver dans la manière de prier et le contenu de notre prière.
Il en est ainsi parce que l’homme est formé d’un corps, d’une âme et d’un esprit inextricablement liés entre eux. Que le corps souffre, l’âme et l’esprit en sont affectés, que l’âme traîne des cicatrices du passé, notre vie spirituelle mais aussi notre santé physique vont en faire les frais. 3
S’il est vrai que notre état d’âme peut constituer un obstacle qui nous empêche d’entrer dans la prière, il est faux de prétendre que la foi doit transcender les réalités physiques et affectives. La prière jaillit d’abord dans la réalité du vécu ; elle peut ensuite évoluer, sous l’action du St-Esprit qui vient nous aider dans notre faiblesse… et… intercède en gémissant d’une manière inexprimable. 4
La prière selon les tempéraments
Dans son livre « Psychologie de la prière », Pablo Martinez expose en quoi le psychisme de chacun influe sur la vie de prière. Il retient la classification de Karl Gustav Jung5 pour analyser comment, dans la pratique, notre tempérament influence notre vie de prière. Ainsi on peut distinguer deux orientations de l’attitude des personnes : l’introversion ou l’extraversion.
La personne introvertie est plutôt timide, manque d’aisance et cherche peu les relations. Elle est plutôt tournée vers la méditation et a une vie intérieure intense. Elle se projette dans les rêves, les spéculations. Sa profondeur de sentiment et de pensée lui facilite l’approche des sujets se rapportant à l’âme.
La personne extravertie est très sociable, s’ouvre et s’adapte facilement à son milieu, se joint à l’ambiance. Elle s’intéresse aux gens et aux choses ce qui la rend attirante. Elle supporte difficilement la solitude. Son tempérament la porte à l’action et très peu à la méditation ; ses sentiments et ses pensées s’orientent spontanément vers l’extérieur. C’est pourquoi elle a du mal à maintenir une vie de prière régulière ; elle a de la peine à se recueillir et se concentrer.
L’attitude de chaque personne se conjugue avec quatre fonctions psychologiques : la pensée, le sentiment, la sensation et l’intuition. Elles permettent à l’individu de s’adapter au monde extérieur et à lui-même.
« Chaque être humain les possède toutes les quatre, mais à des degrés différents. En général l’une d’elles est plus importante ; c’est la fonction principale. Celle qui réagit avec le plus de spontanéité. Une autre, la seconde, lui sert de fonction auxiliaire. Les autres sont plus ou moins inconscientes … Dans la mesure où l’une d’elles se développe exagérément au détriment des autres, la personne est exposée à des troubles émotionnels.
Aussi l’idéal serait-il l’état de parlait équilibre entre elles ; mais on ne rencontre pas souvent une personne ayant une pensée, une intuition, une sensation et un sentiment également développés. Cependant, il est bon de savoir que nous pouvons stimuler le développement des fonctions les moins évoluées. Leur état n’est donc pas quelque chose de statique, d’irréversible. »6 La combinaison des quatre fonctions avec les deux attitudes donne donc huit possibilités différentes.
Quels sont les aspects caractéristiques de la vie de prière de chaque « type » ?
Le type « Pensée »
Pour lui, la prière est un processus pensant, analytique. Il s’approche de Dieu avec une mentalité rationnelle. L’important n’est pas de sentir Dieu mais plutôt le trésor d’idées nouvelles qui lui viennent quand il prie. Il utilise souvent un carnet pour noter les idées qui lui viennent à l’esprit. Il aura en général plus de difficulté à prier que les autres, car la prière implique une relation, l’expression de sentiments… La prière n’est pas pour lui un acte spontané… Le côté positif résidera dans sa remarquable capacité d’autocritique et de confession.
Il aime l’ordre. Avant de prier il préfère avoir une base objective… il s’inspire en général d’une lecture biblique. Il doit cependant combattre dans ce domaine afin de garder à sa méditation la dimen-sion de la piété. Sa tendance naturelle à tout intellectualiser le pousse involontairement à préparer un sermon ou à faire une exégèse du texte. Dans ses prières, il se préoccupe de la justice et de la vérité. Cette caractéristique en fait normalement un bon intercesseur. Plus qu’aucun autre, il doit trouver des stimulations adéquates pour l’aider à commencer à prier. Dans ce sens, les moments de prière en commun pourront lui être d’une grande aide. 7
Le type « Sentiment »
II approches ainsi la réalité : « Est-ce que j’aime ou est-ce que je n’aime pas ? » Sa vie de prière aura toutes les caractéristiques d’une relation affective, personnelle et chaleureuse… la bonté et la miséricorde du Seigneur seront pour lui les qualités les plus attrayantes… Son désir d’intimité avec Dieu est le trait dominant de sa vie de prière… Le fait de mettre de côté un temps pour prier, loin d’être un fardeau, est plutôt un plaisir… Le danger résidera dans un subjectivisme excessif . . .
il doit apprendre à explorer les dimensions plus objectives de la prière : l’intercession, la requête… 8
Le type « Intuition »
C’est un innovateur, un pionnier ; il lance des idées et des actions, sans être celui qui en assurera la réalisation. La personne de ce type est pour ainsi dire l’étincelle qui allume un feu, mais pas le bois qui lui permet de brûler… Il est attiré par l’inconnu, la nouveauté.
Un trait intéressant de l’intuitif est sa spiritualité spontanée… Dans sa vie de prière, c’est lui qui entre avec le plus de facilité dans la présence de Dieu… ses prières se rapprocheront beaucoup de l’idée mystique. L’intuitif peut imaginer avec une extraordinaire richesse ce que sera la vie au ciel ; par contre, il a plus de difficultés à prier pour les nécessités immédiates de son Eglise locale.
De tous les types, l’intuitif est le plus exposé aux dangers très présents à notre époque :
- un faux concept de la spiritualité. De la super-spiritualité on peut facilement tomber dans la pseudo-spiritualité.
- une pratique de la prière qui tient plus de l’ auto-expression personnelle que d’une relation avec le Dieu de la Bible
- une façon de se livrer aux mystères spirituels qui expose aux influences du malin
- l’abandon à une prière contemplative… L’ignorance ne nous met pas à l’abri d’une pratique beaucoup plus proche de la méditation transcendantale que de la méditation chrétienne. L’intuitif doit s’efforcer d’avoir les pieds sur terre… Il a besoin de cultiver la prière d’intercession pour des besoins concrets… Il doit centrer sa méditation sur la Parole de Dieu… et ne pas laisser errer son esprit dans l’infini cosmique.9
Le type « Sensation »
Pour lui, tout ce qu’il peut percevoir est important : les structures, les détails pratiques. Il se caractérise par une grande spontanéité… A cause de sa nature impulsive, il change fréquemment d’humeur. Il n’a pas de grandes difficultés à entrer en relation avec Dieu… ses prières sont spontanées. Une stimulation externe (paysage, coucher de soleil, …) le dispose facilement à la prière informelle …
Cependant, il ne lui est pas aussi facile de se mettre à prier de façon formelle, structurée… Il s’approche de Dieu avec une âme d’enfant. Il vit dans le présent. La solennité, les rituels et les formes du culte lui sont très importants… il aura donc beaucoup de facilité pour la prière en communauté… La prière à l’église lui sera nettement plus facile que la prière personnelle. 10
Conclusion
La prise de conscience de nos réalités psychologiques très diverses doit nous permettre de nous rendre compte de réalités importantes.
Nous devons accepter les autres
Notre histoire, notre vécu, ont une influence non négligeable sur notre façon de comprendre et de vivre la foi. En même temps, notre tendance humaine est de refuser les formes de conduites, les tempéraments qui ne sont pas comme les nôtres. Nous approchons l’autre avec des pensées de jugement. Nous devons comprendre que ces différences ne dépendent pas de la qualité de la foi, mais sont le fruit de nos tempéraments différents. Nous devons chercher à comprendre l’autre et nous respecter mutuellement. Aucune forme de spiritualité en relation avec le tempérament n’est supérieure à une autre. Personne n’a le monopole de la prière. 11
« La prière est la forme d’énergie la plus puissante que l’on puisse susciter » Alexis Carrel |
Nous devons nous accepter nous-mêmes
Chaque tempérament a ses qualités et ses défauts. Les faiblesses de notre tempérament doivent être contrôlées par l’action du Saint-Esprit… mais il serait insensé de s’attendre à un changement radical des traits généraux de notre personne. Le Seigneur peut nous utiliser chacun tels que nous sommes, avec nos qualités et nos défauts. Réconcilions-nous avec les limites que notre tempérament impose à notre vie de foi en général et à nos prières en particulier, sauf si ces limites deviennent péché.
Nous devons cultiver l’équilibre
Notre tempérament avec ses limites, ne doit pas excuser la passivité. Jésus, l’homme-modèle, présentait un équilibre parfait entre les quatre fonctions psychiques. Il est le seul être humain à avoir eu une harmonie parfaite entre les quatre fonctions. Le but qui nous est fixé étant de ressembler de plus en plus à Christ, nous ne devons pas nous résigner aux déséquilibres de notre tempérament.
Laissons-nous modeler par le divin Potier.
M.R.
NOTES
1. Cet article doit beaucoup à l’ouvrage « Psychologie de la prière », Pablo Martinez, Editions LLB, 1994, 127 pages.
2. Pablo Martinez, « Psychologie de la prière », p. 7
3. Ibid. p. 8.
4. Rm 8.26.
5. L’auteur émet toutefois des réserves sur la totalité de l’œuvre de K.G. Jung et se justifie : « On ne peut refuser la totalité d’une œuvre simplement parce qu’on ne partage pas certaines idées. »
6. Ibid, p. 13.
7. Ibid, p. 15-16
8. Ibid, p. 17-18.
9.Ibid, p. 18-22.
10. Ibid, p22.24
11. Ibid, p.25
12. Ibid, p26