Marie et Jésus devenu adulte
par Allan KITT
Dans toute famille, la nature et l’expression de la relation des enfants à leurs parents évoluent. En ce qui concerne sa relation avec sa mère, Jésus n’a pas fait exception à cette règle. Au début des évangiles, Marie est sur le devant de la scène. Son bébé dépend totalement d’elle, c’est auprès d’elle que Jésus a appris les gestes élémentaires de la vie. À l’âge de 12 ans, après être resté tout seul à Jérusalem, au grand désarroi de ses parents, il est reparti avec eux à Nazareth, et leur est resté soumis.
Les évangiles gardent le silence sur les 18 années suivantes, reprenant le récit au début du ministère public de Jésus, quand celui-ci avait environ 30 ans. À partir de là, Marie est peu mise en évidence, mais les quelques passages où elle apparaît nous font entrevoir l’évolution nécessaire de sa relation avec son fils.
Aux noces de Cana : Jean 2.1-12
Marie demande à Jésus – implicitement, il est vrai – d’intervenir en faveur du marié qui risquait le déshonneur si les noces devaient s’achever sans vin. S’attendait-elle au miracle ? Il n’y avait pas de précédent : Jean précise que ce miracle a été le premier. Quoi qu’il en soit, la requête implicite de Marie, « ils n’ont plus de vin », démontre qu’elle compte sur son fils pour faire quelque chose.
La réponse de Jésus à sa mère nous semble dure. Il n’y a cependant aucun manque de respect, aucune impolitesse, mais une certaine distance. Il est toujours son fils, mais elle ne peut plus le commander. Ce qu’il a déjà annoncé à ses parents, à l’âge de 12 ans – « Ne saviez-vous pas que je dois m’occuper des affaires de mon Père ? » – se précise.
Sa vie n a qu’un but : parvenir à ce qu’il appelle « son heure », c’est-à-dire la crucifixion et la résurrection. Rien ne va le détourner de la poursuite de ce but, il ne veut rien précipiter, et Marie doit accepter ce programme, au prix de grandes souffrances personnelles, comme Siméon le lui avait prophétisé (Lc 2.35).
Marie a certainement trouvé cela difficile sur le plan humain. Jusque-là Jésus a dû être constamment auprès d’elle. Elle avait appris à compter sur lui, d’autant plus si Joseph était mort et que Jésus subvenait aux besoins de la famille en travaillant de ses mains.1
Cela dit, l’ordre que Marie donne aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira » montre clairement qu’elle ne s’est pas laissée décourager par les propos de Jésus. Au contraire, elle nous donne un bel exemple de foi : elle se contente de savoir que le problème qu’elle a partagé avec lui est maintenant entre ses mains. Elle n’a plus besoin de s’en soucier.
A la maison : Marc 3.20-21,31-35
Jésus et ses disciples sont constamment sous pression. La foule de personnes cherchant à l’entendre les empêche même de manger. Certaines personnes de son entourage disaient même qu’il avait perdu la raison. C’est certainement dans de bonnes intentions que sa mère et ses frères sont alors venus le chercher : il fallait quand même qu’il se ménage, personne ne pouvait soutenir un tel rythme !
Quand Jésus apprend qu’ils sont là, il prononce ces paroles inoubliables : « Qui est ma mère, qui sont mes frères ?… Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère. » En disant cela, Jésus ne renie nullement les liens familiaux qui l’attachent à Marie. Mais il parle d’une autre famille, composée de tous ceux qui font la volonté de Dieu, ce qui implique avant tout la foi en Jésus (Jn 6.29).
Les familles peuvent être divisées. Les liens de sang ne durent pas toujours, et en tout cas la mort y met fin. Par contre, les liens qui unissent les membres de la famille de la foi sont destinés à durer pour l’éternité. Marie et les frères de Jésus feront aussi partie de cette famille-là – s’ils font la volonté de Dieu en mettant leur foi en lui, sans chercher à se prévaloir de liens uniquement charnels.
Jésus a exprimé la même pensée quand une admiratrice a crié : « Heureux le ventre qui t’a porté et les seins qui t’ont allaité2 ! » . Certes, Marie a été heureuse en étant la mère de Jésus. Pourtant, dans sa réponse, Jésus affirme qu’un bonheur encore plus grand est réservé à ceux qui écoutent et observent la parole de Dieu.
Sur la croix : Jean 19.25-27
Voici la preuve que Jésus n’a jamais oublié sa mère ou renié ses liens familiaux. Dans l’agonie de la croix il pense à elle et prend soin de son avenir terrestre : il la confie au disciple qu’il aimait, qui prendrait soin d’elle quand Jésus ne serait plus là. Pourquoi ce disciple plutôt que les frères de Jésus ?
Ceux-ci ne croyaient probablement pas encore en lui (Jn 7.5). Ils y viendraient au cours des semaines suivantes, mais ils n’étaient en tout cas pas près de Marie au moment de la mort de Jésus. C’est le disciple qui serait capable d’apporter à Marie la seule consolation réelle, celle qui est fondée sur la foi.
Après l’Ascension : Actes 1.13-14
Jésus est mort et ressuscité, il est remonté auprès de son Père, et voilà sa mère et ses frères enfin réunis dans la communauté de la foi, avec les autres disciples. Dans cette brève description de la vie des disciples entre l’Ascension et la Pentecôte, aucune parole n’est attribuée à Marie.
Elle ne jouit d’aucune préséance, d’aucune position privilégiée : elle est tout simplement là, avec les autres disciples, hommes et femmes, obéissant à l’ordre de son fils : « Ne vous éloignez pas de Jérusalem, attendez la promesse du Père » (Ac 1.4). Nous pourrions même dire que la boucle est bouclée. Dès le début, Marie n’a jamais réclamé pour elle-même d’autre titre que « servante du Seigneur » (Lc 1.38). D’ailleurs, pourrait-on imaginer de titre plus élevé que celui-là ?
Et maintenant, au moment où les écritures inspirées tirent le rideau sur son histoire, nous la trouvons qui s’engage au service de son fils et Seigneur, dans la prière avec les autres disciples. Et là, nous pouvons à juste titre l’appeler « bienheureuse » !
A.K.
NOTES
1. C’est ainsi que plusieurs interprètent le silence des évangiles au sujet de Joseph, qui n’apparaît plus en personne à partir de Luc 2.
2. Luc 11.27-28