La Bible de Sacy et la souveraineté de Dieu dans l’Histoire

 

 

Par François-Jean Martin

 

Louis XIV, par absolutisme royal et volonté d’unité politique et religieuse va supprimer la liberté de culte aux Protestants en révoquant en 1685 l’Édit de Nantes qu’avait signé Henri IV en 1598 et qui apportait la paix religieuse en France après les Guerres de Religion

 
 
 
 

LA PERSECUTION DES PROTESTANTS

 

Tous les moyens sont bons pour obtenir l’abjuration de ceux de la « Religion Prétendue Réformée ». La loi prive peu à peu les protestants de toute liberté civile, professionnelle ou religieuse. L’Édit de Nantes se vide de son contenu. Tout est prétexte à la démolition des temples et à des frustrations. Moyens répressifs : on enlève les enfants des réfractaires, les dragonnades imposent aux réformés le logement des troupes de soldats appelés « missionnaires bottés » qui, par la violence et la ruine, obtiennent des abjurations de masse.

 
En octobre 1685, l’Édit de Fontainebleau révoque l’Édit de Nantes, interdit le culte protestant et précise les mesures qui préviendront tout retour à l’ancienne doctrine : les temples sont rasés, les pasteurs envoyés en exil, les frontières sont fermées au vu de l’hémorragie démographique et économique que la répression a suscitée, les enfants doivent obligatoirement être enseignés dans la religion du roi…
 
Nombreux seront ceux qui, attachés à leur foi, et n’étant pas partis en exil dans les pays du « Refuge » (Suisse, Allemagne, Hollande, Angleterre, …), se réuniront « au Désert », à l’abri des regards, dans des endroits cachés, pour célébrer le culte interdit, organisant une « église de l’ombre », clandestine, pendant plus d’un siècle en risquant la mort, les galères ou la prison à vie. Les Cévennes vont être le théâtre de la Guerre des Camisards. Révolte armée pour tenter de retrouver la liberté de culte, elle opposera quelque 3.000 protestants, les Camisards, à environ 30.000 soldats, de 1702 à 1704, sans réussir à fléchir l’intolérance et la répression. Il faudra attendre la Révolution Française (1789) pour que soient proclamés la liberté de conscience et le libre exercice du culte.
 
 
 

LA BIBLE DE SACY

Isaac Louis Lemaistre, plus connu sous le nom de de Sacy, naquit à Paris en 1613. Il était d’origine huguenote. Son père, Isaac Lemaistre, gagné à la religion réformée en 1616, dut subir, comme hérétique, les persécutions acharnées de sa famille. Celle-ci, à grand renfort de calomnies, le fit enfermer à la Bastille en 1619, après lui avoir enlevé ses cinq fils, dont l’un était Isaac, le futur traducteur de la Bible.
 
Sans cet attentat, le protestantisme aurait sûrement compté une gloire de plus, et aurait peut-être possédé, dans la langue du grand siècle, la traduction originale des Écritures qui lui manque.
 
La mère d’Isaac de Sacy, Catherine Arnauld, soeur du grand Arnauld, était petite-fille d’Arnauld, seigneur de Corbeville, qui avait embrassé la réforme et épousé une soeur de l’illustre Anne Bourg. Tout en regrettant que la traduction de de Sacy ne soit pas nôtre, on ne peut que noter avec intérêt cette origine protestante d’une traduction catholique de la Bible.
 
Dès sa jeunesse, Isaac de Sacy fit preuve d’un grand amour pour l’étude et d’une grande piété. Il choisit l’état ecclésiastique, mais sa profonde humilité lui fit retarder son entrée dans les ordres jusqu’à l’âge de trente-cinq ans. Aussitôt consacré, il fut appelé à la direction des religieuses et des solitaires de Port-Royal.
 
Très versé dans l’Écriture, sans cesse en prières, plein d’onction et d’autorité, « il fut, dit M. Maulvaut, le type du prêtre réalisant au plus haut point l’idéal des vertus sacerdotales »1. Il renvoyait toujours les âmes à la lecture et à la méditation des Écritures. « Sur ce point, dit Sainte- Beuve, il était aussi absolu que ceux qui croient à la Bible seule, sans autre tradition nécessaire. » « Avec une Bible, disait-il, j’irais jusqu’au bout du monde. »
 
Isaac Lemaistre était donc bien préparé pour travailler à la traduction de la Bible. S’il attacha son nom à cette traduction — Sacy n’est que le nom d’Isaac retourné, avec transposition du c et de l’s pour faciliter la prononciation — il n’en fut pourtant ni le seul initiateur, ni le seul artisan. Cette oeuvre fut en réalité l’oeuvre de Port-Royal.
 
Déjà vers 1640 les solitaires de Port- Royal s’étaient proposés de traduire le Nouveau Testament. Pascal y assistait et son opinion fut prépondérante pour fixer le genre de style qui devait être adopté pour la traduction.
 
Les religieuses de Port-Royal prirent un intérêt extraordinaire à cette traduction des Saintes Écritures. Elles y collaborèrent même, et cela d’une manière probablement unique dans l’histoire des traductions de la Bible, en l’arrosant de leurs prières. Elles prièrent, et même « prièrent sans cesse » pour les traducteurs. Elles s’organisèrent en groupes, et comme des sentinelles qui se relèvent, les groupes se relayaient pour prier. A genoux, elles offraient ainsi à Dieu des prières ferventes et continuelles, le suppliant de faire descendre sur les traducteurs de sa Parole l’esprit de sagesse, de lumière et d’intelligence, afin qu’il ne put sortir de leurs plumes qu’une sainte et pure traduction du volume inspiré, image fidèle du texte original.
 
 
 
La persécution contre Port-Royal recommença en 1660 et les traducteurs furent obligés de se disperser. Le travail ne put être repris qu’en 1666. Il fallut prendre des précautions et travailler en cachette. On reprit d’abord les quatre Évangiles. La révision s’acheva chez la Duchesse de Longueville. On avait fixé le 13 mai 1666 pour revoir, en dernier lieu, la préface préparée par de Sacy. Ce jourlà, de grand matin, de Sacy, accompagné de son disciple Fontaine, prit le chemin de l’hôtel de Longueville. Il avait dans la poche le manuscrit de sa préface. Avec quelle joie, il voyait luire le jour où l’on allait achever la laborieuse entreprise ! La Bastille était sur leur chemin. Devant la forteresse, le maître et le disciple s’apitoyèrent sur le sort du pauvre Levreux, libraire de Port-Royal, qu’on y avait enfermé. Tout à coup, ils entendirent une voix qui criait derrière eux : « C’est assez, messieurs, c’est assez ! » et, au même moment, ils se virent arrêter par le personnage qui avait prononcé ces mots, un commissaire civil, instrument des jésuites, qui avaient obtenu contre eux un décret d’emprisonnement.
 
Un instant après, de Sacy, dépouillé de son manuscrit, était enfermé à la Bastille, ainsi que Fontaine. Devinerait-on quel fut à ce moment le plus grand chagrin de de Sacy ? Ce fut de n’avoir pas emporté ce jour-là son Saint-Paul. Depuis deux ans qu’il s’attendait toujours à être saisi, les épîtres de Paul ne le quittaient pas. Il les avait fait relier tout exprès. « Qu’on fasse de moi ce qu’on voudra, disait-il, quelque part qu’on me mette, pourvu que j’aie avec moi mon Saint-Paul, je ne crains rien. » Et justement, ce jour-là, il ne l’avait pas ! II se consola toutefois au moyen d’une Bible latine qui lui fut accordée2. L’idée lui vint alors de mettre ses loisirs forcés à profit pour traduire l’Ancien Testament. Chose remarquable, Isaac de Sacy fit cette traduction de la Bible dans le donjon même où son père, martyr huguenot, avait lu la Bible tant de fois.
 
 
 

SUCCES ET BENEDICTIONS

Pendant que de Sacy était à la Bastille, les Jansénistes firent imprimer leur Nouveau Testament à Amsterdam, car on leur en refusait l’autorisation en France. La Sorbonne fit campagne contre la nouvelle traduction, mais Arnauld défendit triomphalement, dans ses « Réponses magistrales », l’oeuvre de Port-Royal. Ce Nouveau Testament fut favorablement accueilli par tous. « Ce fut, dit Sainte-Beuve, non seulement chez les personnes de piété, mais dans le monde et auprès des dames un prodigieux succès. » Dès 1667, il s’en débita cinq mille exemplaires dans l’espace de quelques mois. Il y en eut cinq éditions cette même année, et quatre l’année suivante. En 1683, il s’en était vendu 40.000 exemplaires. Louis XIV, nous l’avons vu, en fit imprimer à lui seul 20.000 exemplaires.
 
Il y eut mieux encore. Dès que la traduction fut prête, les jansénistes, vraie Société biblique avant la lettre, envoyèrent de Paris un grand nombre de colporteurs chargés de la vendre au prix de revient, et même, dans certaines circonstances, à des prix réduits, et ils couvrirent la dépense par des dons volontaires.
 
Quant à l’Ancien Testament de de Sacy, les ennemis de la Parole de Dieu, effrayés du succès du Nouveau Testament, firent ce qu’ils purent pour en empêcher la publication. De Sacy, selon la vieille tradition romaine, se vit imposer comme condition, pour publier son Ancien Testament, d’y ajouter des explications. Ce fut un retard de plus de vingt années.
 
Après tout ce qui précède, on voit que M. Petavel n’a rien exagéré en disant que « la version de de Sacy fut pour la France un instrument d’évangélisation dont on calculerait difficilement la salutaire influence ».
 
Ce fut après s’être nourri de la traduction de de Sacy que Racine composa les deux chef-d’oeuvres de notre langue : Esther, en 1689 et Athalie, en 1691.
 
A l’instar d’autres traducteurs de l’Écriture, Olivétan, Martin, Ostervald, que l’humilité caractérisait, de Sacy, à son tour, nous frappe par son humilité. Ne seraitce pas que Dieu n’élève que ceux qui s’abaissent, et ne confie les grandes tâches qu’aux humbles ? Ne serait-ce pas aussi que, plus que toute autre chose, le contact intime et prolongé avec la Parole de Dieu met l’homme dans le vrai, lui fait sentir la grandeur de Dieu et son propre néant ?
 
 
 

CONCLUSION

Par l’histoire de cet enfant huguenot enlevé et élevé pour en faire un prêtre ou un moine et ainsi bien triompher, c’est Dieu qui est resté souverain et qui a même utilisé toute cette formation pour en tirer gloire. Ceci ne répond pas à tous ces enfants qui sont morts. Mais comme Job, dans cette histoire vraie, je peux dire que Dieu reste souverain. Puisse-t-il augmenter notre foi et nous utiliser comme il veut.
 
 
F-J.M.
 
 

NOTES
 
 
1. Encyclopédie des sciences religieuses, article : Lemaistre (Louis Isaac).
 
 
2. Tout ceci d’après Sainte-Beuve, dans « Port-Royal ».