Vérité et politique
Article rédigé à partir d’un texte en anglais de Neil SUMMERTON1
par Allan KITT
La vérité est une denrée périssable
On a souvent dit que la première victime en temps de guerre, c’est la vérité. Cela implique que, pour gagner la guerre, on est obligé de tromper l’ennemi : l’effet de surprise est primordial. Un gouvernement peut même se sentir obligé de mentir à son propre peuple, puisque sans le soutien de celui-ci il est impossible de maintenir l’effort de guerre. D’où la tentation d’exagérer les victoires et de minimiser les échecs ; et il faut dire que bien souvent le peuple le veut ainsi.
Même en temps de paix, il arrive souvent que la vérité soit victime de la politique. Des dictatures sont amenées à mentir et à se servir de propagande pour garder le pouvoir. La vérité est cependant peut-être encore plus menacée dans les pays démocratiques, car chaque parti a besoin du soutien du public pour sa politique contre celle des partis adverses. Cela est d’autant plus vrai dans notre ère de communications électroniques instantanées, où gouvernements et oppositions sont constamment – pas seulement en périodes d’élections – à la pêche aux voix par médias interposés. Ainsi la politique devient une campagne électorale permanente. L’important n’est plus l’action en elle-même, mais l’apparence de l’action.
On se sert des médias pour bien présenter la politique qu’on poursuit, au point même parfois de donner l’apparence en public de poursuivre telle politique, tandis qu’en réalité on en poursuit une tout autre. Mais, selon la parole bien connue attribuée à Abraham Lincoln, on ne peut pas tromper constamment tout le monde. Le sentiment qu’ont beaucoup d’avoir été trompés explique en partie le cynisme ambiant à l’égard des pouvoirs politiques, ainsi que l’effondrement de la participation électorale dans beaucoup de pays développés.
Nous devons cependant éviter cette suffisance qu’affichent souvent les médias et le public envers les politiques. Au Royaume-Uni, le journalisme et la vie politique sont les moins considérées des professions, car les moins crédibles. Dans les démocraties libérales, les médias prétendent chercher la vérité et exposer la turpitude morale de manière désintéressée. Parfois ils le font, et nous devons être reconnaissants quand ils démasquent mensonges, corruption et manque d’intégrité. Les médias ne sont cependant pas au-dessus de tout soupçon, et cela pour deux raisons.
Pour attirer lecteurs et téléspectateurs, ils peuvent vouloir présenter ce que, selon eux, leur public veut lire ou entendre. Ensuite, les médias souhaitent aussi participer aux campagnes politiques, faire et défaire des candidats aux élections. La presse a comme origine, en partie, ce rôle qui consiste non à informer de façon désintéressée, mais d’être un instrument de propagande et de pression politique. Cela peut conduire à exagérer tel argument et à déformer la vérité. Dans une société post-moderne cette tentation peut paraître d’autant plus plausible que l’on croit qu’il n’y a pas de vérité objective, que tout ce qui compte c’est sa propre perception de la vérité.
Tous concernés !
Mais si nous définissons momentanément le comportement «politique» comme étant le désir d’exercer le pouvoir, d’obtenir ce qu’on veut à tout prix, même si cela amène à mentir et déformer la vérité, à manipuler les autres à leur insu et contre leur gré, nous voyons que la question de « vérité et politique » ne touche pas seulement les hautes sphères politiques, mais tous les niveaux d’interaction humaine : la famille, l’entreprise, toute organisation bureautique, les églises et organismes para-ecclésiastiques.
J’ai observé en effet, à la faculté et dans l’église, des comportements dont n’aimeraient pas être accusés des hommes politiques ! Il nous convient donc d’aborder le sujet avec humilité, car cela nous concerne, nous, autant que les sphères politiques auxquelles nous n’aspirons pas.
Principes bibliques
Quels principes devraient déterminer notre comportement à cet égard ? Puisque Dieu est Créateur et qu’il jugera toute vie humaine, je suggère que ces principes s’appliquent aux non-chrétiens comme aux chrétiens, aux instances laïques comme à l’Eglise.
Dieu est en effet juge de tous, et tous devront lui rendre des comptes, y compris pour toute parole sans fondement (Mt 12.36).
Jésus a dit que lors du jugement, ce qui a été fait en secret sera révélé (Mc 4.22 ; Lc 12.2-4). Ces versets donnent à croire que, même dans notre quotidien, ce qui est fait en cachette devrait être rendu public. Nous devons vivre comme des enfants de la lumière, sans nous associer aux oeuvres des ténèbres, que nous devrions plutôt dénoncer (Ép 5.8-14).
Le Seigneur nous avertit que notre rôle doit être « oui » si c’est oui, « non » si c’est non (Mt 5.37, voir aussi 2 Co 1.17-; Je 5.12). Nous sommes appelés à être honnêtes, et à éviter tout légalisme hypocrite et toute subtilité complaisante dans 5 relations.
Nous ne devons pas porter de faux témoignage (Ex 20.16). Le contexte originel est celui d’un procès où, suite à des affirmations trompeuses, l’accusé pouvait perdre ses biens, sa réputation et même sa vie. Mais selon l’analogie du Sermon sur la montagne, nous pouvons étendre ce principe à toute expression de faits ou d’opinions. Nous devons toujours chercher à dire la vérité, sans nous laisser influencer par des calculs d’intérêt personnel.
« Rejetez le mensonge, parlez avec vérité… » (Ép 4.25). Les casuistes du Moyen-Âge avaient raison de soutenir que mentir, ce n’est pas seulement dire ce qui faux, c’est aussi ne dire qu’une partie de la vérité, dans le but de tromper. L’Etat et les hommes politiques ont tendance à soutenir qu’il n’est pas nécessaire de dire plus que la situation ne demande. Mais dans l’expérience de plusieurs personnalités connues, en Amérique et en Europe, on a vu que le public se méfie à juste titre de ce principe.
Dans les tribunaux britanniques, le témoin promet de dire « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ». Si les hommes politiques savent qu’il n’est pas sage d’affirmer des faussetés, nous succombons tous fréquemment à la tentation dire moins que toute la vérité. Rejetons tout acte trompeur, tel que déplacer en cachette les bornes dans le but de voler du terrain (Dt 19.14).
Tout cela démontre que Dieu nous commande d’être transparents, ouverts, honnêtes et intègres dans nos affaires. En fait, en ce qui concerne l’intégrité et l’honnêteté de nos paroles, l’ensemble de la Bible nous indique une position très claire. Cela ne devrait pas nous surprendre, puisque Jésus a appelé Satan lui-même menteur : depuis le commencement c’est un meurtrier ; il ne se tient pas dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il ment, il parle de son propre fond, puisqu’il est menteur, lui le père du mensonge (Jn 8.44). Dieu, par contre, est défini comme étant la vérité.
Mission impossible ?
Notre réaction naturelle est de protester : Une telle approche est impraticable. Dans un monde déchu, elle désavantage énormément la personne qui s’y conforme, et rend impossible au chrétien l’engagement professionnel dans le monde politique.
On peut justifier le mensonge par ses résultats. Il existe de « nobles mensonges », au moins dans l’extrême urgence (par ex. : le mensonge de Rahab, Jos 2.4-7).
Comment répondre à ces arguments ?
Il est vrai que, dans un monde déchu, les vertus chrétiennes peuvent désavantager ceux qui les pratiquent : l’obéissance à Dieu peut nuire aux perspectives professionnelles. Cela arrive lorsqu’une société laïque impose des principes contraires à la vérité de l’Évangile. Au Royaume-Uni, des chrétiens ont des difficultés à accepter certaines pratiques obstétriques, et cela affecte leur avancement professionnel.
Des magistrats expérimentés ont été obligés de démissionner plutôt que de donner leur aval à l’adoption d’enfants par un couple du même sexe. En fin de compte, c’est une question de confiance en Dieu. Et puisque Dieu est à l’origine de la société, il n’est pas surprenant que la société laïque reconnaisse qu’elle ne peut pas fonctionner de manière efficace en l’absence de transparence, de franchise, d’honnêteté et d’intégrité.
Nous ne pouvons pas examiner de manière approfondie la deuxième objection dans ce court article. Disons seulement qu’il reste à démontrer qu’on puisse fonder une moralité sur les seules conséquences de nos actes, surtout si nous parlons de moralité biblique. Pour justifier le mensonge dans l’extrême urgence ou pour la sécurité de l’état, il faut répondre à deux questions : « Comment déterminer ce qui constitue une extrême urgence ? » et « Comment empêcher l’abus de ce principe ? »
Des hommes politiques seraient bien sûr prêts à avancer cet argument d’extrême urgence dans le cas de ce qui leur semble essentiel aujourd’hui. Mais en fait ce raisonnement est sans rapport avec la politique au jour le jour. Elle n’entre pas en jeu non plus dans la vie quotidienne de nos organisations et églises.
Quant à l’objection post-moderne – « puisque nous ne pouvons pas connaître la vérité, ce que nous disons ou écrivons n’a pas d’importance » – nous répondons :
Un tel argument aboutit à un monde de fous. Les post-modernistes eux-mêmes n’y croient pas vraiment.
Dans le cadre moral de la création divine, la vérité peut être connue et démontrée – en partie au moins – même par des êtres humains déchus, pourvu qu’ils la recherchent de façon intègre.
Le philosophe anglais Bacon a écrit : « Pilate a dit »Qu’est-ce que la vérité ? » en plaisantant, mais sans attendre la réponse. » Le texte biblique nous fait comprendre que, même s’il ne vivait pas en démocratie, Pilate s’est trouvé dans une situation politique où ses perspectives professionnelles étaient en jeu. Le Sanhédrin – pour des motifs également politiques – a pris soin de lui rappeler cet enjeu. Il est évident que Pilate et le Sanhédrin ont échoué tous les deux dans l’épreuve de la vérité et de l’intégrité. Est-ce que nous y échouons aussi, dans nos églises, nos organismes chrétiens, notre travail ?
A.K.
NOTE
1. : Conseiller principal pendant plusieurs années auprès de Ministres britanniques, Neil Summerton a servi dans le Ministère de l’Environnement de 1991 à 1997. Ensuite il a dirigé des unités de recherche en éthique de l’environnement à l’université d’Oxford. Depuis longtemps responsable d’église, il est l’auteur d’un livre (A Noble Task) sur le ministère des Anciens dans l’église locale.